Août 1936, Federico Garcia Lorca est assassiné par les soldats du régime franquiste. L’Espagne saigne, les poètes pleurent la perte de leur ami. Neruda, Hernandez, ou Machado, choqués et abattus s’exclament: « ils ont tué Federico, à Grenade, sa Grenade. » Soixante dix ans plus tard, c’est sous le coup de la même émotion que le musicien Vicente Pradal (photo tnba ci-dessus) et le metteur en scène José Manuel Cano Lopez décident d’adapter les textes du Divan du Tamarit. Mêlant sur scène les poèmes du recueil avec des témoignages d’amis et inspirés des chansons populaires écrites à l’époque par Federico Garcia Lorca, ils mettent en musique et en chant les mots et la volupté de sa langue castillane. En grande partie en espagnol, le spectacle laisse la place à quelques interludes en français dits par deux comédiens ; des moments solennels dans lesquels résonnent les mots de ses amis.
Un nécessaire devoir de mémoire
Avec une scénographie très sobre – un cube central sur lequel évolue la danseuse et quelques chaises disposées tout autour – et une langue étrangère, le duo en appelle aux pouvoirs évocateurs du corps, de la musique et de la voix pour traduire les variations qui traversent le texte. La main sur le cœur et l’âme sur le plateau, les interprètes exécutent un flamenco pétri d’incompréhension, d’effroi, de révolte, de tristesse et à certains moments de joie; un exercice de style qui peut parfois frôler la caricature mais qui ici semble respecter la tradition castillane.
Parmi eux, on remarquera surtout la présence incroyable de la danseuse Fani Fuster, qui tour à tour défie ou séduit, sans jamais laisser de temps mort. Explorant dans sa danse une très large palette d’émotions, elle exulte, au sommet de son art, dans un final où elle dévoile un « zapateado » à réveiller le poète. Porté par un ensemble musical peu orthodoxe pour le style, alliant un piano, un violoncelle et un saxophone, le spectacle propose un étonnant mélange entre du flamenco classique et des sonorités plus proches du jazz, propre à susciter le ravissement ou l’exaspération lorsqu’il côtoie d’un peu trop près la variété. Loin d’être un travail didactique en somme, ce spectacle reflète la complexité de l’œuvre de Lorca et tente d’en dévoiler, de manière originale, les différentes thématiques visibles ou plus implicites. Ainsi adapté dans sa langue d’origine, qu’à Bordeaux on reçoit certes mieux qu’ailleurs, nous ne pouvons que percevoir une partie de l’univers du poète, à travers la vision artistique de deux aficionados. Mais nous en entendons au moins l’écho. Celui d’un homme seul, qui au travers de ses vers se fait de plus en plus intime, révélant sur le ton de la confession les souffrances et les espoirs d’un jeune poète de 38 ans. Et pour ceux qui auraient souhaité un peu plus de mots, il reste la possibilité de relire les pages de ce recueil étrangement prémonitoire, où Federico Garcia Lorca à l’aube de son assassinat, entame un « dialogue obscur entre l’amour et la mort. »
De Federico Garcia Lorca
Mise en scène J.M. Cano Lopez, V. Pradal
Avec Françoise Cano Lopez, Alain Papillon / Chant Vicente Pradal, Alberto Garcia, Servane Solana / Danse Fani Fuster/ Saxophone Hélène Arntzen,/Violoncelle Emmanuel Joussemet /Piano Rafael Pradal