@qui! – Haendel dans les collines : Joli titre pour ce 33° Festival, comme une invitation à écouter sa musique s’envoler, joyeusement, sur ces côteaux du Périgord Noir ? Pourquoi le choix de Haendel cette année ?
Jean-Luc Soulé – C’est un choix égoïste car c’est un musicien que j’aime depuis toujours; c’est un peu l’ogre du baroque, l’européen avant la lettre. Il est né en Allemagne, en Saxe, a été formé en Italie, a beaucoup emprunté à la tradition française et il a été naturalisé anglais… Aujourd’hui, c’est le plus anglais des musiciens. Autant Bach n’a pratiquement pas quitté sa ville natale, autant Haendel c’est le voyageur, l’européen.
Trois dimensions me touchent, particulièrement chez lui ; elles ont assuré, sans éclipse, sa permanence au cours des siècles: l’imagination de son œuvre, la mélodie qui est constante et dont on mémorise ses formes – au cœur du Messie, de concertos pour orgue – et l’émotion qui n’était pas une caractéristique du 18° siècle. Or, Haendel, né en 1685 et mort en 1756, est un musicien qui innove. Il est plastique dans sa formation, le choix des formes, le grand opéra ou l’oratorio, mais il saura parler aux romantiques comme aux contemporains. Et c’est cela que j’aime aussi.
Il va créer le grand oratorio, type le Messie, dont Judas Maccabaeus est par ailleurs un des très bons exemples; il touchera un très large public avec ses concertos pour orgue, ses cantates… c’est un musicien qui va tout de suite toucher de son vivant: il va faire des concerts avec des recettes pharamineuses. Il créera la Royal Académie of Music qui, certes, fera faillite mais il la recréera deux fois. C’était un entrepreneur et j’aime bien cela aussi chez lui; il est à la fois un organiste virtuose, probablement le plus célèbre de son époque… Ne dit-on pas qu’il aurait refusé de rencontrer Bach parce que, là, il avait peur d’être face à un vrai concurrent. Mais, pour le reste il ne craignait personne, pratiquait le clavecin comme personne. C’était un musicien dont, quelque part, tous les aspects étaint faits pour devenir modernes.
Aujourd’hui, si on prend quelques oeuvres célèbres, la Sarabande de sa XI° suite ( dans Barry Lindon), la Passacaille, le Messie, le Water Music qui lui valait la faveur des grands quand il la mettait en scène sur la Tamise, Fireworks pour le roi George 1°, quand il écrivait des Coronation Anthem pour le couronnement des rois successifs, il faisait œuvre de modernité…
Un impressionniste avant la lettreTous les publics seront touchés par sa musique et tous les musiciens vont le saluer. Mozart, Haydn qui disait « Haendel est notre maître à tous », Beethoven « c’est le plus grand compositeur qui ait jamais existé », Mendelssohn, Brahms, Schumman… presque tous ont écrit sur lui et des œuvres sur ces thèmes. Bach et Vivaldi, pour prendre les grands maitres du 18°, n’auront jamais cette ferveur auprès des romantiques et des modernes. Il y a chez lui une gaieté à rire qui, tout d’un coup, se transforme en émotion; nous l’entendrons dans Judas Maccabaeus, avec les israélites qui passent du rire aux larmes, en fonction des circonstances de l’oeuvre. Haendel est le musicien qui nous entraine dans un tourbillon de sensations, de formes, d’impressions ; Au fond il est quelque peu un impressioniste avant la lettre.
@! – Nombre de figures de la jeune génération, cette année encore, seront présents à côté de quelques fidèles que l’on retrouve, notamment, dans les Académies à Saint-Amand de Coly à Sarlat…
J-L S. – Le Festival, de longue date, a fait le pari de jeunes artistes invités à l’orée de leur carrière et qui resteront fidèles au festival. Comme les Nicholas Angelich, les Frank Braley, les Philippe Jaroussky qui va revenir bientôt et qui m’a dit combien ses débuts en Périgord Noir l’avaient marqué …c’est une constante à laquelle je tiens beaucoup. Fidelité à celui qui nous fait confiance et à qui le Festival tend la main. Nous tendons la main, avec d’autant plus de facilité que c’est ce que font les maîtres avec les jeunes talents. Ainsi en est-il de nos Académies, de la carte blanche d’un Adam Laloum… Notre fil conducteur consiste à faire circuler l’esprit du festival à travers un courant d’amitié de sympathie… ce qui correspond aussi à celui du Fonds de dotation qui sait que nous nous appuyons sur cette fidélié et ce soutien à des jeunes qui ont démarré dans une production du Festival.
@! – Une manière d’hymne à l’intergénération ?
J-L S. – Le Festival souhaite faire vivre une continuité intergénérationnelle, une notion qui a de plus en plus de sens. J’aime bien cette idée et on la retrouve, d’une certaine manière, avec la continuité de la présence du festival d’un lieu à l’autre: des petites églises du Périgord Noir à la Cathédrale de Sarlat, en passant par les Jardins d’Eyrignac, il y a un bouquet de lieux qui correspond à une floraison de jeunes talents. Et puis comment ne serais-je pas sensible à la fidélité des Michel Laplénie, Yvon Repérant, Michel et Yasuko Bouvard qui dirigent les Académies ?…A un jeune bordelais qui est une figure de l’orgue et revient souvent, Paul Goussot, au contre ténor Rodrigo Ferreira, à l’ami Karol Beffa dont le cinéma est devenu un incontournable, lui qui mène une carrière internationale extraordinaire mais tient beaucoup à ce rendez-vous périgourdin ….Et, même en matière de jazz où un garçon comme Nicolas Folmer, avec lequel nous sommes très attentifs à pouvoir établir un rendez vous avec la jeune génération de jazzmen … Cette année, pour la première fois, nous le faisons avec le Festival « Cultures aux coeurs » et c’est heureux.
Judas Maccabaeus: une œuvre qui fait sens…@! – Pourquoi le choix de Judas Maccabaeus ?
J-L S. – D’une année sur l’autre, nous alternons Oratorio et Opéra. Pourquoi Judas Maccabaeus ? Parce que c’est une des œuvres les plus exemplaires d’Haendel. Il y a des choeurs célèbres, notamment le choeur final de l’Alleluia, extraordinaire, des pièces en solo patriotiques héroïques, des pastorales; donc plein de couleurs, une orchestration d’une grande richese – les trompettes, les bassons y ont une place très importante – ça permet de faire très bien travailler, ensemble, des jeunes venant d’horizon très différents.
Le succès public de Haendel devrait se retrouver. Sait-on qu’il a dirigé, plus de cinquante fois, l’oeuvre de son vivant ? Et puis j’aime bien le thème de l’oeuvre : c’est la lutte des juifs contre l’empire des séleucides c’est à dire les syriens… Israël obtient, à la fin, de Rome, d’être protégé contre toute attaque future. J’aime bien ce clin d’oeil à l’actualité mais Maccabaeus raconte, aussi, la fameuse victoire des Anglais sur les Ecossais à Colloden. Haendel célèbre ainsi celle des princes du Cumberland sur les derniers Stuart, prétendants au trône… A tout point de vue cette oeuvre de Judas Maccabaeus faisait sens….