Il est le fondateur de la mythique collection du Poulpe, permettant ainsi à nombre d’auteurs, débutants ou pas, d’exprimer leur talent littéraire, souvent inégal, autour des aventures de Gabriel Lecouvreur, anar de nature et détective privé par destination. Cette espèce d’immense roman feuilleton, à la charnière entre le siècle dernier et l’actuel, découpé en plusieurs centaines de livres comme autant de chapitres, est comme une tentative de raconter une histoire sociale, loufoque et aux antipodes du réalisme, de notre époque. J.B. Pouy n’est pas seulement un agitateur et un militant du roman noir populaire ; à travers ses nombreux titres, tout se passe comme s’il avait choisi, ainsi qu’il le revendique, ce genre littéraire pour écrire des fictions d’une grande agilité verbale, ouvrant brillamment d’autant plus de pistes qu’il ne se limite jamais à un plan attendu.
Ici, un roman enlevé, sous fond de crise sanitaire et de société française tourneboulée, sans boussole politique, voilà le contexte ; Simone, infirmière dans le privé a beaucoup donné au moment du Covid ; elle ne se relève pas de la mystérieuse et soudaine disparition de son frère, Étienne, six mois déjà quand le livre démarre. Elle enquête avec ses propres moyens, ceux de la police un peu, puis avec l’aide d’un détective privé, amical amant…Elle finit par découvrir des textes d’Étienne : des débuts de romans hilarants (comme cette entame nordique intitulée Le permafrost de l’angoisse qui se déroule sur une île de la lointaine et glaciale Suède « le seul pays où même les pierres tombales sont hypocondriaques »). Peut-être des pistes égrenées au hasard de la syntaxe des phrases aideraient -elles à le retrouver ? On appréciera aussi l’amour de Pouy pour les transports ferroviaires et les blagues potaches (« l’horaire d’une profonde nuit »), les énigmes littéraires comme celle qui conduit à l’auteur d’Alice au pays des Merveilles.
On peut y déceler une analyse mélancolique, mais pas trop, du délitement tant au niveau du pays qu’à celui des destinées individuelles, le premier pire que le second ; mais, comme tout roman à énigme, il offre des solutions pour sa résolution, moyennement réjouissantes, certes. Au final, Pouy ne pose qu’un principe : prendre au sérieux la magie de sa prose, et elle seule. Pari réussi.