Cyril Beros, l’animal nocturne


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Cyril Beros, l'animal nocturne

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Temps de lecture 15 min

Publication PUBLIÉ LE 13/04/2017 PAR Romain Béteille

Le monde de la nuit a toujours eu la réputation d’être à part. Ceux qui gravitent autour aussi, un peu. C’est bientôt la fin de la semaine. En arrivant rue Lacornée, la chaleur du dehors est écrasante. En rentrant dans ce qui fait office de bureau pour le Bootleg, salle de spectacle bordelaise qui entrera en liquidation en mai prochain après un redressement judiciaire en 2015, tout est sombre. Pas de lumière au plafond, un fatras indescriptible règne. Les pieds enfoncés dans des tennis fluos, les jambes croisées sur son bureau, lunettes de soleil sur les tempes et clope au bec, Cyril Beros nous donne l’air d’être attendus. Lui, le « monteur de lieux qui démontent », le « saxon » comme on le surnomme parfois, est tout sauf un timide. Expansif, excessif, même, il n’a rien à cacher. Drogue, sexe, argent : le tryptique ne sera pas éludé. Cheveux longs en bataille, derniers témoins, avec quelques cernes, de nuits courtes formant son quotidien depuis 25 ans, épaules et mains larges qui font autant rire que la pub de Gad Elmaleh pour LCL (pas du tout, donc), il fait face à un virage autour duquel il semble avoir dessiné la suite du chemin. On lui aurait déjà proposé trois postes de direction. Lui se voit plutôt skipper sur un quatamaran ou en train de retaper des cadres de moto en Inde. « D’ici à la boîte en sapin, moi, c’est la vie, à balles », dira-t-il. 

Cyril parle en ellipses, ouvre des parenthèses dans les digressions, se perd un peu avant de retrouver le fil de sa pensée. C’est un tempérament fort qui ne peut pas s’empêcher de parler des gens en mettant en scène ses conversations. Ce que l’on pourrait le plus rapprocher d’un « écorché vif », mais personnellement on trouve que ce serait quand même vachement réducteur. Essayer de le comprendre, c’est rentrer dans son jeu, faire face à son « feu sacré » autant qu’à son égo. C’est aussi, un peu, découvrir l’envers d’un décor en carton-pâte derrière lequel se cachent quelques démons. Face à ce carrefour qui va déterminer la prochaine route à prendre, il a accepté de nous accorder du temps pour revenir un peu en arrière, tel un vieux rocker qui pioche dans les 33 tours de ses anciens tubes. Sans regrets, sans nostalgie, sans états d’âme. « J’ai toujours été circonspect et j’ai toujours gardé des relations cordiales. C’est vrai que je manie le français avec une certaine facilité et que j’ai une très bonne capacité à répondre des choses odieuses dans un français impeccable », risquera-t-il avec un clinquant sens de la formule. Il nous a tendu un vieux coffre à jouets un peu usé sur lequel était marqué « sexe, drogue et rock-n’roll ». On n’a pas résisté à l’envie de l’ouvrir. Laissez donc vos préjugés au placard, le voyage vaut le coup d’oeil. 

Bonnes notes

On n’en saura que très peu sur l’environnement familial de Cyril, né en Algérie et arrivé à Bordeaux en pleine adolescence, âgé d’à peine quatorze ans. Un père diplomate à l’ONU et restaurateur, une mère avocate, on peut imaginer que les débuts ne sont pas trop du genre « défavorisé ». Si du côté des notes en classe, il y a des hauts et des bas, celles des instruments de musique, en revanche, le captivent déjà tout gamin. « Je tapais des pieds à quatre ans pour faire du piano, à onze ans on m’a refusé la batterie, à dix-sept ans on n’a pas pu m’empêcher d’aller me chercher un saxophone et à 21 ans je me suis barré pour ne plus faire que ça. C’était les études ou le rock. J’ai choisi. Un jour, je me suis dit que je devais savoir jouer de la guitare. Je me suis enfermé dans une pièce et deux ans après, je jouais un morceau de Steve Vai note à note. J’ai joué en deux ans ce qu’un guitariste avec des cours normaux joue en douze ou treize ans ». Au début des années 90, Cyril chante dans un groupe de rock, « General Store ». Mais, à l’entendre, pas selon le schéma classique de la bande de potes qui veulent juste se faire un petit boeuf.

