Si en 68 les femmes envoyaient voler leur soutien-gorge, quarante-huit ans plus tard, on ne peut que le constater, les combats pour la libération féminine ont du plomb dans l’aile. Remise en cause de l’avortement, violences conjugales, discriminations, précarité, monoparentalité… Si on sait comment on fait les bébés, on ne sait toujours pas s’il y a « un chromosome de la petite voiture » et ce qui, au-delà du genre, distingue vraiment ou non les filles et les garçons. Rose Barbie pour les unes, kaki G.I. Joe pour les autres, entre ces deux modèles dominants, longtemps, point de salut. Côté support imprimé, pendant des années, les livres ont véhiculé des stéréotypes où la mère au foyer reprisait, faisait la cuisine ou oeuvrait dans des métiers subalternes pendant que le père fumait sa pipe, lisait son journal et avait une vie sociale. Depuis, les choses ont évolué, les livres d’apprentissage de la lecture ont véhiculé d’autres messages, les collections pour la jeunesse se sont multipliées pour envoyer voler les méthodes éducatives de la comtesse de Ségur et diversifier les histoires de pirates où les héroïnes (quand il y en avait) ne savaient que s’évanouir. Oui mais voilà !…
Martine… Le retour !
« On assiste à une véritable dégradation et non à un sexisme par inadvertance ou hasardeux » constate Josée Lartet-Geffard, après son rapide panorama historique de la manière dont sont représentés les filles et les garçons dans les ouvrages pour enfants. » La réédition des livres des années 50 comme les Martine avec sa catastrophique représentation féminine est symptomatique ». Car si la petite culotte blanche apparente et la bretelle qui tombe sur une épaule nue ont disparu, « la préfiguration de la future parfaite ménagère évoluant dans un monde aseptisé hors de toute réalité sociale est toujours présente ». Les éditions Talents Hauts font partie de ces petits éditeurs jeunessedont la caractéristique est de développer un catalogue consacré enpartie à des textes « tordant le cou aux clichés sexistes ». Exemple, La princesse et le dragon.« Il était une fois une princesse qui s’appelait Elisabeth et qui, très hardiment, sauvera le prince Romuald des griffes d’un terrible dragon »… Un carton commercial qui ne faiblit pas. Unealternative à la ligne éditoriale développée par les éditions Fleurus qui cloisonnent leurs collections et proposent (notamment) des abécédaires pour les filles et les garçons. Même Gallimard se met à éditer en rose et bleu …
Difficile de désinstaller un programme initialisé depuis des lustres, perpétué et entretenu par les adultes eux-mêmes. « Les demandes des parents sont très traditionnelles ». Moi-même, en étant consciente et en constatant des dérives sexistes, je ne me sens pas à l’abri d’avoir une attitude coincée dans une image stérétypée », reconnait Virgine Antoine, bibliothécaire, aux premières loges des comportements ». « J’arrive à trouver et je propose des choses formidables dans ma librairie formidable », déclare avec humour Ariane Tapinos, responsable de la librairie spécialisée jeunesse Comptines. Mais d’une manière générale, si on regarde les vente, ce sont les livres à petits prix qui se vendent le mieux au détriment de ceux qui ont du contenu. Dans les grandes surfaces ce sont les livres sexistes qui marchent ».
Photos : IC & éditions Talents Hauts
Isabelle Camus