Les listes
Dans le paysage municipal métropolitain, on peut qualifier d’euphémisme le fait d’affirmer que la situation politique de Talence dans le cadre de ces élections est particulière. D’abord et en premier lieu pour le maire sortant, se revendiquant sans étiquette, Emmanuel Sallaberry. Ce dernier a succédé en octobre 2017 à un baron du MoDem, Alain Cazabonne, élu pour la première fois sur la commune en 1983 mais installé officiellement dans le fauteuil de maire depuis 1993, soit 24 ans, avant d’être élu sénateur de la Gironde. Depuis deux ans, son successeur a pu mener ses propres combats, notamment ferroviaires, mais aussi environnementaux. Le 20 janvier dernier dans la salle François Mauriac, il a officiellement présenté aux habitants sa liste. Composée de 43 candidats dont 19 nouveaux entrants, avec une dominante centre-droit (PR, MoDem, Nouveau Centre, Agir), elle est composée de 22 élus au conseil municipal, parmi lesquels Alain Cazabonne, premier nom présenté lors de cette soirée. On y trouve aussi plusieurs candidats de la République en Marche. Pour le maire sortant, « la seule chose incompatible avec la liste, c’était les extrêmes ». Celui qui se définit comme le « benjamin de l’élection » a dénoncé une « présence des extrêmes qui guide le stylo » dans la liste de gauche/EELV baptisée « Talence en Transition ».
Cette dernière à une particularité sur la métropole bordelaise : un rassemblement à gauche plus large qu’à l’accoutumée dans une commune où la gauche était divisée. On y retrouve ainsi EELV, le Parti Socialiste, La France Insoumise, le PCF, Nouvelle Donne ou encore Génération.s. Pour la tête de liste Isabelle Rami, conseillère municipale d’opposition (écologiste) depuis 2014, le processus de concertation (coordonné par l’association locale CoorCiTal) a permis de dégager un socle commun. « Dès cet été, à l’appel d’un collectif de citoyens, l’ensemble des forces politiques ont été conviées pour réfléchir à l’échéance. Ce que l’on souhaite avec ce collectif, c’est que le citoyen soit au cœur de la construction du programme. L’équipe en train de se former n’est que le haut de l’iceberg. On souhaite aussi que tout soit lisible et ouvert dans nos processus de désignation et de construction, que ce soit la tête de liste, l’ensemble des candidats ou le programme ». Pour Arnaud Dellu (PS et conseiller départemental), tout est parti du « constat d’une nécessaire union. Depuis 1977, la gauche était à chaque fois divisée dans cette commune, on a vu le résultat. On a aussi fait le constat qu’il y avait toute une série de projets dans lesquels on était tous convergents ». « On cherche un équilibre entre forces politiques et citoyennes, on veut que la construction vienne des gens. Pas d’hégémonie », ajoute Isabelle Rami. Le projet, construit autour de « groupes de travail » thématiques, repose en tout cas sur un processus de désignation singulier pour la gauche.
À Talence, le « challenger » n’est autre qu’un ancien conseiller municipal. À l’entendre, Laurent Pradès a fait le deuil d’une « politique de l’entre-soi. Je voulais retrouver une liberté. J’ai vu le système politique de l’intérieur et j’ai constaté que les décisions se prenaient en petits comités et que la participation citoyenne était de façade. J’ai besoin qu’elle s’élargisse ». Ce dernier a donc monté une liste, intitulée « Nouvel Esprit Talence » et revendiqué comme « Mouvement Indépendant des Partis ». La rupture se serait faite, selon lui, au moment du débat sur le stationnement payant, en 2014, pour lequel il dénonce une « participation citoyenne secondaire. J’avais un engagement de centriste pour dépasser les clivages politiques », affirme le candidat, qui revendique la place d’une « vraie liste citoyenne. Le maire dit être sans étiquette. Quand vous grattez un peu, il y en a, beaucoup… », rajoute-t-il. Du côté de la liste, Laurent Pradès affirme que cette dernière est en « cours de construction. Cette liste est ouverte et le restera jusqu’au dernier moment », affirme-t-il sur le site internet de la liste, tout en revendiquant une vraie participation citoyenne et « aucun encarté. Le seul qui ait une expérience politique, c’est moi ». Il a notamment pu l’apporter en évoquant un dossier sensible : le remplacement de la salle de concerts de la Médoquine par une école de musique et de danse en surplomb de la place du Forum, « financée en partie par le produit de la vente de La Médoquine » comme le précisait un rapport de 2016 de la Chambre Régionale des Comptes. « Au final, cette salle de spectacle n’a jamais vu le jour, l’argent issu de la vente de la Médoquine a été mis ailleurs », achève Laurent Pradès, qui mise visiblement sur les propositions avant même d’avoir dévoilé sa liste complète, ce qui pourrait être effectif courant février.
