François-Xavier Mahon, l’héritier


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François-Xavier Mahon, l'héritier

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Temps de lecture 6 min

Publication PUBLIÉ LE 05/06/2016 PAR Romain Béteille et Joël Aubert

On prête plusieurs étymologies au terme de guérison. L’une d’elle, germanique, implique l’idée de guerre, de combat pour chasser la maladie. Chaque année, en France, on estime à plus de 350 000 le nombre de nouveaux cas de cancers et à près de 150 000 celui des décès. L’Institut Bergonié, Centre de lutte contre le cancer de Bordeaux et du Sud Ouest est, depuis janvier dernier, le Centre de la grande région. En septembre, il a perdu son ancien « chef », Josy Reiffers, également président d’Unicancer aux succès scientifiques reconnus. Depuis, François Xavier Mahon a pris le relais; il partage des similitudes de parcours flagrantes avec Josy Reiffers, notamment son parcours en hématologie. Pour en savoir un peu plus sur ses idées et les sentiments que lui inspirent son nouveau statut et la direction d’un centre qui emploie 900 personnes (en bref : pour sonder le personnage), il faut longer un long couloir austère aux étagères rempiies de lourds volumes de recherches sur le cancer, pousser la porte et pénétrer dans son grand bureau qui ressemble encore à un cabinet de consultation. Assis dans un fauteuil noir autour d’un décor tout en bois, l’homme de 52 ans n’est pas franchement du genre démonstratif. Il parle d’ailleurs d’une voix très apaisée. Pourtant, en y regardant de plus près, quelques détails détonnent. Une écharpe presque assortie à la couleur de ses yeux trône autour de son cou et fait contraste avec une veste de costume noir, plus classique. A son poignet, une montre orange fluo attire l’oeil. François Xavier Mahon n’est ni petit, ni grand, il est dans la moyenne. Son statut, lui, est loin de l’être. 

Une enfance tiraillée

Nommé directeur général de l’Institut Bergonié le 20 janvier dernier, il est issu d’un milieu très médical. Un grand-père obstétricien, le second médecin généraliste issu d’un mileu modeste, une tante pédiatre, un père psychiatre. Pourtant, la médecine, si elle est devenue un vrai combat, n’a pas été son premier choix de coeur. « Quand j’étais adolescent, je voulais être architecte naval et construire des bateaux. J’ai toujours été attiré par la mer et la navigation. J’en dessinais au fond de la classe », confie-t-il. Sans doute pour prendre un peu de distance avec cet héritage qui lui dessinait une voie toute tracée. Malgré tout, cet héritage l’a rattrapé. « A l’école, j’étais dans la moyenne. J’étais motivé pour travailler mais ma curiosité s’est développée après le Bac. Malgré tout, on se fait rattraper par son histoire. Je me suis inscrit en médecine sur un principe de réalité. J’ai peut-être eu un peu peur de faire le grand bond ». Quelques signes de jeunesse, en revanche, ne trompent pas. De nature très curieux, il se souvient d’une boîte de biologie et d’un microscope qu’il passait son temps à torturer très tôt. Il se dégage également de ce personnage une certaine fierté, celle d’un parcours, là encore, tiraillé entre l’exemplarité et l’insolite. « J’ai eu le concours de première année de médecine du premier coup. J’avais déjà eu la chance, pendant la période d’été, de trouver un job de coursier d’analyses au laboratoire Ruffier. J’avais une mobylette et j’allais chercher les prélèvements dans toutes les cliniques de Bordeaux. Ca me passionnait déjà. C’est même la secrétaire du labo qui m’a annoncé que j’étais reçu en médecine ». 

Les chemins se rencontrent

Sa première rencontre avec son prédecesseur, il l’effectue à 24 ans lors de son premier stage d’externe dans le service des maladies du sang à Haut-Lévèque, dirigé en binôme par Josy Reiffers. « J’ai compris que l’hématologie me plaisait parce qu’elle était à la fois clinique et biologique et qu’il allait probablement se passer quelque chose au niveau de la recherche. J’ai passé l’internat avec cet objectif ». Il parle de lui comme une relation professionnelle, mais aussi filiale, mais nous n’entendrons jamais le mot de « mentor », sans doute par pudeur d’esprit. Pourtant, tout comme lui, il s’intéresse à la leucémie myéloïde chronique, une forme de la maladie très particulière touchant la moelle osseuse. « Au début, quand j’étais externe, le seul traitement était la greffe et un certain nombre mourrait. Aujourd’hui, l’espérance de vie est celle de la population normale. On a mis au point une stratégie qui permet d’arrêter le traitement, on est pas loin de prononcer le mot « guérison ». Moins par fierté que par souci de réalité, François-Xavier Mahon confie être toujours très sollicité sur le sujet. 

