Avec une longueur de 75 km , l’estuaire de la Gironde est le plus grand d’Europe. Il fut dans un passé récent le trait d’union entre la mer et le port de Bordeaux alors florissant avec son trafic de marchandises et le transport des passagers en direction de l’Amérique du Sud et de l’Afrique. En voguant sur cette mer intérieure, les voyageurs pouvaient apercevoir la « griffe » de Vauban avec, au loin, la forteresse de Blaye, et sur un îlot au milieu de la Gironde, cette tour à canons qu’est Fort Pâté . Depuis le pont des transatlantiques, ils avaient aussi le loisir de découvrir le village de l’Ile Verte- elle comptait sans doute alors une centaine d’habitants – ainsi que ses cultures. Si on en croit le talentueux Pierre Benoît, auteur du célèbre roman «l’ Ile Verte », celle-ci n’a pas toujours existé, puisque n’étant pas indiquée sur une carte de 1723. L’homme de terrain de la SAFER (1) Aquitaine-Atlantique, Eric Happert confirme d’ailleurs, aujourd’hui, cette tendance évolutive dans l’estuaire en constatant des mouvements d’érosion qui frappent cette terre oblongue qui flirte avec le niveau de la mer. Un autre île, voisine, l’île de Crôute, n’a-t-elle pas été noyée en 1999 ?
Vraiment une île
De tout temps, il a fallu être animé d’une vocation particulière , voire rechercher la vie retirée, pour se décider à franchir l’eau séparant le « continent » de l’Ile afin d’y vivre. Le livre de Pierre Benoît, qui est, certes, une fiction, ne contribue pas, non plus, à rendre ce bout de terre très attractif. On imagine ce que doivent être les jours et les nuits au milieu de l’estuaire, entre vents, brouillard, froid et pluie. Eric Happert, indique que même aujourd’hui les moyens d’accès sont liés à ceux dont dispose le propriétaire du lieu. Il s’agit, précise Sophie Boisseau à la Fondation du Littoral , de bateaux dont une ancienne barge de débarquement pour ce qui concerne le transport des matériels ou des récoltes. Et la traversée, estime H. Happert, n’est pas toujours vraiment une partie de plaisir en raison des courants, parfois des vagues, et dans certains cas, du brouillard. Même si le trafic dans l’estuaire n’est plus ce qu’il était à l’époque de la « Transat », il y a toujours l’éventualité du passage d’un gros bateau. De plus, les équipements ne sont que ceux d’une île inoccupée pendant plusieurs décennies, ce qui n’est pas sans créer des difficultés pratiques dans la vie de tous les jours.
Le sol de l’Ile Verte mérite cependant d’être fouillé et bêché, en particulier à des fins viticoles. Il s’est avéré en effet que ce terroir permet une expression complète et intéressante des caractéristiques des vins de Bordeaux et du Médoc tout proche. Paradis des oiseaux, de la faune, et de la flore des marais, l’endroit est également apparu comme une précieuse réserve naturelle à protéger.
L’Ile Verte fait partie de ce que la Fondation du Littoral nomme « l’archipel de la Mer de Garonne », avec ses voisines que sont l’Ile du Nord , l’Ile Cazeau et l’Ile de Macau–un ensemble de 740 hectares- ainsi que les îles de Patiras (la plus au nord), Bouchaud, Nouvelle, Fort Paté, et Margaux
Suite à la promesse de vente consentie par la famille Gonet (celle des champagnes qui étaient propriétaires de ces terres) la SAFER Aquitaine-Atlantique a été amenée, ainsi que le lui permettaient les nouveaux textes, à se substituer à l’acquéreur qu’elle aurait sélectionné. C’est ainsi qu’elle a été conduite à mener une opération exemplaire qui semble devoir contribuer à redonner vie à un espace et à un village qui semblaient voués à l’abandon.
Les maïsiculteurs pas intéressés
Gonet qui avait acheté, voici quelques années, sur l’Ile, dont 80 hectares de vigne classés dans l’appellation bordeaux, était devenu vendeur. C’est ainsi que la SAFER fut conduite à rechercher un acquéreur. Un dossier qui tomba dans les attributions de l’agent foncier en charge de la zone, Eric Happert . Pas moins d’une année de négociations fut nécessaire pour boucler une affaire qui n’était pas banale . La première démarche de la SAFER fut de rechercher un repreneur agriculteur après avoir procédé à l’expertise et à l’estimation de la valeur du bien. Peu ou pas de références pour ce dernier point, et pouvait-on considérer que ce domaine aquatique avait plus ou moins de valeur que les sols situés de l’autre côté de l’eau ? Finalement les experts conclurent à l’équivalence de prix. Il ne se trouva pas cependant d’agriculteur, pas plus que de « gros » maïsiculteur pour tenter l’aventure, d’autant que le bâti qui faisait partie du lot n’intéressait pas ces derniers.
Conservatoire et Fondation propriétaires
C’est donc une autre opportunité, celle de la cession à deux institutions, la Fondation du Littoral et le Conservatoire du Littoral et des Rivages Lacustres, qui a prévalu. Comme le précise Sophie Boisseau, chargée du projet de développement des îles, la Fondation et son président Gérard Favarel, soucieux de l’avenir de « l’archipel, » furent à l’origine de l’initiative. De son côté, le Conservatoire, déjà propriétaire de 42 hectares sur l’Ile Verte, ainsi que de l’Ile Nouvelle, n’était pas moins intéressé par la préservation du site . L’Ile Verte, l’Ile du Nord, l’Ile Cazeau, une langue de terre de 12 km de long sur 300 à 800mètres de large, ont été acquises en avril 2007 par la Scea Atlantide (promue par la Fondation du Littoral) et le Conservatoire du Littoral et des Rivages Lacustres. C’est ainsi qu’un partenariat entre les deux structures a été mis sur pied , l’archipel étant partagé entre ces deux nouveaux propriétaires.
Photo : Julien Hillairet
1)SAFER : Société d’Aménagement Foncier et d’Etablissement Rural. Les SAFER, au sein desquelles les organisations agricoles et les collectivités sont représentées, agissent en faveur de la restructuration du foncier agricole, de la répartition des terres, et de la moralisation du marché. La SAFER Aquitaine-Atlantique est habilitée à intervenir dans les départements de la Gironde, des Landes et des Pyrénées-Atlantiques. Elle est actuellement présidée par Francis Massé, et son directeur général est Pierre Pouget