Les idées
Côté propositions, c’est Laurent Pradès qui dégaine le plus vite. Le candidat a mis en ligne sur son site un « programme par thématiques ». Dans les grandes lignes, il milite pour « plus de participation citoyenne, de la transparence et de l’innovation sur le fond du projet. Sur l’urbanisme par exemple, le discours tend vers un « stop à la bétonisation. Je propose de réduire les constructions à R+3 maximum, même sur les grands axes ». La particularité de Talence est en effet d’être une ville dense (plus de 5115,2 habitants au kilomètre carré). Laurent Pradès évoque aussi, dans la liste des priorités, une « extension des zones bleues » et une politique de sécurité nocturne renforcée (plus d’effectifs pour la police municipale et un renfort de gestion de l’éclairage nocturne). L’un des socles (communs avec Talence en transition) de sa communication, c’est une « meilleure respiration démocratique. il faudrait faire le point à mi-mandat, et réaliser une consultation à chaque fois qu’il y a une demande. Ce qu’on aimerait, c’est se rapprocher de la votation à la suisse, paramétrer la participation, la réguler, ne pas avoir juste une attitude de façade. Le paramétrage de la concertation lui-même doit être concerté ». Plan biodiversité, moratoire sur les grands projets de construction, extension des zones partagées à 20 km/h, extension de l’accueil périscolaire ou encore « charte du sport »… l’ancien joueur de tennis élargit le spectre tout en militant pour l’exemplarité pour justifier « la pédagogie incitative ».
Côté gauche, on se positionne en premier lieu pour l’arrêt de la bétonisation et la désartificialisation des sols (impliquant notamment une modification en profondeur du Plan Local d’Urbanisme), une politique d’accès au logement plus inclusive avec notamment une politique d’encadrement des loyers mais aussi pour des mesures particulièrement engagées vis-à-vis des étudiants : modes d’habitat alternatifs pour les jeunes, tarification solidaire pour les moins de 30 ans et gratuité des transports jeudi, vendredi et samedi soir. Talence en transition reprend aussi à son compte le projet de ligne E reliant le CHU Pellegrin au quartier de Thouars, en y ajoutant une volonté de « rejoindre Pellegrin ou Arts et Métiers depuis la gare de la Médoquine en quelques minutes », le tout en souhaitant faire d’Arts et Métiers un « quartier étudiant vivant » et en développant sur le campus, en parallèle de la vaste opération « Innocampus », des « espaces publics mis à disposition gratuitement pour des durées limitées » et, sur l’ensemble de la commune, « des lieux adaptables, plus ou moins éphémères pour favoriser l’accès à la culture (salle de spectacle, d’exposition), la vie sociale (bar, cantine autogérée) et bien d’autres usages à imaginer (micro-brasserie, imprimerie solidaire, fablab) ». La liste milite enfin pour la réintroduction de « services publics forts », avec notamment la création d’une mutuelle municipale pour les plus fragiles. Commentant l’action municipale, Isabelle Rami affirme qu’elle « n’a pas pris le tournant ni compris les urgences et la nécessité de changer de braquet. Je ne vois pas transparaître la transition sociale et énergétique dans le projet de ville. J’ai analysé six budgets municipaux consécutifs, ce que je peux voir ressortir, ce sont des indicateurs comptables. La dette baisse mais tous les ans, où voulaient ils aller ? Dernièrement (en décembre), on a voté un plan pour changer l’éclairage public à 2,25 millions d’euros (passage en LED de l’éclairage public). Il n’y a pas de globalité ou de réflexion profonde, le chemin continue tout droit. Ce qu’on veut, c’est changer d’axe, aller vers une commune qui change de direction et prend tous ces enjeux de façon globale ».
