Interview : Alain Rousset président de l’ARF: la décentralisation permet la croissance


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Interview : Alain Rousset président de l'ARF: la décentralisation permet la croissance

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Temps de lecture 8 min

Publication PUBLIÉ LE 07/07/2008 PAR Joël AUBERT

@qui! : Comment le président de l’Association des Régions de France réagit-il à l’attitude du pouvoir exécutif vis à vis de ladécentralisation ?
Alain Rousset :
Nous sommes devant un double paradoxe : le premier est une recentralisation voulue par le pouvoir exécutif qui se caractérise par des normes, des interventions alors qu’il n’a plus les moyens de cette politique; le second découle du refus de vraiment régionaliser des politiques qui concourent au développement économique, alors que c’est la seule façon, aujourd’hui, de trouver le point de croissance dont la France a besoin. Il suffit de regarder ce qui se passe ailleurs en Europe pour s’en convaincre.Oui, voilà le double paradoxe d’un Etat sans moyen qui fait de plus en plus appel aux collectivités locales qui assurent, elles,75% de l’investissement public. On est bien, là, dans cette recentralisation qui est totalement ingérable dans le moyen et long terme.

Service public de l’Emploi: il n’y a pas de pilote dans l’avion

@! : Quels exemples de cette propension à la recentralisation ?
A. R. : On prépare des lois sur la formation professionnelle, alors qu’on est, ici, dans un domaine de compétences qui réunit, déjà, partenaires sociaux et Régions. S’agissant du service public de l’emploi, on rate une occasion de responsabiliser les Régions alors qu’elles ont, à la fois, la compétence du développement économique et de la formation. Le préfet est re-titularisé comme pilote d’une commission régionale de l’emploi…

@! : Le débat au Parlement ne vous a pas permis de convaincre …
A. R. : Je me suis battu sur ce service public de l’emploi, et notamment lors du débat au Parlement. Les progrès sont possibles pour peu que l’on puisse dire : le Conseil régional est responsable du service public de l’emploi. Aujourd’hui, il n’y a pas de pilote dans l’avion de l’emploi. Ce n’est pas la Région; elles’occupe de développement économique, ce n’est pas le département qui s’occupe du RMI, ce n’est pas le préfet car il n’a plus beaucoup de moyens.Avec son directeur du travail, l’inspection du travail, il assure le contrôle du droit du travail. Mais pour ce qui touche à l’intermédiation, au rapprochement des entreprises et des appareils de formation, entre les embauches possibles d’une part et les jeunes qui sortent de formation ou les chômeurs, où est le dispositif ? Il en existe de très nombreux, mais dispersés. Le chômeur est un nomade qui atterrit devant le bureau du maire quand il a des difficultés. Il faudrait que ce dispositif ait un pilote, non pas sur les normes du chômage, les rémunérations, mais sur le rapprochement entre besoins de l’entreprise, de l’appareil de formation, du demandeur d’emploi.

@! : Cette conception est récusée par le pouvoir central ?
A. R. : Aujourd’hui cette approche est récusée, même si la ministre des finances n’avait pas grand chose à m’objecter sur la logique de notre proposition. Le retour à l‘emploi suppose de l’information, de l’orientation de la formation mais aussi des réponses en termes de logement : vous avez un emploi à Bordes chez Turboméca où logez-vous ? A Dax… Vous voulez connaître cette offre où la trouvez-vous ? Nulle part. Voulez – vous vous déplacer ? Qui vous aide à le faire ? Le système actuel est à la fois éclaté, sans pilote et incomplet. L’expérience que nous avons mise en place à la Région est édifiante : j’ai recruté une personne dont la mission est de voir par rapport au plan d’embauche de Turboméca, en Aquitaine, quelles sont les propositions que l’on peut mettre en place ? Le jeune ou le moins jeune va se voir proposer unparcours de formation permettant un ajustement à son emploi.

TGV: La Bretagne d’abord?

@! : Il y a aussi les infrastructures que les collectivités vont devoir se payer…
A. R. : Le TGV c’est l’exemple typique : aujourd’hui l’arbitrage entre la Bretagne et l’Aquitaine risque de se faire par la rapidité avec laquelle l’Aquitaine, Midi-Pyrénées et Poitou-Charentes arriveront, ou non, à se mettre d’accord car la Bretagne, elle, est seule à décider.

@! : Mais pourquoi ne parvenez-vous pas à un accord avec Poitou-Charentes ?
A. R. : Je pense que c’est pour deux raisons: d’abord parce que nos voisins sont presque à deux heures de Paris… ensuite, parce que c’est sur le territoire de Poitou-Charentes qu’auront lieu l’essentiel des travaux; les collectivités , les départements notamment, sont relativement réticents et n’y a pas d’accord politique sur cette infrastructure, enPoitou-Charentes comme il y a en Aquitaine. Après il peut y avoir des tensions entre M.Bussereau et Mme Royal …

@! : Et pendant ce temps,l’Etat dit si ça continue c’est la Bretagne qui va l’emporter ?
A. R. : Oui, je le crains

Le corps préfectoral est beaucoup plus présent auprès de Sarkozy

@! : Votre analyse de la situation est pessimiste. Qui est vraiment derrière ce refus d’aller jusqu’au bout de la décentralisation ?
A. R. : Sur le terrain, dans les faits il y a une autonomisation, sauf sur certaines politiques nationales. Mais l’adversaire de la décentralisation c’est un mélange bizarre d’incompétences de certains élus qui reculent, qui ont peur de la responsabilité, du changement, de certaines collectivités aussi. Mais c’est surtout à cause du poids de l’appareil d’Etat, du corps préfectoral qui est beaucoup plus présent auprès de Sarkozy; je pense que celui-ci est plus malléable avec une petit cercle qu’il n’en a l’air… C’est une partie du Sénat, des parlementaires et de tous ces tenants de la culture jacobine

