Aqui ! : L’exemple de votre dernière étude en Aquitaine est révélateur de la place, chaque jour grandissante, qu’Internet prend dans la façon de s’informer des citoyens. Et ceci en lieu et place des journaux qui s’achètent, quotidiens en particulier. Le Président de la Société des lecteurs du Monde est-il surpris par l’ampleur de cette évolution ?
Marcel Desvergne : Bien sûr que non. Les lecteurs qui depuis 1985 ont apporté une aide financière à un quotidien papier, Le Monde, eux aussi, même amoureux du journal, utilisent la toile mondiale comme moyen d’aller plus vite dans la perception de l’information.
D’ailleurs le site Internet du Monde, le Monde interactif, est le premier site d’information francophone.
L’apport de photos, de vidéos, de textes différents du journal, mais sous une marque prestigieuse, est un plus qui séduit des lecteurs internautes.
L’alliance technique du « haut débit » et du « sans fil » accélère cette mutation. Une génération plus jeune, plus réactive, sensible au concept de la « gratuité », ayant à sa disposition des terminaux simples – téléphone mobile, iPod, baladeur numérique – oblige les responsables des groupes de presse et les éditorialistes à s’adapter aux nouveaux modes d’appropriations des savoirs et de l’information.
Il s’agit, dans ce contexte, de garder tête froide et valeurs journalistiques.
@ ! : Est-ce que la presse écrite, quotidienne d’abord, parce qu’elle est la plus exposée – les magazines résistent mieux à la concurrence du Net – doit s’orienter vers l’approfondissement, les dossiers, retrouver les chemins de l’enquête écrite, du reportage ? Qu’en pense-t-on au Monde ?
MD : La réponse est celle apportée par Eric Fottorino, le directeur de la rédaction, dans la formule 2005 du quotidien.
Importance et sérieux du traitement, à chaud, de l’actualité sociale, politique, économique, internationale, européenne et française, décryptage des mouvements de fond de la société et correspondance de vie avec les lecteurs.
Ce triptyque fonde le quotidien Le Monde et s’y articule un traitement concomitant du Monde Interactif.
Une des réponses de la presse écrite, toujours d’actualité est l’approfondissement sous condition de n’être pas élitiste, abscons et long. C’est en effet l’antidote d’une culture de l’éphémère, de l’immatériel et de l’affectif. Le rationnel, le pédagogique, l’explicatif, la mise en perspective sauve la presse écrite. Mais attention à ne pas juger la presse gratuite comme une forme dégradée de la presse payante. Que n’avons-nous pas entendu lorsque Internet est apparu !
@ ! : Faut-il d’ores et déjà, comme certains éditeurs y travaillent, préparer le journal « papier » électronique comme alternative au journal imprimé façon Gutenberg ?
MD : Il faut en effet anticiper les nouvelles formes de diffusion et de « lecture ». Il faut surtout tenir tous les éléments d’une chaîne qui se complexifie entre producteurs « professionnels » de l’information et « citoyens blogueurs ».
Les éditeurs qui travaillent sur le « papier électronique » n’éliminent pas le « papier papier ».
Ceux qui croient à la disparition rapide des rotatives n’avaient pas imaginé qu’on en aurait toujours besoin pour imprimer les journaux gratuits.
La bataille engagée implique d’avoir des moyens pour tester, réagir, s’adapter suivant les courants mondiaux du numérique.
Les grands groupes de presse français, européens, mondiaux ne sont pas prêts de disparaître car ils permettent d’amortir les changements de comportements des millions de lecteurs, auditeurs, téléspectateurs, internautes.
Gutenberg a peut être pris un coup de vieux, il est néanmoins toujours vert.
Propos recueillis par Joël Aubert