« Le premier groupe, ça n’était que des reprises. C’était un projet professionnel. Ça veut dire que 90% des morceaux que je jouais me faisaient chier. Par contre, je gagnais ma vie. J’ai toujours dormi très peu et travaillé énormément. Je ne sais pas si c’est une chance parce que ça m’épuise, mais ça a toujours été comme ça. Je fais avec. Dans mon métier, être doué, c’est la base. La seule différence, c’est le travail. On était minables, on ne savait rien jouer. On a fait peut être 450 répétitions d’affilée. Sur les deux premières années, je pense qu’on a dû rater deux ou trois répets’. On jouait tous les jours. On avait une réputation en arrivant dans les bars. Je vendais ça très facilement, il suffisait d’être là. Le secret, ce n’est pas le don, c’est la vente. Je suis un connard internationalement reconnu, mais réglo sur la finance. Par contre, je peux vendre une photocopieuse en mangeant des nems dans un resto chinois ». On se demande parfois s’il ne prépare pas ses punchlines en les notant sur un calepin.

Forçat du turbin

Ses références sont celles de beaucoup d’autres fans de musique : variées, de Motorhead en passant par Miles Davis ou Public Enemy jusqu’au récent Little Dragon. C’est son carburant, en quelque sorte. Ça et la fête, pour laquelle il revendique un « diplôme d’ingénieur ». L’époque est belle : l’après-midi, répétition dans la cave où a été enregistré le premier album de Noir Désir. Le soir, Cyril part se vendre. Partout. Tout le temps. Il a le sens des affaires comme Chirac celui de la politique. Et un goût immodéré pour les femmes, que la nuit et le travail d’ingé son ou d’artiste rendent plus accessibles, selon une certaine légende du milieu. « Je gardes un souvenir ému d’une responsable d’EDF chez qui j’avais été faire une soirée et qui avait vraiment un goût assuré. Les rangs de perles sur les brunes m’ont toujours fait quelque chose », confesse-t-il, sourire au lèvres et les yeux en l’air. Cyril ne rechigne pas à la tâche : évènements privés, partis politiques… tous les organisateurs de soirée lui vont. Les concerts se comptent en centaines et les travaux de sonorisation aussi. A 24 ans, il se retrouve assistant au Doremi, discothèque symbolique de la ville à l’époque et précurseurs des soirées électro. « Je travaillais déjà depuis trois ans avec un des patrons avant même l’ouverture de la salle. On l’avait intégralement construite de nos mains », à coups de « 70 à 80 heures par semaine depuis l’âge de 21 ans ». 

Forçat du turbin, Cyril restera aussi le témoin, jusqu’à aujourd’hui, du problème des stupéfiants chez les jeunes, en particulier la drogue dans laquelle il affirme aussi avoir roulé sa bille. « Quand je m’étais fait crever parce que je fumais des joints, on avait fait une réunion de famille. Ma grand-mère m’a dit que pour elle, le hash, c’était de la confiture et qu’en plus, elle buvait de l’absinthe. Pour parler de ça à des jeunes, il faut savoir de quoi on parle (…) Cela dit, je n’ai jamais confondu entre faire la fête et l’encadrer. Dans la formation professionnelle, c’est une chose sur laquelle j’ai beaucoup insisté auprès des jeunes qui sont passés chez nous. Nos métiers sont très exposés aux stupéfiants, ne serait-ce que l’alcoolisme. Je considérais que ne pas leur en parler était une erreur dramatique. Je n’étais pas leur mère, mais il ne fallait pas qu’ils me prennent pour un con… Au Bootleg, notre politique de prévention des pratiques festives à risques nous a permis de voir chuter de quasiment 30% les problèmes liés aux stupéfiants dans le club. Quand j’étais au collège, les plus sauvages, dont je faisais partie, avaient découvert le hash. Il a fallu que j’attende d’arriver dans la banlieue londonienne pour être confronté aux drogues de synthèses. Aujourd’hui, au collège, ils ont tous vu du hash, de la coke et du MDMA. Au lycée, vous avez trois ou quatre jeunes dans chaque classe qui, tous les week-ends, en consomment dans toutes les fêtes. Quand ils viennent à 24 ans au Bootleg, les plus performants consomment des stups depuis huit ans. Et on va distribuer des « Roule ta paille » ? Je ne suis pas leur mère, je fais en sorte de les sécuriser. Le fait qu’ils le soient enlève tout enjeu à la transgression ». 

