« La Tempête » de Philippe Dubourg n’est pas un roman. Ce n’est pas un documentaire non plus. Annoncé comme une « chronique romancée », le livre est rédigé comme un rapport, un dossier journalistique où sont présentés, en mosaïque, tous les points de vue, toutes les émotions, tous les destins. Parce que cette tempête est « un désastre économique, écologique et humain ». C’est sous ces angles multiples, y ajoutant aussi l’angle politique grâce à son expérience de maire d’une commune landaise, que l’auteur nous donne à réfléchir sur l’ampleur mais aussi les enjeux et les défis que le vent a soulevés.
Chaque personnage, fictif, nous révèle un pan du problème, livrant là de vraies émotions, autant que des interrogations légitimes.
Abel, Landais de souche, au sens propre du mot car si intensément attaché à « ses » arbres, frères de vie nourris de la même terre, concentre à lui-seul la souffrance d’un pays meurtri. Il est l’annonciateur, celui que bien peu écoutent lorsque, bien avant le drame, il interpelle sur l’importance des racines, et surtout sur celle, essentielle, de la transmission. Transmission rompue, négligée, lorsque les fils et les filles s’en vont, poussés par la nécessité de la société de travailler et vivre ailleurs, ou pire, par le désintérêt, le « désert des origines ».
L’un de ces fils, Philippe, incarne le malaise. Diffus, difficile à cerner et à expliquer tant du point de vue des causes que des effets. Professeur, il fait partie de ces « exilés » contraints d’aller exercer loin de chez lui. Soudain l’anorexie le prend, la déprime le guette, comme la bête qui rôde avant de bondir sur une proie affaiblie. La tempête, à laquelle il assiste, qu’il subit dans sa chair, curieusement le révèle à lui-même et lui rend l’appétit. Celui de se reconstruire en même temps que se panseront les plaies à vif des Landes éventrées. Philippe met en exergue un certain déni des hommes à ne pas voir, ne pas admettre. Cet état d’inconscience bien humaine, nourrie par la certitude que le drame frappe toujours ailleurs. On vit trop vite, on ne regarde le temps que quelques minutes avant les infos, au moment où se trémousse Evelyne Dhéliat devant une carte piquetée de soleil et de pluie, de températures conformes aux normales saisonnières.
Jan, enfin, aborde le côté politique, de ce qui est aussi une crise sans précédent, avec ce qu’elle entraîne d’appels, d’espoirs, de désespoirs, de cris répétés mais non entendus. Le malheur de Klaus est que l’ouragan n’a pas frappé partout avec la même rage, au contraire de sa soeur aînée, baptisée pour l’Histoire la « grande » tempête, celle de 1999. Revoici l’inconscience humaine, lorsqu’en effet le drame a frappé ailleurs. Les victimes sont loin, leur appel au secours s’entend beauoup moins fort.
Philippe Dubourg témoigne et livre ici un véritable travail de militant. Au coeur d’un combat dont la première attaque visible s’est fait sentir le 24 janvier 2009, il écrit pour attirer l’attention, nourrir une réflexion profonde sur le maintien en survie d’un pays où vivent et meurent les arbres et les hommes. Et s’il faut trouver un pourquoi au drame, il nous prouve alors que le vent de la tempête a ravivé l’âme fière des Aquitains, et que le bruit assourdissant du vent cette nuit là, a révélé celui, blessé mais vivant, du coeur des Landes.
Photo Atlantica éditions, Jean Hincker, tous droits réservés.
La Tempête, Philippe Dubourg, éditions Atlantica, 2010.
Anne DUPREZ
Mais aussi…
Les Mains du vin : un voyage dans l’intimité de l’homme, de la vigne et du vin.
Ce n’est pas seulement un livre, un « Beau Livre », c’est un chef d’œuvre ! Une synthèse éblouissante du texte et de l’image qui s’appellent et se répondent. « Les Mains du Vin » de Stéphanie Reiss, textes et photos de l’auteur, doivent naturellement beaucoup aux éditions Féret, entre toutes expertes quand il s’agit d’ouvrir le chapitre de la vigne et du vin. Mais cet angle, ce rapport unique entre les mains et chacun des actes, quasiment amoureux, du vigneron, de la taille jusqu’à la dégustation qui conduit à l’élaboration d’un vin digne de ce nom, il fallait l’imaginer… et, dès lors, le conduire à bonne fin.
C’est l’histoire d’un très beau voyage que nous conte Stéphanie Reiss, un voyage ponctué de rencontres souvent curieuses, de la découverte des parfums et des saveurs, au gré des saisons et des couleurs. Son œil se pose sur les gestes essentiels, pour rendre compte de ce rapport singulier qui lie le vigneron à sa vigne.
En guise de mise en bouche nous vous proposons ces mots de l’hiver, un 4 janvier au château La Tour de Bessan à Margaux par 1° Celsius : « le sol s’est endormi. Un murmure flotte dans la lumière du plein hiver. Il dit un autre temps celui de la dormance. Cette dormance qui gèle les mains et la rosée comme de l’étain, fait entendre quelque chose qui n’est pas dans les livres. Les pieds de la vigne scandent ses paroles muettes par des syllabes de bois engourdi. » Et ces autres mots de l’été, en ouverture de Vinexpo, un 21 juin par 27°C : « Le festival au tapis orange convoque la terre entière. La planète vin est là. Il fait chaud. Le pouls bat déjà fort. Le parc des expositions avale des milliers de gens pulsés des avions, venus de lointaines contrées où Bordeaux ne désigne pas le pays du petit lait de ferme. »
Les mains du vin, à découvrir sans modération, Editions Ferret : 29,90 euro