Effort collectif
La pression immobilière bordelaise est un fait connu : en 2017, Bordeaux a connu une hausse des prix de 12,1% et atteint un prix record de 3590 euros du mètre carré pour lesquels les faibles taux de crédit et la reconduction de la loi Pinel ne sont qu’une partie de l’explication. En janvier, le maire de Bordeaux avait dévoilé les prémices d’une nouvelle « stratégie de l’immobilier », dont fait partie le programme des 50 000 logements le long des axes de transports (des appartements en accession à 2500 euros du mètre carré). Reste que pour le maire de Bordeaux, bloquer les prix pour enrayer la spéculation n’est pas forcément la recette gagnante, jouer sur le foncier et dissuader les promoteurs de se livrer à des enchères qui font flamber les prix semblant être une piste préférable. L’entrée de la métropole dans l’établissement public foncier de Nouvelle Aquitaine pourrait grandement aider à cette perspective, même si Alain Juppé avait confié que la métropole allait prendre sa part du débat. Lors de ses voeux à la presse en janvier, il avait également reparlé de l’établissement d’une future charte du « bien construire » pour lutter contre les malfaçons dans les bâtiments, logements où équipements, les problèmes survenus à l’Éco Quartier Ginko en 2015 et ses conséquences n’étant que la partie émergée du problème, l’objectif des 9000 logements neufs par an pouvant cacher quelques finitions hâtives…
Cette dernière a donc été signée et présentée officiellement ce vendredi à l’ensemble des partenaires ayant pris part à sa construction (Fédération française du Bâtiment Gironde, Agence Qualité Construction, Ordre des architectes de Nouvelle Aquitaine et Fédération des Promoteurs immobiliers de Gironde). Si le fait de signer des chartes avec les promoteurs, pour Bordeaux et les communes de la métropole, n’est pas vraiment nouveau, on s’est quand même interrogés sur le contenu concret de ces onze pages. Premièrement, elle n’a aucune valeur juridique et ne paraît pas être particulièrement contraignante, la métropole précisant qu’elle « ne se substitue pas au normes et règles en vigueur ». Cependant, elle compte agir sur trois points importants. Le premier est le plus concret de tous : recourir davantage aux architectes même dans la phase d’exécution des travaux, limiter la sous-traitance et désigner un « interlocuteur unique à la livraison de chaque opération », histoire que les futurs acquéreurs ne se retrouvent pas avec cinquante partenaires sans savoir à qui serrer la main. Ces trois points, à entendre Marie-Ange Gay Ramos, présidente de la FFB Gironde, font davantage office de « proposition » que de contraintes. « Quand on a trop de sous-traitants, on ne voit jamais l’opérateur ayant pris le marché et on a un problème de qualité(…). On sort de crise, les maîtres d’oeuvres ne sont pas forcément équipés dans leurs agences pour avoir quelqu’un qui fait de la coordination, du pilotage ou du bureau d’études », précise-t-elle. Un effort sera donc à faire pour les opérateurs, à chaque étape du processus.
Missionner dès le départ un bureau d’études énergie/environnement fait aussi partie des engagements, histoire que les objectifs énergétiques ne soient pas la variable d’ajustement dans un contexte où la demande est encore bien supérieure à l’offre. « Une démarche d’architecture bioclimatique sera privilégiée » précise d’ailleurs le texte en page six, de même que « l’utilisation potentielle des toitures et des façades comme support énergétiques » (panneaux solaires). Histoire de ne pas fâcher les adorateurs du patrimoine, pas forcément heureux de voir des immeubles pousser à côté de bâtiments Unesco, la charte précise que « le constructeur mènera une réflexion sur la conservation ou la démolition du bâti existant sur le terrain en s’interrogeant sur la valeur patrimoniale ou symbolique du bien(…) les promoteurs et bailleurs veilleront à réutiliser les matériaux issus de la déconstruction, de préférence sur le site lui-même ». La mission complète des architectes (avec suivi des travaux et des performances énergétiques » paraît en tout cas être l’un des points les plus importants du volet chantiers, confronté à un rendement toujours élevé pour faire face à la demande. Aux garants de l’urbanime d’équilibrer la balance entre le calendrier des nouvelles constructions et la qualité de leur réalisation, le tout sans que cela coût plus cher à l’un où à l’autre. « Tout le monde avait conscience que c’était un engagement de longue durée, on a donc tous été attentifs à ne pas surcharger en termes de coûts les opérations. On ne peut pas souhaiter des coûts maîtrisés et en rajouter toujours un peu plus », précise Jacques Mangon, maire de Saint-Médard-en-Jalles et vice-président de Bordeaux Métropole en charge de l’urbanisme, tout en précisant qu’il fallait « maintenir une offre de logements suffisante et un rythme de production élevé dans cette métropole attractive. Si on ne maintient pas cette offre là, les prix vont s’envoler encore plus ». Vu les derniers blians, cette perspective n’enchante évidemment personne…
Quizz citoyen
Le troisième volet de la charte du bien construire fait davantage dans le participatif que les autres. Il propose en effet d’évaluer « dans la durée » la qualité des opérations. Plus clairement, il s’agira de réaliser deux types d’évaluations : une à destination des « experts » (« en phase de chantier, de livraison où à l’issue de l’année de garantie d’achèvement ») et une autre, plus directe, à vocation citoyenne. Adressée aux habitants, salariés, artisans, gestionnaires des opérations sous la forme de questionnaires, elle aura lieu à la livraison, puis au bout d’un et trois ans après livraison afin qu’il y ait un suivi dans le temps. Ledit suivi n’a pas forcément été facile à faire accepter, comme le révèle Jacques Mangon. Cette notion du contrôle citoyen faisait peur aux opérateurs, il a fallu qu’on se cale sur des niveaux de contrôle ». À entendre Alain Ferrasse, président de la Fédération des Promoteurs immobiliers Aquitaine-Poitou-Charentes, « il est nécessaire que la métropole accepte en son sein la densité de proximité, peut-être modérée, certes, mais de la densité quand même ». Cette densification souhaitée par les opérateurs, récemment décriée dans plusieurs projets (l’un d’entre eux ayant récemment fait la une), serait-elle le principal motif de la crainte des consultations citoyennes ? S’il n’apparaît pas comme étant une réponse contraignante, le label « bien construire à Bordeaux Métropole », auquel tous les signataires de cette charte seront éligibles, pourrait-être un premier pas, surtout en découvrant les clauses précises de la charge en question en matière de suivi de projets.