Le maire sortant, lui, défend son bilan sur les réseaux sociaux : « limitation de construction à R+1 dans tout Talence hors axes de circulation, trois millions d’euros investis dans le rachat du château des Arts, 7000 mètres carrés supplémentaires d’espaces verts créés », il défend un bilan autour d’un slogan : « ensemble, nous l’avons fait ». Pour ce qui est des propositions, en revanche, elles ne seront pas sur la table avant mi-février. Interrogé, le maire sortant défend tout de même des priorités majeures et se défend d’un appel à la participation citoyenne trop appuyé. « Le programme repose sur la transition écologique et le défi climatique. Il n’y a pas besoin d’étiquette politique, on essaie de l’intégrer comme un élément transversal et pas comme un dogme unique et principal. Ça passera pas la préservation du cadre de vie et des équilibres, les solidarités, la proximité et la sécurité. La participation citoyenne servira de méthode, elle ne sera ni dévoyée, ni en opposition. On a le suffrage universel, à un moment il faut savoir faire participer les citoyens en le respectant, sans en faire une légitimation des actions politiques. Je veux éviter les inventaires à la Prévert qui disent que tout doit être vu. On est la première ville à avoir mis en place le budget participatif en Gironde, on fait des ateliers de ville pour les grands projets (Médoquine, Grand Peixotto), il faut faire confiance aux citoyens, y compris au travers de nouvelles instances à créer qui nous permettraient d’avoir des remontées en essayant de toujours respecter leur parole. Je préfère fixer des règles, être ambitieux mais raisonnable. Un maire tire sa légitimité d’une équipe et d’un suffrage universel. Il ne faut pas opposer les deux systèmes, le suffrage doit permettre d’instaurer une vraie participation citoyenne sur tous les sujets, et pas simplement sur un sujet donné ». Emmanuel Sallaberry, enfin, dit vouloir s’intéresser, dans le corridor écologique, à la « gestion et la place de l’eau en ville (refroidissement, décoration, social) et à l’amélioration de la qualité de l’air intérieur en plus de la végétalisation. Je ne veux pas faire l’Eurovision de l’arbre. Talence est une terre d’innovation, elle pourrait accueillir de nouvelles forêts urbaines en autonomie, on a déjà identifié des parcelles à créer. Je ne veux pas de l’écologie comme une religion, on peut faire du développement durable en faisant du social ».
Stratégie de campagne
Côté stratégie, en plus d’une présence sur les réseaux sociaux, les trois listes affirment vouloir fixer les choses au travers de réunions publiques. Le maire, lui, devrait présenter son programme à la mi-février. Pour Talence en Transition, le vote final de la liste devrait arriver dans les prochains jours, et une réunion centrée sur « la reconquête des services publics » est déjà programmée le mardi 4 février prochain à l’Espace François Mauriac. Enfin, Nouvel Esprit Talence a annoncé une réunion publique d’ensemble à la fin du mois de février. À Talence comme dans d’autres communes de la métropole, le scrutin se fera donc sur deux tendances : une municipalité déjà installée dans son fauteuil (avec Alain Cazabonne en veille) et une « alternative », une « rupture » prônée des deux côtés, se revendiquant aussi citoyens l’un que l’autre. Lors des dernières municipales Alain Cazabonne avait recueilli 50,7% des voix au premier tour face à la gauche (Arnaud Dellu pour le PS, Bernard Conte pour l’extrême gauche) et à EELV (Monique de Marco qui fait partie des colistiers de Talence en Transition) qui, à eux trois, avaient récolté 49,29% des voix.