En Gironde, 26 mineurs non accompagnés auraient été remis à la rue ces dernières semaines d’après les associations. Ces dernières dénoncent des manquements aux missions de protection de l’enfance – qui relève du Conseil Départemental. Les collectifs se sont rassemblés avec plusieurs jeunes à Mériadeck ce jeudi pour alerter sur la situation. En marge de cette manifestation, le Département a accepté d’ouvrir ses portes à Aqui! pour éclaircir plusieurs points.
« Le bafouement des droits de l’enfant est inacceptable et doit cesser ». Voici en une phrase, les revendications des ONG, associations et collectifs présents à côté de l’Hôtel du Département de la Gironde et de la Préfecture ce jeudi. Elles fustigent la remise à la rue de 26 jeunes – déclarés majeurs par le Service d’accueil et d’évaluation des mineurs non accompagnés (SAEMNA) – au cours des dernières semaines et demandent le respect de la présomption de minorité jusqu’à la fin des recours.
Pour rappel, la procédure pour les mineurs non accompagnés est la suivante : l’évaluation de la minorité des jeunes, mission déléguée aux Départements par l’État (jugée trop coûteuse), la mise à l’abri et l’accueil par l’Aide Sociale à l’Enfance (ASE) des jeunes ayant été reconnus mineurs jusqu’au passage devant le juge des enfants qui décidera si les jeunes relèvent de l’ASE ou non.
Les collectifs sont venus manifester avec une trentaine de jeunes qui vivent à Kabako, lieu de vie ouvert au printemps 2020, rue Camille Godard à Bordeaux. Le lieu fait l’objet d’une demande d’évacuation, prévue pour le mois de juillet prochain. « Kabako n’est pas éternel, depuis neuf mois et jusqu’à cet été, il reste la seule alternative pour loger ces jeunes. Une structure doit être créée par les institutions pour les accueillir », revendique un représentant du collectif Kabako.
« Ne pas se tromper de cible »
Interpellé directement par les associations, le Département a accepté de réagir auprès d’Aqui!. Renaud Helfer-Aubrac, directeur général des services départementaux (DGS) dit comprendre les motivations mais incite les collectifs à ne pas se tromper de cible. « La séparation des compétences est fondamentale. Venir devant le Conseil départemental c’est bien, interpeller les parlementaires c’est mieux : le problème est d’ordre législatif, affirme le DGS. L’évaluation de la minorité, nous n’en voulons pas. Notre mission, c’est la mise à l’abri des mineurs ».
Jean-Luc Gleyze, Président du Conseil départemental a écrit en ce sens à Adrien Taquet, Secrétaire d’État chargé de l’enfance et de la famille. « Il est impossible pour un Département de réaliser une évaluation réelle et certaine de la minorité. […] L’étape de reconnaissance de la minorité relève de l’État régalien », peut-on lire dans ce courrier du 23 février. Jean-Luc Gleyze demande notamment que la prise en charge par l’État de l’évaluation des mineurs non accompagnés soit inscrit dans la loi 4D – qui arrivera dans les débats parlementaires l’été prochain.
La collectivité départementale, après audit auprès du Service d’accueil et d’évaluation des mineurs non accompagnés (SAEMNA), a décidé le 1er février d’internaliser le processus d’évaluation par le biais du Centre départemental de l’enfance et de la famille (CDEF). Sur 12 000 jeunes confiés à l’Aide Sociale à l’Enfance en 2020, 1 500 sont des mineurs non accompagnés (312 en 2015). « La prise en charge des MNA représente 43 millions d’euros [sur un budget total de 275 millions d’euros pour l’ASE, NDLR] pour le Département. Nous allons présenter, lors de la plénière du 12 avril un rapport de la chambre régionale des comptes qui dit, en substance, que nous en faisons trop sur le sujet de la protection de l’enfance. Le problème, c’est que nous sommes un des rares Départements, pour ne pas dire le seul, à nous investir autant sur les mineurs non accompagnés, grâce notamment au contrat jeune majeur », martèle Renaud Helfer-Aubrac.
Sur la question de l’évacuation de Kabako, le DGS se dit prêt à (ré)évaluer les 48 jeunes qui y vivent et mettre à l’abri ceux qui seront reconnus mineurs. « Ils seront protégés jusqu’au dernier recours », assure-t-il.
Un rapport « abject entretenant la défiance »
Les associations présentes à Bordeaux ce jeudi ont également évoqué un rapport parlementaire « abject », rendu le 10 mars par les députés Jean-François Eliaou (Hérault, LREM) et Antoine Savignat (Val d’Oise, LR). Son intitulé : « problématiques de sécurité associées à la présence sur le territoire de mineurs non accompagnés ». Les députés proposent un durcissement des procédures, notamment en rendant « obligatoire la prise d’empreintes digitales des mineurs et prétendus mineurs délinquants interpellés ou, à défaut, renforcer la sanction du refus de se soumettre à un relevé d’empreintes ». Parmi les autres proposition, le rapport recommande « la fin de la prise en charge par l’État de l’hébergement hôtelier pour des MNA délinquants et des MNA dont la minorité prête à discussion ».
Des propositions « inacceptables » pour Aude Saldana-Cazenave, représentante de Médecins du Monde Aquitaine. « Les recommandations du rapport sont stigmatisantes et entretiennent le climat de défiance et de mépris vis-à-vis de ces jeunes qui ne demandent qu’à être acceptés en France », regrette-t-elle. Outre les collectifs militants, l’UNICEF France a lui aussi fermement condamné ce rapport, l’estimant « contraire à la Constitution et à la Convention internationale des droits de l’enfant » dans un communiqué. L’organisme des Nations Unies rappelle également que les MNA sont des enfants en danger, devant être protégés au titre de l’article 375 du code civil. Afin de faire évoluer la législation, le collectif Mineurs Isolés Étrangers 33 – rassemblant notamment Médecins du Monde et Kabako – comptent alerter les parlementaires girondins pour faire remonter leurs inquiétudes jusqu’à l’Assemblée Nationale.