Niché en plein cœur de Bordeaux, il existe une sorte de temple de la culture africaine. Ce temple, c’est l’endroit où vit Guy Lenoir, homme de théâtre et de culture, sorte d’Africain par procuration. Entre les bibelots sur les tables, les bibliothèques fourmillant de bouquins spécialisés et les peintures trônant sur les murs, on sait tout de suite que l’homme est un spécialiste de la question. Il en a même fait sa vie, ou plutôt la deuxième partie de sa vie. La première, il l’a débutée sur les planches. Assis dans son fauteuil, décontracté, lunettes sur le nez et avec beaucoup d’autodérision, il raconte son envie de se retrouver devant les projecteurs.
Le théâtre, un moyen de briller
« J’étais habitué, enfant, à ce que le théâtre me permette de m’extérioriser, de sortir de mon cocon et de ma pensée individuelle. C’est un moyen d’épanouissement que j’ai rencontré dans mon éducation. Cela m’a semblé normal et intéressant de l’inscrire dans ma carrière professionnelle. Surtout à une époque où le théâtre restait encore quelque chose de très expérimental, pas très développé ». Une façon pour lui d’ « associer l’être et le paraître de manière harmonieuse ». Né à Bordeaux, Guy Lenoir a bourlingué un peu partout, toujours le nez dans un projet. Au début, l’un des spectacles de théâtres dans lequel il est engagé est sélectionné pour être joué aux Etats-Unis, et présenté en Afrique dans les capitales francophones. C’est un déclic : Nous avons trouvé en Afrique des artistes, des acteurs, des écrivains de très grande capacité intellectuelle et artistique. A leur manière, ils étaient en plein dans le bain de la remise en question de la langue française. Puisqu’ils faisaient partie de pays qui avaient été colonisés par la France, ils avaient une volonté de s’émanciper par rapport à la France et la langue. Ils ont brusqué et violenté un peu la langue française, ils ont été capables de transformer leurs rapports avec cette langue », explique-t-il. De cette volonté de « rapporter » les innovations culturelles du continent à Bordeaux est née une association, Migrations Culturelles Aquitaine Afriques ou MD2A, en 1989. Depuis 26 ans, elle participe grandement à mettre en lumière toute la diaspora et le foisonnement culturel du « berceau de l’humanité », à une époque ou l’élite Africaine était importante à Bordeaux.
Un nouveau monde, d’autres valeurs
Charmé par cet « autre monde », Guy Lenoir s’imprègne peu à peu de toute sa diversité. « Ils ont amené des valeurs de vie, de respect tout en étant dans la contradiction de la réalité sociale et politique. Ils sont broyés dans un mécanisme dans lequel le pouvoir est un enjeu considérable de la société. Ceux qui sont au pouvoir, ce sont des personnalités, comme chez nous, avides d’argent et de conquête qui vont à l’encontre d’un esprit fondamentalement généreux et respectueux de la nature et de la vie. C’est un conflit permanent qu’ils mènent entre eux. Contrairement à nous, l’Afrique n’est pas du tout dans le brouillard d’un avenir incertain. Simplement, à chaque fois qu’ils avancent, ils en prennent plein la gueule », ironise-t-il.
Un fort engagement social
Du 19 septembre au 30 octobre dernier, une grande partie de sa collection personnelle d’œuvres était présentée dans une exposition à la médiathèque du Bois Fleuri (Lormont) dans une exposition intitulée « afrique.lenoir ». Les 10 et 15 décembre prochain, l’association participe aussi à la dixième édition du festival Hors jeu/en jeu. L’association travaille aussi beaucoup en partenariat avec des centres sociaux de la métropole bordelaise (Bègles, Pessac, Lormont), collabore avec un artiste béninois dans un spectacle qui s’empare du sujet des violences conjugales, et se consacre à beaucoup de causes sociétales comme l’égalité des chances. Des collaborations qui, selon le collectionneur, « est venue avec l’Histoire. Une sorte de « vivre-ensemble », plus diffus et moins politisé, qu’il essaie toujours de défendre. « On est baignés par ça, mais sans avoir besoin de l’afficher. Il faut le faire pour des raisons très conjoncturelles. Nous émargeons dans les services publics, nous rentrons donc dans des critères et des tiroirs. On devient des opérateurs conscients de cette volonté d’être en partenariat avec la collectivité. On peut vivre politiquement en opposition, mais on ne peut pas vivre contre cette collectivité ».
N’appartenant à aucun courant ni mouvement politique précis, l’association est sans doute la matérialisation de cette passion pour l’Afrique qui accompagne Guy Lenoir depuis 30 ans. « Il faut que ces échanges artistiques servent à la cohésion internationale et non pas à l’exotisme, qui est un danger. Il faut contrer le capitalisme international et l’illusion des frontières ouvertes par un apport culturel fort qui souligne et renforce l’identité des individus et qui leur permette de dialoguer avec le monde ». En quittant le temple, on repense avec ironie à son propriétaire. A croire que parfois, le nom que l’on porte et les passions que l’on rencontre dans une vie n’ont attendu qu’un rendez-vous.