@qui! – Un mois après l’épisode de gel qui a affecté la viticulture de la région et hypothéqué la récolte dans le bordelais comment annalysez-vous la situation?
Bernard Farges – C’est un choc pour l’ensemble du vignoble des vins de Bordeaux et l’ensemble de la filière. Lorsque l’on manque de produit, qu’il est détruit, c’est bien entendu le viticulteur lui-même qui est atteint mais aussi toute la chaîne de transformation, de distribution, de commercialisation qui est impactée. Au-delà des chiffres globaux que l’on évoque, aujourd’hui, il faudra attendre la récolte pour mesurer cet impact car le constat que nous pouvons faire recouvre des situations diverses, avec nombre de propriétés touchées à 80%.
@qui! – Face à cette situation, le président des AOC Bordeaux et Bordeaux supérieurs que vous êtes doit, cependant, mettre en garde contre les conséquences de cette calamité et d’une aussi grave perte de récolte, sur le cours des vins…
B. F – Tout cela ne se maîtrise pas vraiment ; c’est le marché… Lorsque nous avions des cours incroyablement bas nous essayions de faire en sorte que ça remonte et ce n’était pas facile ; de la même façon, là, nous savons que les entreprises auront peu de vin et voudront être tentées de vouloir profiter au maximum d’une hausse qui pourrait intervenir…il est évident qu’à terme une hausse importante serait néfaste pour le marché. Nous l’avons expérimenté en 1991 lorsque les prix du blanc ont fortement augmenté ; nous ne nous en sommes jamais relevés. Et nos amis du Muscadet ont vécu cela, dernièrement, et ils ont aussi du mal à s’en relever avec une succession de sinistres.
@aqui! – C’est toujours difficile de se prémunir de ces accidents climatiques mais il faut pourtant progresser notamment via l’assurance.
B.F – Il existe quelques outils qu’il faut améliorer et dont on fait la promotion : le VCI et l’assurance récolte. Chaque viticulteur ne veut pas y participer, ou les utiliser, mais nous devons engager les uns et les autres à s’y pencher au plus près. Il reste beaucoup de chemin à faire et nous aurons une assemblée générale qui traitera de ce sujet; nous voulons reprendre le travail que nous avions fait déjà, après le choc climatique de 2013 avec la grêle, et faire la promotion d’un dispositif certes imparfait mais qui mériterait d’être davantage utilisé par les viticulteurs. Ce sont les solutions collectives qui peuvent être utiles et si aucune solution ne répond à tous les problèmes, parfois l’une d’entre elles peut améliorer la situation de l’un ou de l’autre.
De beaux millésimes à vendre
@qui! – Cette conjoncture difficile ne va pas empêcher la viticulture d’être bien présente pour le rendez vous de Vinexpo..
B.F – Sûrement pas, ne serait-ce que parce qu’on a du vin à vendre, du 2015 du 2016, de beaux millésimes. Ceux-là, nous savons que nous les tenons et nous devons les vendre. Nous avons été discrets sur la sortie du millésime et maintenant on voit que 2016 est un très grand millésime.
Le portage foncier trop peu utilisé
@qui! – En tant que président des Bordeaux et Bordeaux Supérieurs, quand vous regardez de près la structure des exploitations, la question des successions, des transmissions, quelle analyse faites-vous aujourd’hui ?
B.F – Le foncier est dynamique quand l’activité économique l’est aussi. Tout ce qui concourt à améliorer la santé économique de la filière et des entreprises donne de la fluidité au foncier et des investisseurs s’y intéressent, qu’ils soient intérieurs à la filière ou pas, sachant que Bordeaux, depuis toujours, a été ouvert aux investisseurs extérieurs; les dix à vingt dernières années ne l’ont pas démenti. Nous avons besoin d’outils qui permettent de fluidifier ce marché, de faire en sorte que lorsque des jeunes veulent s’installer on puisse avoir la capacité de les y aider. Le système de portage du foncier qui a été mis en place est un outil trop peu utilisé; il faut en faire la promotion et améliorer les quelques points qui pourraient l’être. C’est l’un des engagements forts de la Région ; il faut pouvoir en faire la promotion, qu’il soit connu, qu’un certain nombre de personnes puissent s’intéresser à ce dispositif.
D’autre part, tout ce qui concourt à faciliter la transmission et à alléger le coût de la transmission de l’outil de travail va dans le bon sens. Quand ce n’est pas un outil de spéculation mais un outil de travail que l’on transmet et qui n’est pas vendu – ( quand il est vendu et que l’on en tire une plus value, on participe à la solidarité nationale avec l’imposition c’est normal ;..) c’est souvent difficile. Et nous voyons, aujourd’hui, ce à quoi cela conduit, à des appellations où les viticulteurs sont moins présents parce qu’ils ne peuvent plus racheter, ou quand celui qui veut rester n’est pas en capacité de financer ces droits, lorsque d’autres veulent acheter.. La transmission c’est un sujet extrêmement important, un vrai sujet de politique économique. Il existe, d’ailleurs, des régions viticoles, en France, où la transmission est le sujet majeur, chez nos amis champenois par exemple mais aussi à Bordeaux, à Saint Emilion, à Pomerol, dans des appellations prestigieuses. C’est un sujet majeur pour eux; cela l’est moins dans celles où l’écart est à 20 ou 30.000 euros l’hectare mais lorsqu’il est à un ou deux millions d’euros, c’est incroyablement important.
