Bordeaux Métropole a beau être une entité unique dans le paysage régional, la diversité de profil des communes qui la composent est depuis longtemps établie. En août 2017, le journal Le Figaro a établi un classement des villes les plus dynamiques de France. Sur les 113 agglomérations de plus de 50 000 habitants comptabilisées, la commune de Pessac figurait à la cinquième place. Le quotidien écrivait alors : “la ville de la technopole bordelaise ne fait pas d’étincelles sur les indicateurs en lien avec le marché du travail et les entreprises, mais elle se distingue sur d’autres. Elle affiche un taux de logements vacants relativement bas (3,84%) et un fort accroissement de sa population (5,43%) par exemple”. Pourtant, au moment de décrire son attractivité économique, la ville elle-même parle d’une “économie dynamique et diversifiée”. Ses différents parcs d’activité représentent quasiment 200 hectares. Quelles sont donc ces entreprises “diversifiées” qui composent le paysage économique local ? Pour notre première incursion dans l’économie pessacaise, nous avons décidé de nous intéresser (une fois n’est pas coutume) à un marché de niche : celui des amplificateurs audio.
Un marché cloisonné
L’entreprise NEOSystemes, basée au sein du parc d’acitivité de Bersol, est née au début des années 2000 dans la tête de Pierre Delage, ancien de chez Thalès. Au moment d’évoquer ses principales motivations, ce dernier évoque “l’envie de créer grâce aux compétences acquises dans le domaine de l’électronique de puissance. J’ai créé en parallèle une technologie d’amplification à découpage. Pour la commercialiser, j’ai démarré avec des amplificateurs dans différents domaines : la sonorisation professionnelle et la haute-fidélité. L’efficacité et les capacités de ces amplificateurs ont permis de toucher des clients professionnels qui avaient besoin de cette technologie. Depuis, je suis un fournisseur de technologies pour des marques qui ont besoin de cette solution à très haut rendement, très compacte et avec pas mal d’innovations. Par exemple, le fait que ce soit un système en boucle fermée permet d’associer le filtre et d’augmenter la fidélité, la fiabilité et la bande passante. Une technologie a étalement de spectre permet d’augmenter le rendement et la qualité audio. Ils sont notamment utilisés dans les gares, les aéroports et certifiés pour la sécurité incendie et l’évacuation. En règle générale, tout électronicien a un jour fait un ampli audio dans sa vie”, continue Pierre Delage. “Généralement, c’est analogique : ce sont des amplis très fidèles mais gourmands en énergie et avec un rendement faible. Je n’aurais jamais imaginé fabriquer des amplis pour la sécurité incendie quand j’étais chez Thalès”.
De quoi parle-t-on au moment d’évoquer des amplificateurs audio ? Avant tout d’une technologie permettant “d’amplifier un signal. Celui qui sort des écouteurs est tout petit et a besoin d’être cent fois plus gros pour pouvoir faire bouger un haut-parleur. La difficulté, c’est que ce signal doit être le plus fidèle et le moins gourmand en énergie possible. Plus les amplis sont efficaces à ce niveau-là, moins on tape dans les batteries et moins on a besoin de les ventiler. C’est important, notamment pour des amplis de sécurité. On travaille donc sur la miniaturisation et on produit les amplis les plus fidèles et les plus compacts possibles”. L’intégralité de ces amplis est fabriquée en Aquitaine : environ 15 000 cartes électroniques par an répartis entre deux sites de production (chiffre que l’entreprise compte doubler “dans moins de deux ans”), en Dordogne et en Lot-et-Garonne. Si NEOSystemes est rarement cité (voire jamais) dans la liste des fabricants, c’est parce qu’il est au quatrième rang des sous-traitants de très gros industriels spécialistes du son. Pour autant, l’activité de l’entreprise semble florissante, puisque NEOSystèmes revendique aujourd’hui plus de 50% de son chiffre d’affaires à l’export pour lequel il y a, selon son fondateur, “de plus en plus de demandes”.
