Voici une grande dame, non pas seulement par la taille mais par le talent, le goût des beaux ouvrages, du dessinaccompli, du graphisme recherché, des mots choisis, si délicats à trouver lorsqu’on s’adresse aux enfants. Claude Dagail doit certainement à ses études de Lettres d’une part, à l’observation de ses grand père et père qui dessinaient d’autre part, ce qu’elle appelle « cette oscillation constante entre le texte et l’image ». Née à Bordeaux, elle a tenu à faire son métier dans une terre d’écriture, ce qui ne l’empêche en rien de partir à la recherche de talents à travers « la planète ». Singulière tension que confirme la découverte d’un catalogue qui part de la toute petite enfance et de la collection des « Traces », destinée à accompagner les premiers mois, jusqu’à la construction du langage. Et se déplie jusqu’au bel album en manière de conte comme ce « Buveur de Pluie » à succès nécessitant une réimpression. Petit rappel synoptique: « Dans le ciel d’Afrique, deux familles s’affrontent: celle de Pluie et d’Eclair. Sur la terre, les hommes veulent que le calme revienne mais rien n’apaise la colère des dieux. Le malheur redouble: incendies, inondations,sécheresse…Espérant trouver une solution, les hommes demandent, en dernier ressort, à Arc-en-ciel, le buveur de pluie, de les aider, ce qu’il va faire. » Un conte dans la meilleure veine d’un genre si cher au continent africain.
La découverte des talents
Comment fait-elle, se demande-t-on, depuis son minuscule atelier-bureau de la rue Albert Thomas pour dénicher des auteurs aussi talentueux que ce Shaun Tan, prix du meilleur album de la Bande Dessinée d’Angoulême 2008? Réponse: internet? Claude Dagail fait surtout partie d’un jury d’illustration à Venise, est présente au salon de Montreux, aux Foires de Bologne ou Francfort.. Bref, elle est là où le talent affleure et donc aussi à Paris, à la rencontre d’auteurs libanais par exemple. De Shaun Tan, un Australien-Asiatique, qui a crée » l’Arbre Rouge », prix Octogones en 2003, elle dit non sans fierté: « personne ne le connaissait en Europe, son univers graphique est fabuleux ». Claude Dagail joue les traductrices et, aujourd’hui, s’enchante du succès de cet auteur primé à Angoulême pour « Là où vont nos pères », un extraordinaire roman, purement graphique. D’autres auteurs, d’autres titres font partie de cette jolie famille d’illustrateurs-créateurs ainsi révélés: Armin Greder auteur de » l’île » où l’histoire d’un naufragé qui va rencontrer la xénophobie, la nudité de l’étranger. On aime, chez l’éditrice au sourire grave, ce besoin de dire , de prendre à témoin, de produire et diffuser des livres qui éveillent, font grandir, ces « Pins de Ramallah » en particulier, signé Antonio Ferrara. L’histoire de deux garçons de douze ans, un palestinien et un israélien dont les regards se croisent et disent le doute: et s’il fallait quand même continuer à croire en la paix?
Une Internationale de la petite édition
« Je défends des valeurs humaines, confie Claude; j’essaie de faire en sorte que mes livres rencontrent à la fois un lecteur, un spectateur d’art mais également un citoyen conscient et heureux de l’être »; ça me fait plaisir, consent-elle à dire, de voir que l’on reconnaît mon travail » notre Internationale de la petite édition ». Sans frontières. Une IESF en quelque sorte. Ce fil d’humanité, la grande dame de la rue Albert Thomas le tire, encore, en partant à la rencontre des gamins de la cité des Aubiers à qui elle propose des « ateliers de cuisine textuel »,le jeu des mots,de l’imaginaire, pour les aider àmieux vivre et à enrichir leur vocabulaire. On ne se lasserait pas de l’entendre répondre, d’humeur égale, à ce besoin de curiosité qui vous tenaille et de vouloir savoir comment elle « en vit »… Simplement, depuis l’an 2001, en publiant de petites séries -3.000 exemplaires c’est beau surtout quand on réimprime- maiscela se fait dans une si grande proximité avec les libraires qu’elle n’a » jamais de retour. » Je tiens beaucoup à ma liberté dit-elle! » Qui en douterait un instant? La belle histoire va continuer sous le soleil de l’exigeance et de l’art.
Joël Aubert
Présence au salon – le 17 marsS 60 ter Nouveautés sur le stand Un coup de coeur |