@aqui! – La révolution démographique, affirmez-vous, est une chance fabuleuse de faire bouger les lignes et les mentalités. Qu’est-ce à-dire ?
Serge Guérin – En 2050, la France comptera quelques 23 millions de plus de 60 ans et près de 5 millions de plus de 85 ans. Une multiplication par huit en 70 ans ! Nous n’avons jamais connu une telle révolution de l’âge et notre société n’a pas anticipé la coexistence de tant de générations, ni les effets sociétaux, culturels et sociaux de la longévité. On peut se faire peur en parlant de « tsunami gériatrique » ou bien prendre le pari que ce monde qui prend de l’âge devra nécessairement développer une attention bienveillante aux plus fragiles, inventer de nouvelles solidarités, développer une offre adaptée, qui ne se limite pas aux développements de solutions numériques et technologiques, ou encore révolutionner l’approche de la santé en l’orientant vers la prévention et l’accompagnement. Je crois que les seniors nous engagent aussi vers une « société durable »…
@! – Dans votre dernier ouvrage, vous abordez la question du temps qui doit conduire la société à évoluer ?
S. G. – Entre la société des loisirs et la durée de la retraite, nous n’avons jamais consacré si peu de temps au travail. C’est le paradoxe d’un monde qui porte au pinacle la rapidité et qui souffre d’un manque chronique de temps…Je m’amuse à répondre aux gens qui affirment « ne pas avoir de temps », que les journées ne font plus 24 mais 30 heures. Car, depuis les années 60, nous gagnons chaque année une espérance de vie de trois mois, soit un an tout les quatre ans. Autrement dit six heures supplémentaires chaque jour !
En fait de plus en plus de personnes évoluent aujourd’hui sur un mode « lent ». Au lieu de considérer ce fonctionnement comme handicapant, mieux vaut l’intégrer et en tirer profit. L’augmentation de l’espérance de vie propose de faire de la durabilité une référence. Cela peut conduire à soutenir des politiques de circulation plus lente dans les villes, de favoriser la marche humaine ou encore de promouvoir la qualité des produits et leur durabilité.
Des secteurs comme la santé et l’éducation, échappent à la logique strictement marchande (ce qui ne veut pas dire qu’ils n’ont pas un coût). Or, ces domaines sont voués à croître fortement. Mais que signifie « aller vite », « être productif » en la matière ? Faut-il obliger les personnes âgées à manger plus vite, qu’elles réduisent leurs échanges avec leurs voisins pour que le personnel débarrasse vite et passe à autre chose ? La nouvelle économie n’est pas l’ennemie du temps.
Sans les bénévoles de grands pans de notre société s’écrouleraient
@! – Vous insistez énormément sur le rôle social des retraités, là aussi il faut sortir des idées reçues ?
S. G. – Nous comptons 15 millions de retraités, des millions d’étudiants, de chômeurs, de personnes au foyer… il y a presqu’autant de gens qui travaillent, hors du cadre traditionnel, que de « vrais » actifs, environ 27 millions. Le travail rémunéré n’est plus dorénavant l’alpha et l’oméga de notre société. Sans les bénévoles retraités, de grands pans de notre société s’écrouleraient. Sans eux, le tissu associatif n’aurait pas le même visage ni la même dynamique. Sans eux, ce serait souvent bien plus compliqué dans les familles, je rappelle que 23 millions d’heures sont données chaque semaine par des grands-parents auprès de leurs petits-enfants. Ce sont aussi ces retraités, et d’abord les femmes, qui composent la moitié des 8,5 d’aidants bénévoles d’un proche qui sont des acteurs majeurs de la santé publique et du soutien aux plus fragiles. Il est intéressant de noter que ces engagements donnent du sens pour les personnes concernées. Un comptable à la retraite qui s’occupait des comptes d’une association une fois par semaine m’a dit un jour : « quand j’ai terminé ma journée de bénévole, on me dit merci. Cela ne n’est jamais arrivé quand j’étais en activité… »
@! – A la différence du discours ambiant vous expliquez combien l’intergénération fonctionne bien, pourriez-vous expliciter cette notion ?
S. R. – C’est un concept à préciser. Installer une crèche dans une maison de retraite, cela ne fait pas nécessairement intergénération… D’ailleurs, on ne demande guère leurs avis, aux nourrissons et aux vieux ! L’intergénération repose sur une volonté, un projet, des passerelles…. Il a besoin d’accompagnement, de projets communs, d’une activité, d’une passion… On croit souvent que cela signifie cohabitation ou relation entre un très jeune et un très vieux, qu’il suffit de créer un lieu dédié… Si vous, quinquagénaire, vous expliquez le maniement d’un ordinateur à votre mère de 80 ans, c’est de l’intergénérationnel.
Contrairement aux idées reçues, il n’y a pas de grands problèmes entre les générations. Je dirais même que les choses se passent certainement mieux aujourd’hui qu’hier. Au sein des familles, y compris avec les effets des ménages recomposés, la mixité est mieux choisie qu’hier. Etre dans l’intergénérationnel, c’est bien saisir que chacun est en lien avec l’autre, que chacun a besoin de l’autre et de son regard bienveillant. Le rôle des institutions et des leaders d’opinion est d’instruire et de diffuser cette culture de l’ouverture à l’autre, de la coopération et de l’intergénération. Il faut beaucoup de compréhension, de pédagogie et de capacité à établir des priorités. Cela ne doit pas pour autant devenir une obligation, une norme.
S’incrire à la conférence organisée par « Les amis d’aqui ».