Et ses idéaux alors ? Partage-t-il l’humanisme profond de celui qui occupait son fauteuil depuis 2005 ? Tout est encore une question d’étymologie. « La guérison passe par un combat. Aujourd’hui, les thérapeutiques ciblées sont des armes pour nous qui permettent de guérir au sens combatif du terme. C’est un peu le moteur de ma motivation. Être malade, c’est la pire des injustices et elle est difficile à comprendre. C’est une révolte au sens Camusien du terme ». Un révolté calme, voilà ce qui le définit sans doute le mieux. Mais un révolté qui publie beaucoup, notamment dans les revues scientifiques (on a compté 180 articles dans des journaux internationaux). Un autre aspect d’une petite fierté bien placée. « C’est la meilleure façon pour que vos recherches soient reconnues. Je me bats pour y pousser mes collaborateurs, parce qu’on ne peut plus rester dans son coin à faire sa petite recherche. La reconnaissance est importante, notamment chez des médecins de centres anticancéreux. Il faut soigner son narcissisme… c’est comme ça que ça fonctionne ». En revanche, il est beaucoup moins impliqué dans la vie politique locale : pas de poste au Conseil municipal ni à la métropole pour lui. La recherche semble lui prendre une bonne partie de son temps, où du moins semblait. En 1998, il a même étudié un an en Angleterre, au Hammer Smith Hospital. Une année qu’il décrit comme « difficile », même si d’une manière générale « le travail de recherche est ingrat, il faut beaucoup d’abnégation ». 

Une nouvelle identité

On l’a vu, impossible de parler des nouvelles responsabilités de François-Xavier Mahon sans évoquer l’ancien directeur. Ce poids a d’ailleurs sûrement penché dans la balance de cette succession, qui ne s’est pas vraiment faite au pied levé. « Rentrer dans la compétition a été une décision difficile à prendre. Je n’étais pas vraiment prêt psychologiquement, je me suis fait un peu violence. J’ai été invité pendant une semaine au Japon pour présenter mes résultats de recherche. C’est là-bas que j’ai pris cette décision. J’avais des choses à terminer mais même si cela arrivait probablement beaucoup trop tôt dans ma carrière, l’occasion ne se représenterait pas. On n’en parlait pas avec Josy Reiffers, surtout les derniers mois. On parlait plutôt de bateaux ». La mer, l’une de ses grandes passions. Un processus d’évasion du quotidien aussi, sans doute. Aujourd’hui, ce dernier a un peu changé. « Je me suis encore un peu plus impliqué dans la prise en charge du patient, l’aspect sanitaire. Ca me donne moins de temps pour la recherche; ça fait partie de ma frustration, je n’avais pas tout à fait fini ce que j’avais entrepris. Mais il faut essayer de se projeter en avant. La prise en charge ne va pas évoluer uniquement grâce à la recherche mais aussi grâce à l’évolution de la population ». 

Quand on lui parle de son rêve, il reste assez pragmatique : « améliorer la thérapeutique des cancers les plus résistants. Ce serait une quête de graal qui a du sens. Faire du cancer une maladie chronique ». A l’heure de conclure, il regarde sa montre orange. C’est là qu’on remarque plusieurs détails qui nous avaient échappé. Les photos de voiliers sur les étagères de la bibliothèque. Celle de la famille sur le bureau. Les diplômes encadrés sur le mur. On repense à ce cocktail de coïncidences qui ont fait de lui ce qu’il est aujourd’hui. Un prédecesseur et formateur avec lequel il partage beaucoup de points communs et dont un nouveau bâtiment de chirurgie portera le nom dans les prochains mois. Un fils capitaine au long cours, qui a sûrement chopé le virus de papa. Camus en auteur préféré, duquel il a sans doute tiré les combats. Beaucoup d’explications pour une seule conclusion : l’héritage du passé nous rattrape toujours, à nous de choisir de le combattre ou de l’embrasser. François-Xavier Mahon, lui, semble avoir déjà choisi. 

 

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