Délivré pour trois ans, ce label pourrait être retiré aux « mauvais élèves » en cas de malfaçon, condition qui s’ajoute à une réévaluation de la charte par les signataires « au minimum » une fois par an. « Si on devait avoir des appréciations convergentes et négatives sur tel ou tel constructeur, on pourrait lui retirer son label, mais on part du principe que tout les signataires de la charte ont droit au label puisque le but, c’est qu’ils l’appliquent », continue le vice-président de Bordeaux Métropole, affirmant à qui veut l’entendre qu’elle « aura une forte valeur pour les opérateurs parce qu’il y aura un contrôle par les citoyens et qu’aucun opérateur n’a envie d’être considéré comme ne répondant pas à ces exigences. Beaucoup de maires diront aux opérateurs que s’ils ne s’y intègrent pas, ce sera un obstacle ». On comprendra aisément l’intérêt de ceux ne faisant pas partie du « bien construire » à s’y intégrer… Tous les acteurs de la construction peuvent prétendre à l’adhésion de cette charte qui, si elle pourrait notamment concerner le quartier des Bassins à flots ou Brazza, est destinée autant au public qu’au privé. « Parfois, dans le secteur privé, nous avons moins de prises auprès des organismes qui construisent. Ça ne veut pas dire qu’on ne le fera pas dans nos opérations publiques, mais ce qui nous pose problème, c’est certaines opérations privées dans les communes de quelques dizaines ou centaines de logements qui ne sont pas toujours de qualité », précise Michel Duchène, vice-président de la métropole en charge des grands projets d’aménagement urbain, en citant d’autres balcons effondrés. « On ne peut pas continuer comme ça, il faut que la construction soit de meilleure qualité. On parle de la construction en général, pas obligatoirement le logement même si c’est prioritaire ».
La métropole engage chaque commune à présenter cette charte du bien construire lors d’un conseil municipal et à désigner elle-même un référent par commune. Même s’il est encore trop tôt pour dire quelles opérations l’intègreront pleinement, Bordeaux Métropole table sur l’objectif d’en associer « entre vingt et trente » en 2018. Quant-à la régulation du foncier, le maire de Saint-Médard-en-Jalles assure que la métropole y réfléchit activement et que de nouvelles pistes pourraient être dévoilées dans les prochaines semaines. Pour Marie-Ange Gay Ramos, « cette régulation, ce n’est pas l’augmentation des prix pour les entreprises qui travaillent à la réalisation d’opérations, c’est plutôt que chacun trouve son équilibre. Les entreprises ont peut-être un peu augmenté leurs prix, mais je ne peux pas entendre qu’ils ont augmenté de 25%, ce n’est pas vrai. L’intérêt de cette régulation, c’est aussi d’avoir un projet validé en permis de construire plus rapidement pour qu’on puisse faire une étude convenable derrière. On se retrouve avec des permis qui prennent parfois plus d’un an à être délivrés. Ça fera partie des choses qu’on demandera au nouveau préfet, le fait que les services d’urbanisme soient très attentifs au permis de construire et qu’on ne se retrouve pas avec des délais délirants qui décalent toutes les opérations ». Et même si les bureaux d’études n’ont pas été associés à la concertation pour établir la charte en question, la responsable reste pragmatique : « ce n’est pas parce qu’on n’est pas signataire d’une charte qu’on ne peut pas continuer à bosser »… Car si bien construire est un objectif louable, c’est bien freiner la bulle immobilière de cette « métropole millionnaire » qui paraît être le chantier plus urgent… En attendant cette échéance, le nom des futures opérations concernées par l’application de la « charte du bien construire » devraient être dévoilées dans le courant du mois de mars.