On avance dans le récit comme on observerait une fleur qui s’ouvre. Une femme, dont on ne connaitra jamais le nom – ce n’est pas le propos – passe un jour devant une vitrine : « Elle est passée devant d’abord sans la voir. Sans vouloir voir en fait. A cause du voile, sans doute, qui la rend différente. » . Car « elle » se déplace continuellement enveloppée de noir, sans volume, sans corps apparent, sans regard même : l’interstice devant ses yeux lui permettant à peine d’apercevoir une toute petite partie du monde, sans que le monde ne puisse savoir qui elle est. « Elle », un jour, voit, enfin. Et ce qu’elle voit irradie : une robe rouge, éclatante, désirable mais encore inaccessible.
Le chemin que, tout au long du livre, on parcourt avec cette femme, mène de l’ombre à la lumière. Car, en parallèle à cette quête d’un rêve soudain si vif qu’il frôle le possible d’un autre univers, d’une autre vie, cette femme découvre aussi un livre, un livre de Kant qu’elle dérobe presque insoumise à elle-même, sur le paillasson du voisin de palier. Et le livre, parole des Lumières, se fait passeur. Peu à peu la fleur, entre-éclose, s’ouvre. Sa corolle rouge s’épanouit comme un appel, comme un cri de victoire, dans une lumière si vive qu’elle donne encore le vertige, qu’elle est encore parfois baignée de larmes.
« Kant et la petite robe rouge » est un livre de transmission. D’un auteur au monde, d’une femme à une autre femme, d’une femme-mère à son enfant-fille. On découvre en effet, à côté de la femme décrite, une petite fille dont on comprend qu’elle observe et découvre, sans encore bien comprendre, mais qu’elle incarne ce qui peut être, et ce qui peut-être sera. « Kant et la petite robe rouge » est un livre qui, avec pudeur et une infinie justesse, dit beaucoup. C’est un livre qui arrive à point nommé parce que son auteur a une acuité au monde qui lui fait ressentir, s’interroger, témoigner, et qui permet au lecteur, par le biais d’une très jolie histoire, de parcourir un bout de chemin, loin des polémiques stériles. Afin que, après être passé devant d’abord sans voir, en se retournant, on voit réellement.
Photo: couverture du livre, Sylvie Darreau, tous droits réservés.
Anne DUPREZ
« Kant et la petite robe rouge », Lamia Berrada-Berca, La Cheminante 2011. 6 €.www.metaphorediffusion.fr