Un amortisseur souhaitable pour le fermage
@qui! – Et le fermage ? Ne pourrait-on pas en améliorer l’accès ?
B.F – C’est un outil largement utilisé par les entreprises. Il faut aussi imaginer un amortisseur, en cas d’accident climatique, ça fait partie du métier. Les bailleurs, évidemment, veulent des revenus réguliers mais si le fermier est en grande difficulté économique – songeons aux conséquences du gel par exemple – il n’est pas évident que le contrat soit facilement respecté et reconduit. Il faut trouver des modalités où le fermage puisse être diminué, ou étalé, lorsqu’il y a par exemple de gros chocs climatiques. Pour l’instant, ce n’est pas calé, avec notamment un effet pervers du calcul du prix du fermage fixé en volume ou en quantité dans le bail pour les vins de bordeaux, sur le cours de vente des données « CIVB », appellation par appellation, et par rapport au prix du vrac Quand on a un choc climatique comme cette année et que le prix du vrac peut monter, mécaniquement cela va faire monter le fermage alors que des viticulteurs n’auront même pas les 7, 8 ou 9 hectolitres récoltés qui doivent être inscrits dans le fermage.
@qui! – Comment évaluez-vous par ailleurs le rôle que peuvent jouer les caves coopératives pour l’installation ?…
B.F – Les caves, en effet sont entrées dans le jeu. Elles ont compris qu’elles avaient intérêt à être attentives au maintien du foncier car il y va de leur pérennité et de leur compétitivité. Certaines se sont équipées de personnes qui se consacrent à cette question car c’est décisif à un moment où il y a un renouvellement de génération pas forcément assuré. Et où des investisseurs étrangers ou extérieurs qui arrivent n’ont pas forcément vocation à faire coopérative et à accompagner l’installation des jeunes.
@qui! – Vous semblez cependant optimiste quant à la possibilité de garder le potentiel de la viticulture girondine…
B.F – ça fait vingt ans, au moins vingt ans, que l’on entend le discours selon lequel on n’arrivera pas à renouveler et à garder les entreprises; ça fait vingt ans et pour l’instant nous n’avons pas de déprise à Bordeaux. Même lorsque les périodes ont été difficiles, avec des aléas divers, il n’y a pas eu de déprise ou quasiment pas. Le tissu économique viticole bordelais, y compris avec les étrangers, permet que les choses s’organisent, que l’on s’adapte ; il continuera à s’organiser dans les dix ans à venir. On a vu arriver – je ne sais pas si c’est un bien ou un mal c’est surtout un constat – des propriétés qui exploitent mille hectares… Je ne dis pas que ce sont des gens qu’il faut suivre mais ils ont crée un nouveau modèle. Naturellement cela n’empêche pas qu’ il y a toujours des propriétés de dix, quinze hectares qui tournent et fonctionnent. Il y a peu des surfaces qui disparaissent.
Les Conventions de mise à disposition ( CMD ) sont d’ailleurs un outil qui permet de fluidifier le foncier. On voit de nouveau, depuis un ou deux ans, un peu plus de candidats à l’installation ; c’est le signe d’une amélioration de notre économie viticole. Et, bien sûr, on rencontre celles et ceux qui sont intéressés par ce métier et y arrivent. Certes, il n’est pas facile mais beau, exigeant et rigoureux et très riche par la diversité de ses travaux et des actes que sont la culture de la vigne, la vinification ou la commercialisation. Ce sont des métiers très différents, pas faciles ni accessibles pour tous de la meilleure des manières mais ceux qui arrivent à les conduire, en tout ou partie, s’y accomplissent
@qui! – Et que pense le président que vous êtes de la Confédération Nationale des producteurs de vins et d’eaux de vie AOC par rapport à l’image que la profession?
B.F – Nous avons une chance incroyable à Bordeaux ; c’est un produit, le vin, qui n’est pas indispensable mais je suis convaincu que nos futurs consommateurs, et donc acheteurs de vins, achèteront beaucoup plus que par le passé, le vin pour ce qu’il représente que pour ce qu’il est lui même, en tant que produit. Ce que le produit dit au consommateur sera plus important que le produit lui-même. A travers ce qu’il représente c’est à dire des viticulteurs, des viticultrices, un travail, une activité économique à l’intérieur de la société, des paysages, un patrimoine mais aussi une intégration dans les micro-sociétés rurales. Nos vins de Bordeaux, nos vins français ont cette capacité à donner cela, ce que n’ont pas forcément ceux de l’Australie, du Chili ou d’autres pays.