Trip étoilé

Pour faire un bon cocktail, mieux vaut harmoniser les mélanges. Inutile en revanche d’essayer de brancher Cyril sur la politique, lui qui n’a glissé qu’un seul bulletin dans l’urne, celui d’une certaine Eva Joly.  » Voter pour qui ? Des mecs qui détournent de l’argent public ? Des condamnés ? » Jeune, il se revendique communiste révolutionnaire. Aujourd’hui, il s’est un peu assagi, mais conserve quand même quelques restes. « Je me suis rendu compte un jour que couper les têtes, ça laissait quelques amertumes. Je suis tombé un jour sur l’Économie sociale et solidaire et ça m’a convaincu. Ça m’a permis de me calmer ». Avant ça, vous pouvez compter quelques années à l’international, entre 1995 et 1998. D’abord au sein de la Londres Media School, à Brixton, pour perfectionner son étude du son. Des études qu’il dit s’être « intégralement financées, sauf l’argent de ma mère qui me permettait de manger ». Son diplôme, signé par un des producteurs de U2 et d’INXS, il l’avait affiché au mur de son bureau il y a quelques semaines encore. Que reste-t-il de cette période qui ne figure que très peu sur son C.V professionnel ? Un surnom d’abord.

« On m’appelait le nègre, parce que j’étais le seul blanc. La deuxième année, je faisais quelques plans de sono avec des potes jamaïcains, on ne gagnait pas grand-chose. J’ai vu une annonce dans laquelle ils cherchaient des français pour classer des pubs dans une équipe marketing d’une branche de Channel 5. Dans ma tête, c’était peut-être l’occasion de mettre un pied dans le truc ». Embauché quelques mois, il en partira, « gonflé » dans deux sens différents. « Je me suis barré, blindé de pognon et je suis allé faire l’idiot à Miami et à San Francisco. Comme un des moyens de rencontrer des gens, c’était de travailler, j’étais serveur dans une boîte gay, à « South Beach ». J’avais 28 ans, j’étais tout bronzé, ventre plat, l’allant dynamique. Je peux juste dire que le fantasme qu’ont les gens de Miami représente 30% de la réalité ». Une soirée dans un basement avec Martin Solveig aux platines et des pots de cocaïne gratuite pour 2000 personnes resteront ses seuls aveux sur ces quatres mois où il ose se faire trois cent dollars par jour. Les parenthèses enchantées, surtout dans ce secteur où tout peut s’arrêter beaucoup plus rapidement que ça ne démarre, ne durent en revanche qu’un temps. 

Mais Cyril est comme une balle rebondissante qu’on achèterait dans une machine en mettant une pièce dedans, celle avec les petites étoiles à l’intérieur. En 1998, alors qu’il veut tout plaquer pour s’acheter un 4×4 et faire un trajet musical du Cap jusqu’à Bordeaux, on frappe à sa porte et on le lance dans une autre aventure : ca s’appelera le CCPR. « C’était des locaux dans lesquels on trouvait une galerie d’exposition et une salle de musique. Ce lieu était ce qu’on appelait un centre culturel de proximité. On n’a exploité que quatorze mois à cause d’un bail précaire, on nous a expliqué qu’on devait aller jouer ailleurs, ce que l’on a fait », explique Cyril. Entre temps, le CCPR fera partie, dans Libération, des « quinze lieux où sortir à Bordeaux » et aura les honneurs de deux articles dans la revue Technikart, « qui avait plus retenu la qualité des vernissages que des exposants ». 175 manifestations plus tard, Cyril commence à faire de la formation au sein de ce qui deviendra 3IS, l’Institut International de l’Image et du Son. Manque de bol, il se lance aussi dans la création, en 2001, d’une société de production, au moment même où le marché du disque commence à perdre 40% de ses ventes. Que fait-on dans ces cas là ? On rebondit, encore, toujours. On se perd parfois en conjectures, mais c’est le rebond suivant qui compte.

Somewhere in the middle

Les documents enfermés dans le coffre de Cyril Beros, en revanche, finissent toujours par avoir, dans leur bordel, une certaine logique. En reclassant un peu les dossiers, on atteint 2003. « J’ai entendu que l’Irem (Institut régional d’expressions musicales) cherchait un professeur ingé son. En arrivant dans les bureaux, je suis tombé sur un vieux pote de ma période rock (Franck Dijeau). On s’est tombés dans les bras, il n’y a même pas eu de discussion pour savoir si j’avais le boulot, on est directement passés à l’apéro. La première année n’était pas terrible. Il m’a montré le premier étage, on a construit le premier studio en 2003. Un jour de 2007, il est arrivé dans mon bureau, m’a tendu les clefs et m’a dit qu’il partait et que le business était pour moi ». À charge pour le jeune loup encore frais, qui n’a même pas eu besoin de montrer patte blanche, de redresser la barre. Les résultats financiers parlent pour lui. S’il y a bien une chose qu’on ne peut pas enlever à Cyril, c’est de savoir compter. L’année de la reprise, l’Irem pesait un chiffre d’affaires de 190 000 euros. Le futur ensemble (coopérative, Bootleg et Ensemble Orchestral de Bordeaux, qui accueillait 35 000 enfants par an) se chiffrait à quelques 1,5 millions par an quelques années plus tard. « Le métier de chef d’entreprise, c’est comme celui de skipper », confie Cyril. « Avant que le vent se lève, on a les voiles tendues et le bateau dans le bon sens. Il faut savoir où est le vent avant qu’il arrive ». 

