Ce mardi 8 mars marquera sans doute une date importante, en plus des actions réalisées dans le cadre de la journée internationale du droit des femmes, dans le volet législatif de la présidence Hollande. C’est en effet ce jour qu’ont choisi les députés de l’Assemblée Nationale pour voter l’ensemble du dispositif de la réforme pénale, qui comprend notamment un certain nombre de mesures sécuritaires annoncées comme un relais à l’État d’urgence suite aux attentats du 13 novembre. Approuvée par la droite, dénoncée comme un « populisme pénal » par certains élus de gauche, la réforme divise, notamment dans les couloirs des professions juridiques. Tandis que l’État d’urgence aura, on le sait, des conséquences budgétaires conséquentes sur l’organisation d’évènements comme l’Euro 2016, le barreau de Bordeaux a connu, en novembre dernier, un changement significatif dans ce contexte par la désignation, à 698 voix sur 803 d’un nouveau binôme représentatif de l’Ordre des avocats. Jacques Horrenberger et Françoise Casagrande ont été respectivement élus par vote de désignation en novembre 2014 et un second de confirmation en novembre 2015 bâtonnier et vice-bâtonnière de l’Ordre. Cet avocat bordelais d’origine alsacienne, spécialisé en droit commercial, s’est donc imposé comme l’héritier officiel d’Anne Cadiot-Feidt, première femme à avoir été élue à un poste occupé depuis 550 ans par des hommes. Elle s’était récemment illustrée en s’engageant politiquement dans la liste du candidat PS Alain Rousset lors des régionales de décembre. Ce qui ne sera sans doute jamais le cas de son successeur.
« On ne vivait pas dans l’inquiétude »
Il nous reçoit, dans son bureau personnel à la Maison de l’Avocat, rue de Cursol à Bordeaux. Costume sobre, cravate orange à motifs bleus, Jacques Horrenberger fait une tête de plus que son binôme féminin. Malgré quelques dossiers qui traînent sur le meuble art-déco qui se trouve derrière son bureau et un tableau qui n’est pas accroché au mur, ses effets personnels sont plutôt discrets, comme lui, contrairement à ce que sa taille laisse paraître. Vivant à Bordeaux depuis le milieu des années soixante-dix, il a suivi des études de droit à la faculté de Talence à une époque où, confesse-t-il, il n’y avait pas beaucoup d’animation. Sa hantise ? Repasser des examens, lui qui avoue : « j’ai eu la chance de faire des études à un moment où on était sûr d’avoir du travail à la fin, ce qui n’est plus le cas aujourd’hui. On ne vivait pas dans l’inquiétude, il n’y avait pas le problème de l’emploi qui existe à l’heure actuelle. J’ai travaillé pendant mes vacances pour en financer une partie ». Comme beaucoup d’étudiants, en somme. Pourtant, Jacques Horrenberger a échappé de peu à une carrière politique. Lui qui se destinait à la fonction publique a été rattrapé par un avocat du barreau de Bordeaux de l’époque, qui restera anonyme, qui lui a donné le goût du métier et le désir de changer radicalement d’orientation professionnelle. Le hasard de cette rencontre deviendra vite un choix de vie. Aujourd’hui, il reste un passionné de la politique, avec des idées profondes qu’il préfère garder pour lui. « J’ai participé à des grèves comme tous les étudiants mais je n’ai jamais eu d’engagement partisan, par souci d’indépendance. Je me le suis toujours interdit, je n’avais pas envie de passer mes week-ends à des réunions de section ou aller serrer des mains sur les marchés. Et puis le monde politique est particulièrement décevant. L’activité de nombreux hommes politiques, c’est avant tout d’assurer leur survie avant de définir un projet qui soit partagé par leurs concitoyens » affirme-t-il, convaincu.
Un souci de neutralité
L’indépendance et l’absence d’engagement restent, chez cet homme de 59 ans, père de deux enfants, une volonté farouche. « J’estime que l’avocat doit être totalement indépendant dans la façon dont il va traiter un dossier et dans les conseils qu’il va donner. Je souhaite, dans mon rôle d’avocat, n’avoir aucun engagement politique ou philosophique qui pourrait influer sur mon raisonnement ». Il affirme juste être inquiet de la montée du populisme et du nationalisme au niveau national et européen. Pour le reste, il se dévoile peu. Tout juste apprend-on que la seule fois où il s’est engagé dans une association, c’était en tant que responsable de la commission juridique de la Licra de Bordeaux et de la Gironde. Le fait qu’après avoir prêté serment en 1983 et exercé en tant qu’avocat stagiaire, il ait installé son premier cabinet à Bordeaux, rue lecoq, seulement trois ans plus tard, est tout de même assez révélateur de son ambition. « Parmi ceux qui avaient prêté serment en même temps que moi, j’étais l’un des rares à m’être installé aussi rapidement ». Pourtant, comme tous les jeunes avocats, Jacques Horrenberger a commencé sans trop savoir où il allait. «Quand on se lance, c’est toujours la grande incertitude. Vous êtes chef d’une petite entreprise, vous avez une secrétaire. On ne sait jamais combien d’honoraires seront rentrés à la fin du mois ». Membre du Conseil de l’Ordre durant douze ans (de 1990 à 1995 puis de 2007 à 2012), il conçoit d’abord son engagement « au service des confrères. J’essaye de répondre à un certain nombre d’attentes du comité des professionnels, des 1380 avocats en activité et des 120 avocats honoraires ».
