Il a la démarche un peu hésitante, le regard ailleurs. Ce jeune africain qui a juste dépassé la trentaine a parcouru des milliers de kilomètres avant d’arriver à Bordeaux, en mai dernier. Il fait partie d’une nouvelle génération de migrants d’Afrique de l’ouest, souvent opposés au pouvoir en place et fuyant la répression. Il s’est engagé depuis la fin de l’adolescence dans le camp des opposants à une famille qui gouverne son pays depuis un demi-siècle. Il bat le pavé avec d’autres amis, manifestant eux aussi contre ce qu’ils dénoncent très vite comme un gouvernement « despotique et anarchique », avec beaucoup de corruption et de discrimination envers les minorités.
Un aller sans retour
Un jour de janvier 2013, tout bascule. Dans la capitale de son pays un incendie ravage un marché et le régime accuse très vite les opposants. C’est l’accusation de trop pour le jeune homme. Alors étudiant en commerce international, il laisse tomber les études, prend sa bourse (de 20 000 francs CFA par trimestre) et ses maigres économies et décide de fuir, sans vraiment connaître sa destination finale. Commence alors pour lui un incroyable périple qui va durer près de deux ans à bourlinguer du Bénin au Niger, du Mali au Maroc. « J’ai reçu l’aide de certaines personnages, notamment des camerounais, des nigériens et d’une communauté de touaregs qui m’ont permis de trouver des petits boulots, notamment dans la maçonnerie. Mais je ne me suis pas beaucoup arrêté, juste quelques semaines à chaque fois », confie le jeune africain.
En raison des connaissances qu’il réussit à se faire, il reste huit mois à Rabat, capitale marocaine. Il vit dans des conditions précaires et jongle entre ghettos et squats dans des maisons inachevées. En décembre 2014, direction l’Espagne, entassé avec une quarantaine d’autres migrants pendant onze heures dans un zodiac, « les uns sur les autres ». Arrivé à Las Palmas, il pense que c’est la fin pour lui : arrêté par la police, il passe deux mois dans un centre de détention, plus longtemps que les autres car il refuse de donner le nom de son passeur. « On a ensuite atteri à Tenerife, où nous avons été logés par la Croix Rouge. Ils nous ont payé le billet d’avion pour Bilbao ». Dernière ligne droite pour notre migrant, qui n’a, pendant tout son périple, pu établir aucun contact avec sa famille, restée sur place. « Beaucoup de mes amis sont partis dans d’autres pays pour fuir eux aussi la répression du gouvernement ».
Une route à risques
En mai dernier, il effectue son voyage le plus récent : de longues heures dans un bus entre Bilbao et Bordeaux, où il choisit de faire une demande d’asile. « Je ne pouvais pas la faire dans les autres pays que j’ai traversés, les conditions de vie y étaient trop difficiles pour les demandeurs d’asile, même si on m’a déjà dit qu’en France aussi, c’était dur et qu’il y avait beaucoup de refus ». De toutes ses destinations, il a choisi la moins pire plutôt que la meilleure. En passant plusieurs fois dans les locaux de Médecins du Monde, il ne pense pas une seconde au retour, et déconseille même quiconque d’entreprendre un tel voyage. « Je ne peux pas leur conseiller de prendre cette route là. Beaucoup de voyageurs meurent, tombent des camions, sont arrêtés. Il y a beaucoup de risques ». Ses ennuis, il les doit surtout à son engagement et à son parcours dans l’opposition politique, ce qui fait plus de lui un réfugié politique qu’un migrant économique.
Aujourd’hui, comme des dizaines d’autres jeunes africains venus se réfugier à Bordeaux et sur la Métropole,il dépend toujours du 115 et ne sait pas toujours où il dormira d’une nuit à l’autre. Il s’est lié avec la communauté de sahraouis, un temps installés sous le pont Saint-Jean et vivant toujours en sursis, malgré l’aide de plusieurs antennes locales d’ONG. S’il accepte de parler il refuse de se faire prendre en photo, comme s’il éprouvait une gêne, une peur quelconque d’être localisé. De ses conditions de vie depuis 2013, il ne dit pas grand-chose. Il préfère sans doute penser au présent, et à l’avenir. Comme s’il pensait que fermer les portes du passé pouvait lui ouvrir celle d’une nouvelle vie en France, caché au milieu de tous ces autres réfugiés venus frapper à la porte de la Métropole bordelaise, où la majorité de ceux que l’on nomme les « immigrés » sont en provenance d’Afrique. Entre le 1er janvier le le 31 septembre 2011, plus de 32 200 demandes d’asile et de titre de séjour y étaient enregistrés, soit près de 35% de plus qu’en 2010.