Hier soir, le XV bleu s’est allongé sur le sofa pour exprimer ses doutes. Comme le disaient Ibanez et Thion, quasiment simultanément et sans s’être concertés, suite aux victoires tests face à l’Angleterre : « nous sommes prêts physiquement mais manquons de jeu… ». En thérapie, c’est bien connu, lorsque des parents amènent leur enfant chez le psy, c’est bien les parents qui sont à l’origine du déséquilibre ou des désordres présentés par l’enfant, et donc à traiter. Il en est de même pour le XV bleu : la vision unique d’un entraîneur qui n’a de posture de « coach » que par le titre et ses frustrations d’ex-joueur, ne permet en aucune manière le développement d’une intelligence collective au sein de l’équipe dont il a la charge. Cette équipe n’est pas la « sienne » au sens de la propriété, mais un groupe d’individus auquel il appartient de gagner son autonomie avant de gagner des matchs.
Hors M. Laporte, dont l’ego n’a d’égal que sa soif de pouvoir matiné de jambon sous cellophane, enferme cette équipe de France dans une redoutable dépendance. Celle qui permet de constater qu’en dehors d’un schéma de jeu purement défensif, fait de tonnes de muscles et est spécialement dédié à contrer des jeux aussi stéréotypés et peu créatifs que ceux des Anglais et des britanniques en général. Fort de deux victoires en match test face aux Anglais, M. Laporte s’est rassuré. Pas ses joueurs. Ainsi, rappelant la correction de l’automne dernier face aux Blacks, l’Argentine a su comment semer la panique dans un jeu trop téléphoné. J’ai cru revoir la bonne époque où, moins préparés physiquement que nos adversaires d’alors, le XV bleu semait la panique chez les Britanniques et autre sudiste, par un jeu de ruse, d’entourloupe, d’évitement, d’oxygène, bref un jeu que nos adversaires qualifiait de « french flair ». Hier nous avons vu ce que nous voyons depuis le règne Laporte : une paire tremblante de demis tentant d’exécuter les ordres du « patron », deux centres chez qui cadrage et évitement ont été exclus du vocabulaire, des ailiers et un arrière dans l’isolement total à faire frissonner les plus courageux. Les pellicules de notre vieil ailier ont dû coller au maillot à la fin du match… Quant au cinq de devant, forts comme des taureaux avec la même incapacité de relever la tête, il n’ont pu verrouiller suffisamment le bloc d’en face pour permettre aux redoutables faucheurs de notre troisième ligne de neutraliser cette si roublarde et intelligente paire de demis argentine. Bravo messieurs. Loin de regretter le jeu aléatoire d’antan où la rigueur était trop souvent aux abonnées absentes, il va de soi qu’à gueuler comme un putois, aucun manager n’a jamais pu créer d’équipe performante. En évitant les leaders naturels, en écrasant des volontés créatrices, en imposant une seule vision, introjectée et non partagée, il n’y pas d’équipe performante qui se crée. A chaque culture ses modèles. Et si les Argentins ont gagné cinq des six dernières rencontres contre la France, ce n’est pas son pseudo » coach »qui a travaillé sur ce phénomène pour autant. Ce même phénomène qui curieusement remontait chaque fois à la surface lors de matchs où nous sortions tous frustrés de ne pas avoir su planter le clou définitivement. Bref monsieur Laporte, pour « faire » des équipes performantes, il importe de les « coacher » avec ce que 50 ans de psychologie moderne nous ont appris : permettre aux individus d’être autonomes, en les sortant d’une dépendance dommageable, les accompagnant dans une contre-dépendance obligée, afin d’être un être avant tout pour soi, puis les accompagnant à nouveau pour gérer cette indépendance synonyme d’isolement dont on ne peut faire l’économie, pour enfin construire l’interdépendance indispensable à la performance des équipes.
Lorsque M. Laporte est allé voir ce qui se passait dans l’hémisphère sud, je crois sincèrement qu’il n’a pas tout saisi de ce qui permet aux Black d’être ce qu’ils sont. Il s’en est fait une idée, son ego faisant le reste. Reste aux bleus à faire cette indispensable révolution (contre-dépendance) dans leurs têtes pour mettre au point le deuxième acte, en toute indépendance. Et si ça passe, je fais un vœu pour que cette équipe mette sur la touche celui qui les empêcherait de voguer vers un collectif enfin retrouvé, dans une réelle interdépendance. Alors, si j’avais un conseil à donner à M. Laporte, je lui dirai de s’inspirer de ce que ce coach « naturel » d’Aimé Jacquet a fait en 98 : laisser faire les joueurs, dont le collectif à l’époque était arrivé à pleine maturité, dans une réelle autonomie, pour contrer tous les pronostics des journalistes qui ne veulent toujours pas voir ce qui crêve les yeux… même quand un certain Daniel Herrero leur rappelle avec sa superbe gouaille.
Allez les Bleus !