C’était au temps où Chicago était la reine des cités américaines du crime (on se rappelle de l’emblématique figure du gangster Al Capone), au début des années 20 du siècle dernier, « une ville frénétiquement vivante » dit l’auteur. Le roman raconte l’ascension et la chute de César Bandello, surnommé Rico, truand d’origine italienne. C’est tendu comme la trajectoire du bad boy, mauvais héros toujours sur le qui-vive, une force qui va. Rico ne boit pas, ne s’intéresse pas aux femmes : « C’était un homme simple ; il n’aimait que trois choses au monde : lui-même, ses cheveux et son arme. Il prenait le plus grand soin des trois. » À la différence d’autres mafieux, ce qui le construit et fait sa force, c’est « sa détermination, son énergie et la discipline qu’il s’impose à lui-même. ». Son premier coup d’éclat est la mise à sac d’une boîte de nuit huppée, début de ses hautes performances criminelles et, en même temps, le plus fatal de ses crimes puisqu’il tue un policier au cours de l’opération. Dès lors il cavale sur la ligne de crête de sa puissance criminelle et l’abîme prévisible de sa liquidation. Le narrateur ne le décrit pas comme conscient de sa tragédie à venir, pas plus que comme un personnage fascinant par son engagement dans le crime, mais comme un César au petit pied, en référence au destin tragique du grand Jules César, personnage historique et héros de la pièce de Shakespeare. Bien plus voilà comment Burnett explique sa démarche de romancier : « Le roman devait offrir une image du monde, vu par les yeux d’un gangster…il devait être écrit dans un style qui s’accorde au sujet, c’est-à-dire dans le jargon illettré d’un gangster de Chicago…Je jetais également la psychologie aux orties et fis mon possible pour nous supprimer, moi-même et mes opinions. ». On peut dire qu’il y a réussi, et d’une superbe manière.
En complément, la Série noire nous propose l’ultime livre de Burnett, écrit en 1981 et se déroulant toujours dans le Chicago de la même période : Good bye, Chicago1928 la fin d’une époque. Il s’agit d’une enquête criminelle menée par deux flics sur l’assassinat de l’ex-femme de l’un d’entre eux, devenue la compagne d’un truand. C’est comme si, dans ce roman, l’auteur avait inversé, la retournant comme la peau d’un gant, la logique à l’œuvre dans Little Caesar. C’est toujours un plan large de sa ville, vue cette fois-ci à travers une traque criminelle. Mais c’est surtout sa technique narrative qui fait merveille : comme le dit Benoît Tadié dans sa préface : « Il n’y a pas de héros, mais une narration panoramique qui repère un visage dans la foule, l’élève un temps au rang de protagoniste avant de l’abandonner, pour de bon ou pour y revenir plus tard. » De fait, Burnett procède par vignette, focus sur tel ou tel personnage, tel ou tel milieu- les flics, les truands, des gens simples ou des personnages huppés observés avec attention ; comme si au terme de sa carrière, l’écrivain appliquait encore d’avantage une technique du récit qui emprunte au cinéma, y compris dans ses aspects quasiment documentaires. Le bilan est, à nouveau, brillant.