Un pays à deux vitesses

@! : Que se passe-t-il demain ? Vous courez un grand risque d’impopularité en devant financer des politiques décidées ailleurs…
A. R. : Ce qui est grave c’est que l’Etat ne pouvant plus payer ses compétences on risque d’avoir des pays de plus en plus à deux vitesses surtout si l’Etat ne joue pas son rôle, non seulement de péréquation mais d’aménagement du territoire. C’est à lui de décider qui de la liaison LGVParis-Espagne ouParis-Quimper est prioritaire. Quelle que soit l’estime, l’affection que je porte à mes amis bretons.
Lesecond paradoxe vient de la situation économique ; tout le monde voit bien, je le redis, qu’ il faut chercher un point de croissance supplémentaire, durable écologique; on voit bien le paradigme dans lequel la gauche s’était parfois enfermée: on ne produit pas plus de richesses alors répartissons-les différemment à travers le temps de travail et la fiscalité. Aujourd’hui, il faut aller chercher ce point de croissance. Où les autres pays d’Europe vont-ils le chercher ? Dans la réussite de la régionalisation. L’Europe est régionalisée : la formation, le transfert de technologie : tout ce qui prépare les emplois, c’est à ce niveau que ça se passe ; le processus de Lisbonne marche s’il est décentralisé. Quand on fait un colloque sur le développement économique on fait venir le land de Hambourg, le président de la Catalogne ou du Pays Basque espagnol et on leur demande: donnez-nous vos recettes !

@ ! : On décide de faire des pôles de compétitivité par exemple
A. R. : Les décisions se prennent rapidement; ça ne remonte pas à Madrid ou à Berlin. Quand on rentre en France aucune avancée. Chez nos voisins c’est la régionalisation, la décentralisation qui font bouger le pays. En France c’est bloqué, dans les débats parlementaires, la préparation deslois.., ça peut même aller jusqu’à cet accord politique aberrant, cette majorité au Sénat, contre les langues régionales et leur reconnaissance dans la Constitution. A l’heure de l’Europe on voit ce qui marche chez nos voisins, on ne le fait pas en France .

Préciser les compétences

@! : A l’ARF , avec les départements vous menez une action pour tenter de convaincre de la nécessité d’une nouvelle donne
A. R. : Aujourd’hui, la seule façon de débloquer la situation c’est quenous essayons de définir avec le président de l’ADF et de l’AMF : on va prendre des initiatives, ona chargé le Conseil économique et social d’une réflexion sur la fiscalité ; il faut maintenant, dans les six mois qui viennent, que l’on progresse sur les compétences de nos collectivités. La commission Lamberta fait bouger les choses puisque nous étions en face des grandes directions de l’état; elle a évoqué la question de la clause générale de compétences pour les départements et les régions ; est-ce que départements et régions peuvent intervenir dans tous les domaines ? La réponse nous permettrait d’avoir une clarification des compétences. C’est un légitime souci de nos concitoyens, qu’ils soient chefs d’entreprises, maires d’une petite commune, responsables d’une association.

Il y a, aujourd’hui, pour les régions un grand bloc de compétences autour du développement économique, de l’emploi, de laformation, des infrastructures de transport ferroviaire; pour les départements c’est un grand bloc solidarité, les routes.
C’est à travers la clarification des compétences et des moyens supplémentaires qu’on règlera le problème, à la fois du coût de notre administration, du temps de nos décisions et de l’efficacité de l’action publique. Laremise en cause de la clause générale de compétences va être très dure; la piste que nous suivons à l’ARF est la suivante: d’abord on définit les blocs de compétences et qui est chef de file, ensuite la collectivité chef de file élabore des schémas qui ne sont plus simplement indicatifs mais prescriptifs, enfin pour les compétences partagées, par exemple la culture, le tourisme, on procède par convention désignant un chef de file ; celui-ci a au moins la moitié de la subvention publique . C’est la proposition de loi que fait aussi Adrien Zeller, président de la région Alsace devant le Sénat. L’ARF, l’ADF, l’AMF devraient mettre en place trois groupes de travail, y compris sur la fiscalité et la fonction publique territoriale

@! :
Vous pensez rencontrer le président de la République ?
A. R. : Oui, nous pensons le rencontrer plutôt au début de l’année prochaine.

@! : A propos de décentralisation que pensez-vous des projets de refonte de la carte régionale de France 3 ?
A. R. : Ce n’est pas totalement stupide de dire aux régionsde financer France 3mais l’idée de regrouper les bureaux dans de grandesrégions, c’est une erreur. C’est très bizarre : on se méfie des régions en France et on voudrait les regrouper encore plus ; il n’y pas de réalité historique entre Aquitaine et Midi-Pyrénées et encore moins avec Languedoc-Roussillon : ça n’a pas de sens c’est de la rationalisation des moyens. Regarder France 3Aquitaine c’est suivre l’actualité de sa région, dans son environnement immédiat, plutôt que de regarder ce qui se passe sur les bords de la Méditerranée, ou alors on choisit de suivre un journal national.Cela aboutira à la multiplication des radios locales. On va multiplier les télés locales et à un moment donné tout ça se cassera la figure.

propos recueillis par Joël Aubert

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