Après avoir fait l’autruche depuis 2001 à propos de la directive européenne sur les cultures OGM (Organismes Génétiquement Modifiés), le pouvoir politique a décidé les jours derniers, par décret, d’en appliquer l’essentiel, ce qui instaure notamment des règles de déclaration et de distances entre cultures OGM et conventionnelles. Ce dernier point, avec un éloignement imposé de seulement 50m est loin de satisfaire les anti-OGM et les producteurs bio. La Confédération Paysanne de la Gironde critique vivement la procédure gouvernementale ce qui, selon elle, « justifie la désobéissance civile ». En revanche, la chambre d’agriculture « Coordination rurale » de Lot-et-Garonne, se range aux côtés de « l’ogmiculteur » de Lot-et-Garonne qui est assigné en référé devant le tribunal de Marmande « dans la mesure où il respecte la légalité ».
Le dard de l’abeille
Cette règle des 50 mètres considérée comme suffisante pour protéger de la dissémination des pollens de maïs OGM prête à sourire lorsque l’on prend connaissance des constats effectués l’an passé sous contrôle d’huissier en Lot-et-Garonne, constats que nous évoquons d’ailleurs depuis quelques semaines dans un article ci-contre. L’affaire a depuis rebondi puisque un apiculteur de ce même département, Maurice Coudoin, déjà célèbre par la guerre qu’il a victorieusement mené contre des spécialités phytosanitaires considérées comme nuisibles aux abeilles, le Gaucho et le Régent, s’attaque désormais au maïs Bt (rappelons au passage que Bt, vient de Bacillus thurigiensis, la bactérie qui a fourni le gène intégré au maïs pour le rendre « insecticide ») en assignant en référé devant le tribunal de Marmande, avec le soutien de son syndicat, de la Confédération paysanne, et du Groupement de Défense sanitaire des abeilles, Claude Menara. Un producteur qui a signifié son intention de multiplier par deux ses surfaces de maïs génétiquement modifié. L’affaire doit se plaider le 5 avril prochain. Maurice Coudoin s’appuie sur les résultats des analyses demandées à un laboratoire indépendant qui révèlent que le pollen du maïs est transporté bien au-delà de 50m: des taux de contamination importants dans les ruches sont détectés jusqu’à 1 200 mètres. Les apiculteurs craignent que la toxine délivrée par le maïs manipulé ne fasse pas la distinction entre les parasites de la plante et l’abeille, d’autant que celle-ci ne parait guère s’accoutumer à l’arsenal de l’agriculture moderne. L’action de l’apiculteur vise de toute évidence autant à faire barrage aux OGM qu’à la propre protection de son rucher puisque les deux sites sont distants d’une vingtaine de kilomètres. Cependant si, comme on semble en prendre le chemin, le moratoire sur les OGM est levé, les campagnes risquent de se couvrir de variétés de maïs OGM. Les apiculteurs étant ainsi amenés à déplacer leurs ruches en fonction de leur quête de floraisons, peuvent s’exposer aux disséminations.
L’appât du grain ogm
Tandis que nombre de maïsiculteurs semblent ne plus résister à l’appât du grain génétiquement modifié, une contre-expertise effectuée par le CRIIGEN de Corinne Lepage et du professeur Gilles-Eric Seralini sur le maïs « Mon 863 » révèle pour le moins des éléments troublants. Ces chercheurs n’ont pas effectué leur propre expérimentation, mais travaillé sur les dossiers de Monsanto qui, selon eux, étaient dissimulés, et que, toujours d’après le CRIIGEN, ils ont eu du mal à obtenir. L’analyse de ces dossiers a, affirme cette association, fait ressortir chez les rats nourris aux OGM des perturbations sur le foie et les reins. Selon le professeur Seralini, on a constaté une hausse de 40% des graisses dans le sang des femelles, des variations importantes des taux de sodium et de phosphore dans l’urine des mâles, soit des signes « identiques à ceux provoqués par une intoxication aux pesticides ». Le CRIIGEN en conclut qu’il est nécessaire que de nouvelles études soient effectuées par des laboratoires indépendants.
Mais qu’est-ce qui fait courir les agriculteurs vers le maïs génétiquement modifié? On peut en effet s’interroger sur le choix que font certains qui semblent ne se préoccuper ni de leur image, ni du rejet des OGM par les consommateurs. Ces derniers ne semblent en effet ne pas avoir grand chose à gagner des OGM, tout au moins des OGM végétaux de première génération, si ce n’est de voir des caractères insecticides et polluants remplacés par d’autres (il pourrait en aller différemment avec des OGM propres qui apporteraient de nouvelles qualités alimentaires et seraient moins exigeants en engrais et eau). Cependant, l’exemple espagnol est là -plus de 60 000ha de maïs génétiquement modifié- et une étude de l’AGPM (Association Générale des Producteurs de Maïs) française indique qu’il est économiquement intéressant de basculer vers l’OGM dès que le gain de rendement dépasse 3,5 quintaux à l’hectare. Or, la même étude montre que le « plus » peut aller jusqu’à 30 quintaux à l’hectare par rapport au maïs conventionnel non traité en zones infestées par la pyrale. Le surcoût de semence n’étant que de 40 euros à l’hectare (on peut estimer le prix du maïs récolté à 12 euros le quintal) il n’y a donc pas photo.
Le non des amidonniers
La filière maïs doit cependant compter avec le marché. La branche alimentation animale, en particulier en Espagne, ne s’interroge pas sur le caractère OGM ou non de la céréale, et une bonne partie du maïs du sud-ouest est exporté de l’autre côté des Pyrénées. En revanche, les amidonniers (Cargill, Roquette entre autres) ne changent pas d’un iota la position qu’ils exprimaient en 1998. Le délégué général de leur syndicat (USIPA) Jean-Luc Pelletier nous l’a confirmé. « Le point de vue de nos clients n’a pas changé depuis 1998. Le maïs OGM ne présente aucun intérêt économique pour nous, et nous ne souhaitons pas commercialiser des produits soumis à étiquetage. C’est la raison pour laquelle nous achetons uniquement du maïs conventionnel. » En revanche l’amidonnerie, qui absorbe 37% du maïs français, n’entend pas accorder un différentiel de prix au maïs non OGM, estimant que l’opportunité du débouché se suffit à elle même. Ces exigences et celles des consommateurs impliquent cependant des règles de séparation au niveau de la filière de production qui ne seront pas sans couts. De plus d’éventuelles « bavures » en la matière font planer une véritable épée de Damoclès sur le marché et sur l’intérêt du maïs.
Gilbert Garrouty