Interview : Alain Rousset veut faire  » entrer Bordeaux dans la modernité « 


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Interview : Alain Rousset veut faire " entrer Bordeaux dans la modernité "

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Temps de lecture 8 min

Publication PUBLIÉ LE 28/01/2008 PAR Joël AUBERT

Aqui! Avec le recul, les années passées à la tête de la Région Aquitaine, comment analysez-vous la situation de Bordeaux, cette capitale qui est restée si longtemps comme étrangère à son arrière-pays ?

Alain Rousset. La question essentielle aujourd’hui peut se résumer ainsi: Est-ce que Bordeaux va rentrer dans la modernité ? Etre capable, à la fois d’analyser sa situation économique en Europe, sur la façade atlantique, et de se doter des outils permettant de diversifier l’activité, et d’avoir un œil différent sur ce qui fait aujourd’hui l’attractivité économique.
A l’évidence, il n’y a pas d’action économique qui soit portée par la ville. J’en donne deux exemples : le laisser faire sur les grandes surfaces dont la moyenne dépasse largement l’équipement des autres villes; la volonté d’Alain juppé de faire de Bordeaux une ville uniquement tertiaire. Pas un mètre carré de pépinière d’entreprises sur Bordeaux: il y en a 5.000 autour de Bordeaux. J’ajouterais: pas de service économique digne de ce nom à la Mairie. De la même manière qu’il n’y en avait quasiment pas à la Communauté urbaine quand j’en ai pris la présidence. Quant à la visibilité industrielle, elle est surtout marquée par la confidentialité propre aux entreprises du secteur de la Défense ou à la crise d’une entreprise comme Ford. La situation de celle-ci est préoccupante et symbolique de l’évolution de l’économie locale.


Renoncer à l’industrie ? Mille fois non…

@! : Justement, est-ce qu’aujourd’hui on est conduit, inéluctablement, à l’heure de la mondialisation, à renoncer à l’industrie?
A.R. : Bien sur que non, mille fois non ! Bordeaux a une chance exceptionnelle de se développer aujourd’ hui dans l’innovation, dans les les nouveaux métiers; ceux de la santé, de l’optique, de l’éco-conception, de l’environnement. La Région Aquitaine, depuis près de dix ans maintenant, a investi massivement pour faire, à la fois de l’Université et des laboratoires de Bordeaux, une composante de l’attractivité économique et de la création d’entreprises. Il faut que Bordeaux se mette à accueillir des entreprises innovantes, ce que j’ai fait sur Pessac avec Unitec et près de 150 entreprises créees.

@! Où installe-t-on ces activités nouvelles à Bordeaux ?
A.R. : A la place de Soferti sur les Bassins à flots; on fait de Soferti, des Bassins à flots, une technopole. S’agissant de l’aménagement de la ville, ce qui se passe est très critiquable. Bordeaux est une ville avec un potentiel foncier libre exceptionnel; au lieu de proposer des fonctions urbaines d’activités et de logements on laisse ces terrains à la spéculation immobilière: voir la rive droite, certains quartiers de Bordeaux, voir les Bassins à Flots. Il faut reprendre tout cela avec des mixités fonctionnelles ; des fonctions d’habitat, d’activités de commerces, des fonctions sociales, d’espaces verts.

Ma candidature réconcilie Bordeaux et la région

Alain Rousset à son bureau à La Région@! Si vous entrez demain au Palais Rohan , qui pilote cette politque ?
A.R. : Nous mettons en place un partenariat entre la ville et la Communauté urbaine avec, bien entendu, l’aide du Conseil Régional et, le cas échéant, les compétences du département. L’originalité de ma candidature c’est, que d’une certaine manière, je réconcilie Bordeaux et son agglomération, Bordeaux et sa région, son département.

@! Résumez-nous la stratégie de développement de Bordeaux. Que faites-vous, en priorité?
A.R. : Il y a trois à choses à faire: 1. constituer une équipe de développement économique; 2.regarder les espaces fonciers disponibles; 3. lancer immédiatement la construction d’une technopole: incubateurs, pépinières, hôtels d’entreprises, centre de transferts… et ceci soit au Bassin à Flots, soit sur Soferti. Mais l’important c’est que la mairie se mette en état d’action. Les réseaux que j’ai crées , d’entreprises et de laboratoires ont appris à fonctionner ensemble; il faut rentrer dans un cercle vertueux de la création et du développement d’entreprises.