Application concrète
Si les clients de NEOSystemes sont plutôt discrets, on a pu évoquer de manière un peu plus précise l’une de ses applications concrètes : les solutions auditives pour les personnes malentendantes. Dernièrement, Google a dévoilé “Sound Amplifier”, une application disponible sous Android permettant à son utilisateur (muni d’écouteurs) de “percevoir les voix et sons importants”. Cependant, selon Lucas Castelnau, ancien technicien son et lumière et créateur de la marque Opus Technologies, l’application en question a une limite : elle ne permet que de capter les sons à une courte distance et dans un environnement assez peu peuplé. Avec l’aide de son père (commercial et prestataire de sonorisation, notamment dans les gares ou les magasins), Lucas a créé Audiofil, une société de commercialisation de solutions pour malentendants spécialisée dans le domaine de l’assistance auditive. Deux ans après cette création, Audiofil a entamé la réalisation de sa propre marque, Opus Technologies. “Dans les solutions pour malentendants répondant à la loi de mise en accessiblité des lieux publics, la plus utlisée pour les prothèses auditives, c’est la boucle à induction magnétique”, précise Lucas. “En gros, c’est un ampli audio sur lequel on va brancher un fil et qui va diffuser sans fil de l’audio dans la pièce et envoyer le son directement dans la prothèse auditive, en isolant de toutes les sources de son extérieures. Dans la boucle magnétique, on fait passer le courant de la fréquence de l’audio. Il créé un champ magnétique qui est reçu dans l’oreillette au travers d’un capteur qui récupère le signal audio dans la bande passante. On pourrait presque parler d’une diffusion naturelle, mais c’est plutôt comme une antenne réceptrice”.
Le petit logo avec l’oreille barrée dans les lieux publics n’est pas là pour rien. Ces prothèses ont deux positions : la position micro, “qui amplifie le son de la voix et de tous les sons environnants, adapté pour un échange à courte distance dans un environnement calme. Dès qu’il se retrouve dans la rue, il capte tout”. La deuxième position, c’est celle défendue par la marque Opus. “Nous, on va essayer de cibler l’information. C’est utilisé notamment dans un cinéma, une salle de spectacle où à l’accueil d’un magasin ou d’un guichet”. NEOSystemes collabore ainsi avec la marque Opus en fournissant l’amplificateur nécessaire à envoyer le signal dans la prothèse auditive. “Aujourd’hui, environ 10% de la population souffre de problèmes d’audition, tous ne sont pas équipés de prothèses. Le gros souci qu’on a avec les acteurs du marché, avec qui on a créé un groupe de travail, c’est que beaucoup de malentendants ne sont pas au courant du fait qu’ils peuvent bénéficier de ce dispositif-là et qu’ils ont la possibilité d’utiliser nos systèmes et notre mode ciblé”. Opus, qui a sorti ses premiers produits en 2015, est aujourd’hui elle aussi confrontée à l’essor grandissant de l’export. “Ce mois-ci, les produits sont partis dans sept pays différents”, précise ainsi Lucas. Pour spécifier les besoins et le type de produit à installer, Opus s’appuie sur un logiciel, baptisé “Smartloop”, qui identifie les besoins du lieu dans lequel le dispositif doit être installé. En cours de déploiement dans toute l’Europe, Opus mise sur des “distributeurs locaux”, autrement dit des entreprises qui représentent les produits de la marque dans chaque pays européen. Le tout avec des perspectives d’évolution tendant clairement au contrôle à distance, via un smartphone par exemple. “On est en train de faire des recherches pour améliorer la connectivité et pouvoir, dans le futur, contrôler à distance le niveau du signal de l’ampli”.
Les technologies de la marque Opus, également “made in Aquitaine”, ont notamment équipé le Musée du Louvre, le Palais des Festivals de Cannes ou la Cité du Vin. NEOSystemes (qui a reçu une aide de la région Nouvelle-Aquitaine de l’ordre de 100 000 euros) et la marque Opus comptent se regrouper : en 2020, les deux entités devraient quitter Pessac et intégrer la technopole de Martillac, dans le but de “simplifier la gestion logistique”. Reste que la marge de progression de la marque Opus est grande : sur les six millions de personnes malentendantes en France, seulement un quart sont équipées de prothèses auditives.