Chorégraphe, danseuse, chanteuse, entremetteuse de talents et agitatrice en tout genre, la déesse mi- angélique, mi-satanique, nous convie à travers une vingtaine de manifestations dans les méandres de sa créativité. A ses côtés de nombreux invités, tous perturbateurs d’ordres établis, à l’imagination cruellement débridée. Immersion dans deux jours de Grandes Traversées.
« The mysteries of love » ou l’art de réveiller les corps
Lundi soir, au Carré des Jalles, la salle semblait avoir été transpercée de spasmes à l’issue d’un final métal au goût apocalyptique, installé insidieusement par Erna Ómarsdóttir et son pendant blond Magrét Sara Gudjónsdóttir. Toutes deux vêtues de roses, les deux femmes-enfants entrent en scène, angéliques, la voix cristalline, interprétant une comptine islandaise à l’intonation légèrement inquiétante. Progressivement, le décor se plante ; une lumière rouge angoissante et une fumée évanescente s’installent pour ne plus quitter le plateau, complétées d’un jeu d’orgue flamboyant. La scène qui suivra ressuscitera ce qui pourrait être la Carrie de Stephen King, rapidement réincarnée en petite Regan, mythique possédée de L’Exorciste de William Friedkin. Sur scène, les corps se font poupées désarticulées et déraisonnées, en proie à une hystérie passant du simple râle à des secousses ultra-violentes, grognements, rires incontrôlés et autres manifestations de démence, voix et corps indissolublement mêlés. La personnification de l’adolescence en somme, avec ses changements d’humeur et ses codifications sociales, mais vue par le prisme obscur et déroutant d’une artiste de son temps, jusqu’à l’extrême. Ici, pas de signe identifiable, juste des corps qui chahutent, s’élancent, s’enlacent, se frappent ou se tétanisent, se métamorphosant en gargouilles éructantes. Et la force d’une représentation qui tient au pouvoir des mots, de la musique, des images et des interprètes. On aime la malignité d’Erna et sa force d’incarnation et l’on se réjouit de découvrir la pétillante Magrét Sara (aperçue à l’inauguration du lustre de Jean-François Buisson), parfaite à l’opposé dans la désincarnation et dans l’horreur. La réception est immédiate ou ne sera pas, mais pour ceux qui aiment, il reste à ce jour une expérience singulière, un amer goût de fureur et le souvenir tumultueux de ces deux Annie « soattractive, active, brave, sexy… ». Autrement dit « Blood, sweat, métal and tears » comme nous l’avait promis Eric Bernard, directeur des Grandes Traversées.
Still Live et Dead Meat : aux antipodes de la danse contemporaine
Le lendemain soir au Cuvier de Feydeau, l’ambiance était apaisée avec ce premier spectacle Still Live. Invité des Grandes Traversées, Salva Sanchis proposait une chorégraphie de l’immobilisme et de la spatialité, propre à décourager une bonne partie du public présent. Si certains ont pu y voir une formidable façon d’explorer le geste et le mouvement dans toute leur complexité, y compris dans leur intériorité, d’autres se sont sentis exclus de ce travail exigeant, voire élitiste. Proche de l’improvisation dansée, ce spectacle dénué de générosité n’a pas tardé à enfermer le spectateur dans la douloureuse position d’otage, contraint de respecter un silence religieux dû à une bande son quasi inexistante. On regrette que le chorégraphe n’ait pas su raccourcir ce spectacle à ses 20 premières minutes et l’on se demandera toujours à quoi pouvaient servir ces blocs jaunes en fond de salle et cette pierre à l’avant ?
Dans un tout autre registre, Dead Meat, courte performance dansée d’une trentaine de minutes, nous permettait de retrouver avec plaisir l’interprète Magrét Sara Gudjónsdóttir et le danseur Knut Berger, présent l’année passée dans le Big in Bombay de C.Macras. Sur fond de musiques actuelles et de culture urbaine, le duo exposait, tour à tour, corps et personnalité, évoquant des notions comme le pouvoir et la domination, l’individualité, la relation amoureuse ou l’interprète face au public. Avec comme seul entourage des murs nus, tels une quelconque friche industrielle, et une lumière frontale permettant de rappeler la distance scène-salle. Un spectacle dynamique et résolument contemporain, qui ne passera sans doute pas à la postérité, mais qui aura eu le mérite de nous faire oublier la première partie de soirée.
Restait un spectacle à la Base sous-marine en présence d’Erna Ómarsdóttir, sans doute une excellente occasion de poursuivre ces Grandes Traversées et de continuer à questionner son imagination, à travers des formes détonantes, qu’elles soient appréciées ou non
Hélène Fiszpan
Les Grandes traversées du 11 au 18 novembre 2007 dans le cadre de Novart Bordeaux
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