La matière grise première priorité

@! Vous voulez, dites-vous souvent, faire de Bordeaux une vaste technopole…
A.R. : Oui, faire de Bordeaux et de son agglomération une technopole des activités innovantes, avec les atouts que représentent son attractivité naturelle, son positionnement sur la carte de France, une ville proche d’espaces de loisirs, de l’Atlantique, du Bassin d’atcachon, des Pyrénées. Son patrimoine est magnifique mais, en même temps, elle crée moins d’emplois, d’entreprises que le reste de la région parce que ce n’est pas son tempérament.
Un maire qui n’est pas  » proactif » sur le plan du développement économique ça se sent tout de suite. Sa disponibilité par rapport aux entreprises est essentielle, il doit mettre des bâtiments, de l’ingénierie à disposition, avoir une équipe qui travaille avec les collectivités dont. Aujourd’hui, ce n’est pas du tout le cas. Il y a, je crois, quatre à cinq personnes à la mairie de bordeaux qui s’occupent du développement économique; dans une ville comme Pessac il y en a déjà plus.
La première priorité, je le redis, c’est l’investissement dans la matière grise, le transfert de technologie vers l’entreprise. Autant l’agglomération bordelaise s’est mise en mouvement sur le plan économique, autant Bordeaux est restée totalement immobile : Je n’accueille pas de nouvelles entreprises. Je me dédie au tertiaire. Donc derrière le tertiaire, c’est des emplois de services. Et c’est des emplois qui vont être plus précaires, qui vont être moins payés. Et on va rencontrer des problèmes d’enrichissement global de la collectivité.

@! Pourtant Alain Juppé parle de pépinières, lui aussi et annonce leurs créations…
A.R. : Il serait temps. Il y a 5000 m2 de pépinières industrielles autour de la ville de Bordeaux et zéro à Bordeaux

Bordeaux n’est pas un musée

@! Revenons un instant sur la position de Bordeaux métropole de la façade Atlantique.
A.R. : Il faut évidemment préparer Bordeaux à être à 2h de Paris, à être à 4h30 de Madrid ou 1h45 de Bilbao. Mais aujourd’hui, malgré un effort gigantesque de la Région pour élever le niveau de recherche et rattraper une partie du retard sur le plan de la recherche et de l’enseignement supérieur, Bordeaux sur le plan culturel, sur le plan sportif, sur le plan des évènements, de l’attractivité, a baissé par rapport à Nantes à Bilbao. Il faut que Bordeaux propose, invente des évènements culturel et scientifique, un appui aux entreprises, qu’elle soit attractive. Comme on vient au festival d’Arles, d’Avignon, il faut qu’on vienne à Bordeaux. On venait à Bordeaux pour Sigma. Aujourd’hui, on vient à Bordeaux pour les quais. Ce n’est pas suffisant. Bordeaux, pour moi n’est pas un musée. Je vais essayer pendant la campagne de proposer un projet par jour, une trentaine de projets.