Le tout, évidemment, s’est fait avec une vision bien à lui. Directeur de l’établissement ayant revendiqué très tôt 24 000 nouveaux adhérents à l’année, Cyril ne se refuse aucune présence. « Je pense que j’ai mis 50% des bracelets. Un club, ça se fait à l’entrée. Quand vous invitez des gens chez vous, je pars du principe qu’il faut être là pour les accueillir. Quand ils arrivent à la porte, je suis là. J’ai d’ailleurs du dormir ici deux nuits par semaine pendant quinze ans ». Le tout, le bougre taillé par le rugby et la natation l’assurant, sans une once d’argent public, hormis une subvention de 5000 euros du Conseil départemental et un « fonds d’innovation à la formation professionnelle » (66 000 euros). Malgré un cambriolage et un sens des affaires très particulier (« Il m’est arrivé de fracasser un tabouret sur un comptoir de bar jusqu’à ce qu’on me paye »), l’affaire roule, ce qui permet à Cyril d’être particulièrement amer vis à vis de certains établissements bordelais fonctionnant grâce aux subventions, une manière de découvrir que la Rock School Barbey ne figure pas dans son carnet d’adresses. Le Bootleg devient peu à peu un incontournable du monde de la nuit. Jusqu’à ce jour de 2014 où une obligation de travaux de remise aux normes de la sécurité tombe comme un couperet. « Au moment des travaux, si on n’avait pas eu de bonnes performances économiques, on ne rouvrait pas ». Une campagne de financement participatif est même engagée, récoltant 17 211 euros pour un objectif initial de 15 000. 

Killing In the Name

Mais alors, à partir de quel moment et à cause de quoi l’Irem et le Bootleg vacillent, jusqu’à se retrouver aujourd’hui obligés de fermer leurs portes ? Notre interlocuteur, décidément jamais avare en entêtement proverbial, évoque plusieurs raisons. « Il y a eu un vrai schisme au sein de la coopérative entre les profs à 14 euros nets de l’heure et nous. Ils ont organisé une journée de soutien un dimanche entre 14h et 20h. Recettes : 265 euros. Six minutes de Bootleg. Au cours de la réunion suivante, la responsable de la section loisir nous a demandé si les profs pouvaient facturer et si elle pouvait récupérer ses heures. Ça m’a mis en colère. Nous, on était payés entre huit et dix euros de l’heure quand on compare avec notre volume de travail. Le première année, j’ai embauché 25 profs de musique qui sont devenus membre de la coopérative. Un seul est venu à trois concerts. Ils avaient les clefs de la boîte, ils étaient chez eux. La différence que j’ai avec tous ces gens, c’est que 100% de mon chiffre d’affaires est dans l’Irem ». Visiblement, il reste encore quelques profils que Cyril a du mal à digérer. « Ca fonctionnait sur le même principe qu’une coopérative viticole. Je produis tellement de raisin que je ne peux pas boire tout le vin que je produis, je leur en donne donc un peu. S’ils se contentent du vin que je leur donne, ils ne vont pas étancher leur soif. Il faut aussi qu’ils ramènent du raisin. Sur cinquante associés, une dizaine l’ont compris. Pas une adhésion, pas une carte, pas une bière. Quand on vote, je n’ai qu’une voix, comme eux. Par contre, les dettes, ce sont les miennes ». 