De vieux combats
Actif, Jacques Horrenberger a multiplié les fonctions, notamment en tant qu’ancien membre du Conseil régional de discipline ou délégué de la CNBF (Caisse Nationale des Barreaux Français) et actuel délégué régional et administratif de l’ANAAFA depuis 2007 (Association Nationale d’Assistance Administrative et Fiscale). Pour autant, sa personnalité et son propos court font de lui une personne plutôt timide. « Je n’aime pas le bling-bling », affirme-t-il. « Je ne fais pas ça pour que l’on voie ma binette partout. Mais s’il faut mener une action forte parce qu’un projet de loi est susceptible de mettre en cause les valeurs fondamentales, je serai au premier plan ». Comme en en décembre 2015, lors des manifestations publiques des avocats en faveur de l’accès au droit. « Actuellement, les discussions ont repris au niveau des Ministères de la Justice et des finances. Elle se poursuivent. Nous espérons qu’une solution puisse enfin pérenniser l’accès au droit, mais c’est un problème qui se pose depuis vingt ans et qui dépend de la misère du budget de la justice en général ». Aujourd’hui élu à plein temps, Jacques Horrenberger affirme ne plus vraiment compter les heures. « C’est plus qu’à plein temps. La fonction de bâtonnier est sans doute la plus belle fonction que vous puissiez avoir dans un ordre professionnel. Vous avez une confiance très importante des confrères que vous représentez auprès des concitoyens, des autorités publiques et judiciaires (…) C’est une profession qui vous prend complètement. Quand vous avez la conscience professionnelle, ça vous arrive de penser à un dossier la nuit, les dimanches. J’arrive quand même à séparer des activités privées ». Grand amateur de voyages, il sait qu’il ne pourra pas en faire beaucoup durant les deux ans qui viennent : à chaque temps ses priorités.
Fédérateur soucieux
Le nouveau binôme a également été élu dans un contexte de renouvellement importants des magistrats (366 ont prêté serment début février à Bordeaux, pour ce qui constituait la plus importante promotion de la cinquième république), ce qui pour le bâtonnier, est forcément une bonne chose. « Bordeaux n’est pas la plus mal lotie, loin de là. C’est une grande juridiction qui bénéficie de la proximité de l’ENM. Vu le nombre de départs à la retraite des magistrats, il y a nécessité d’avoir de très fortes promotions et de compléter des manques. Sur 80 magistrats au Tribunal de Grande Instance, 8 postes ne sont pas pourvus, et une vingtaine en ce qui concerne les greffiers ». Difficile mission donc, celle de fédérer et d’animer cette communauté, résoudre les problèmes et litiges du quotidien. Et répondre, lorsqu’il le faut, aux questionnements actuels. La réforme pénale sera le premier combat public de Jacques Horrenberger, et il est déjà prévu dans son calendrier. « La profession va bientôt prendre position par rapport à la réforme. Le barreau de Bordeaux s’exprimera par l’intermédiaire du Conseil de l’Ordre, et nous allons également sensibiliser les parlementaires de la Gironde ».
Quant-à gravir un nouvel échelon, il avoue ne pas avoir de futur objectif, si ce n’est d’organiser, avec le Conseil National des Barreaux, la prochaine Convention Nationale des Avocats en octobre 2017. Réunion de la profession se tenant tous les trois ans, elle est pour lui « un projet très fort. J’ai voulu que Bordeaux soit candidate pour l’organiser, de concert avec le barreau de Libourne. Si ce congrès a lieu ici, ce sera au moins 6000 avocats qui seront là, ce qui serait le plus grand congrès que Bordeaux Métropole n’ait jamais accueilli ». Peu disert, opposé au « buzz », Jacques Horrenberger s’efface volontairement derrière sa fonction. On sent pourtant une certaine incertitude planante. Des choses qui ne sont pas dites mais des mots qui veulent dire beaucoup. Comme lorsqu’on lui demande de projeter l’avenir des professions juridiques. « On vit une révolution au niveau de notre profession, notamment du fait de l’évolution d’internet, qui modifie considérablement nos modes d’exercice professionnels. Ca peut entraîner beaucoup de difficultés pour certains confrères. Mais comme il ne peut y avoir de processus démocratique sans avocats, je reste optimiste. Du moment qu’on reste dans une démocratie… ». Il n’en dira pas plus.