@! : J’aimerais qu’on parle des infrastructures. Je prends un exemple : Sur La Ligne à Grande Vitesse Bordeaux-Paris on a un problème de financement en Poitou-Charentes. Comment on le résoud ?
A.R: Il nous appartient effectivement de convaincre Poitou Charentes. Mais, c’est au gouvernement de débloquer l’opération. L’Aquitaine a été la première région, à se mettre en ordre de bataille, quelles que soient les critiques que je peux formuler à l’égard de la mise aux enchères de cette grande infrastructure. Midi-Pyrénées est là aussi, au rendez vous. Je pense qu’il y a parmi les blocages de Poitou Charentes, des dossiers, propres à cette région. La balle est dans le camp du gouvernement pour que le problème de Poitou- Charente avance. L’Etat doit débloquer le dossier. J’espère que le chantier autoroutier de Bordeaux-Pau se déroulera bien. J’avoue que je suis un peu surpris que certains s’opposent en même temps au dossier de Bordeaux-Pau et au dossier de la Ligne à Grande Vitesse vers Hendaye et l’Espagne. Un des responsables de la Sepanso (1) a été, à la fois, un opposant à la LGV et à l’autoroute A65. Si on veut s’occuper de la mobilité, il faut privilégier, bien entendu, le fer. Même si on a un problème énorme de sécurisation de la liaison routière Bordeaux-Pau. Même si comme le souhaitent un certain nombre, on mettait à deux fois trois voies la liaison existante. Imagine-t-on la casse qu’il y aurait à travers les villages, dans le contournement des villages? Le fait que ce soit une liaison gratuite, créerait un couloir à camions très dangereux et beaucoup plus polluant, source de beaucoup plus de dégâts sur le plan environnemental. Le retard qu’a pris l’Aquitaine sur le plan des infrastructures est à cet égard dramatique. Je m’enorgueillis, d’une certaine manière, d’avoir réglé le problème de Bordeaux Pau, d’avoir remis sur les rails le dossier de la Ligne à Grande Vitesse. Mais tout ça prend du temps pour se mettre en place. Au moment, où par ailleurs nous constatons une crise budgétaire de l’Etat, une absence de réforme de la fiscalité locale qui fait que les collectivités locales ont moins de moyens et n’ont pas réellement les compétences. Ajoutez à cela la nécessité de refaire la quasi totalité du réseau ferroviaire français, qui va coûter à Réseau Ferré de France, aux collectivités locales, à l’Etat, des sommes colossales. L’absence d’anticipation de l’Etat qui donne des leçons à tout le monde, sur les grands chantiers de transports combinés de report modal, est incroyable. Si ce n’était pas la région, par exemple, qui poussait à la modernisation à la réalisation, au contrat de plan du report modal que se passerait-il? Quel est le plan qui a avancé? Celui que j’ai lancé en 1998. Prenez l’exemple du pont ferroviaire de Bordeaux: si nous n’avions pas été à la tête de la Région ce projet n’aurait peut être pas démarré.

Le Grenelle de l’Environnement est rentré dans les sables

@! : Face au renoncement au grand contournement autoroutier des engagements de principe ont été pris en faveur d’un contournement ferroviaire..

A.R. : Aujourd’hui, j’observe que le Grenelle de l’environnement est, pour l’instant, rentré dans les sables. Le gouvernement se tourne vers les collectivités locales pour leur demander de le financer; il n’a pas le courage de prendre des décisions fortes pour organiser le report modal de la route vers le rail ou vers le bateau. On traverse Aquitaine et Poitou Charentes gratuitement, avec de plus en plus de marchandises, de plus en plus de camions, avec 8500 camions par jour au moins! Donc, la rocade de Bordeaux est de temps en temps complètement bouclée. Ce qui fait d’ailleurs, que le basculement de la rocade vers un blocage complet est de l’ordre du calcul marginal: combien de véhicules supplémentaires faut-il pour tout bloquer ? Les opposants de la grande rocade (du grand contournement) ont démontré par l’absurde, qu’il faut peu de voitures pour tout bloquer. Hors, aujourd’hui, il existe des mIlliers de familles qui habitent autour de la rocade et qui vivent non seulement le bruit, mais la pollution à cause des embouteillages.
Alors,OK, pour le moratoire sur la grande rocade. Mais trouvons une solution. Je n’ai pas les moyens réglementaires, moi, pour limiter le nombre de camions. Je n’ai pas l’argent suffisant pour rénover, lancer la voie ferrée, lancer la voie de marchandises, même si nous y mettons beaucoup d‘argent et si c’est notre premier poste budgétaire à la Région. Mais que l’Etat nous aide, au moins, à prendre les décisions nécessaires

@! A vous entendre on va droit dans le mur…
A.R. : Je le pense. On va vers quelque chose d’ubuesque. Une espèce de longue file de camions, ininterrompue depuis la frontière espagnole traversant l’Aquitaine et le Poitou-Charentes.
Comme aujourd’hui la mobilité des marchandises, on ne peut pas l’arrêter, Il faut que par des mesures précises, réglementaires et parafiscales, on réoriente les trafics.

Propos recueillis par Joël Aubert
avec le concours de Charlotte Lazimi



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