Pourtant, il dit ne rien regretter de toutes ses décisions et de ces années de Bootleg. « En comptant le chiffre d’affaires que je réalisais avec mes cours, dans les locaux dont je payais le loyer pour mon business, on arrivait à 190 000 euros. J’en prélevais 44 000 pour me verser un salaire. Pourquoi ? Parce que je m’en fous du blé. C’est facile de faire de l’argent. Ce qui est dur, c’est de faire du sens. Créer du lien social. Leur chiffre d’affaires n’est jamais rentré dans l’Irem. A 14 euros net de l’heure, ils s’en branlent du lien social (…) Par contre, je n’ai pas d’amertume, j’ai fait le maximum et je suis heureux comme ça. Je n’ai jamais négocié ce pourquoi j’ai été élu. J’aurais juste aimé que notre propriétaire ait un meilleur sens des affaires ». Les 40 employés des deux établissements ? Tous des anciens élèves. La gestion de la vingtaine d’élèves réellement professionnalisés au sein de l’Irem ? Sans illusion. « Sur le volume d’inscrits, on a eu entre deux et quatre pour cent de gens qualifiés, mais 100% de professionnels. Je ne qualifies pas quelqu’un qui ne va pas faire le métier ». Cyril a une conception très personnelle de ce qu’il appelle la justice sociale. « Ma plus belle année, en fait, c’est 600 000 euros d’Urssaf », prophétisera-t-il, moins pour la forme que parce qu’il a réellement l’air convaincu de ce qu’il avance. 

Never Never

Tous ces arguments n’ont en revanche pas suffi, et les sommes obtenues auprès du tribunal en 2015 n’ont pas permis de remettre le Bootleg et l’Irem à flots. D’après les propres mots d’un Cyril tantôt antipathique, tantôt étrangement attachant, une page se tourne pour la scène musicale bordelaise. « Je crains qu’ils regrettent amèrement la période où j’organisais des concerts. J’avais choisi ce modèle (l’économie sociale et solidaire) parce que j’assouvissais mon sens de la responsabilité sociale. Au Bootleg, en quatre ans, on a accueilli cinq jeunes femmes en contrats aidés, toutes les cinq ont été qualifiées. Travail égal, salaire égal. On fabriquait une culture accessible à un prix normal, pas à huit euros le demi. Quand on est confrontés à l’enjeu social, il faut être oublieux pour tricher. À partir de maintenant, je vais changer le mode d’expression de mon sens de la responsabilité sociale ». Après s’être fait électrocuter pendant un show, il a quand même continué la scène, au gré de deux autres groupes intervenus plus tard. Ni un accident de moto en 2010 dans lequel il a failli perdre sa jambe droite, ni la rééducation et la période morphine à se morfondre qui a suivi ne l’ont empêché de remonter sur une bécane. La situation compliquée de l’Irem et du Bootleg n’auront eu raison de rien, lui qui a obtenu l’an dernier un master de dirigeant d’entreprise en économie sociale, « histoire d’être diplômé à la retraite ».  

Les horaires et la vie un peu folle de ces années plus ou moins dorées selon les périodes, par contre, c’est fini. S’il a su sortir ses propres regrets du coffre, il a quand même réussi à y cacher une rancune tenace. Et un esprit de défiance qui font de lui un éternel sale gosse. « Plus jamais je ne travaillerai comme ça. À la mairie, on m’a dit qu’à chaque fois qu’ils me voyaient, c’était pour leur jeter des emplois à la figure. Je suis un vrai con, je croyais que l’emploi et la qualification des jeunes, c’était un enjeu national. Un jour, j’ai été invité au lancement de la marque « Osez Bordeaux » à la Chambre de Commerce et d’Industrie. J’étais installé au stand patanegra à 140 euros le kilo de jambon. A l’autre bout de la salle, je vois une pyramide de boîtes Arlequin remplies de caviar d’Aquitaine pour 800 personnes. J’ai rempli toutes mes poches et pendant quasiment deux semaines, j’en ai mangé tous les jours ». Cyril Beros est le type du fond de la classe, celui qui sait comment se faire de l’argent facile, qui fume quelques Marlboro et garde le reste pour ses deux feuilles mais qui arrive quand même, pour peu que ça l’intéresse, à sortir major de promo. C’est, enfin, un être complexe rempli de contradictions et de zones d’ombres. On ne doutera en revanche jamais de la conviction que l’on a eu en le laissant là, seul ou presque au milieu de ce petit empire de la nuit tombé en désuétude : son parcours, tout comme son discours, ne laisseront jamais indifférent. Comme un objet fascinant et aux faux airs d’interdit. Cyril Beros n’est pas qu’un simple coffre à jouets un peu élimé aux contours remplis d’autocollants témoins d’une époque. Il est sa propre boîte de Pandore.  

Les quelques morceaux ayant parsemé l’écriture et les histoires racontées dans ce portrait ne pouvaient finir que dans une playlist. C’est chose faite.

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