Imaginez un instant. Vous vous baladez tranquillement en voiture entre Eysines et Mérignac. Là, entre deux centres commerciaux et un morceau de rocade, vous remarquez un endroit un peu étrange, ancien site abandonné devenu mélange entre nature et ville. Tous ces espaces délaissés, qui n’ont plus ni nom ni fonction, à la diversité de paysages parfois surprenante, ont déjà été arpentés par Yves Detraz, architecte et directeur de la petite équipe du collectif « Bruit du Frigo », niché en plein coeur de la Fabrique POLA, elle même composante de la Cité Numérique de Bègles. Là, installés entre deux ateliers où se mèlent expérimentation et vivier de créations, la petite équipe de 6 personnes redéfinit ce qu’elle nomme une « médiation et création sur le cadre de vie », un travail d’investissement extérieur de l’espace public. Mais avant que la Métropole ne devienne un lieu de randonnée où, chaque été, Yves mène 200 personnes sur un parcours de deux jours et une nuit découvrir des lieux insolites et « laissés à la marge », il a fallu construire ce projet en solo.
Patrouilleur de l’espace
L’idée est née dans la tête de cet architecte de métier en 1999. Alors étudiant en école d’architecture, Yves Detraz souhaite s’interroger sur les territoires contemporains de la ville, fabriqués depuis l’après-guerre, et « l’expansion considérable des villes sur les dernières décennies : la rocades, les nappes pavillonaires, les zones industrielles, certains espaces naturels ou parcs… J’avais deux hypothèses de travail : la première, c’était de dire que l’urbanisation actuelle ne fabrique plus d’espace public qui irrigue, traverse, structure un territoire et construit la société en tant qu’espace d’appropriation sociale collective, mais aussi que cet urbanisme avait généré un nombre considérable d’espaces délaissés, sans aucune fonction. Des sortes d’entre-deux ». Pour transformer cette théorie en réalité, le jeune étudiant d’alors a pris ses chaussures de marches et son bâton de pèlerin, sans le web à sa disposition, et a entamé un long travail de cartographie sur cette « Terre du Milieu » métropolitaine, pendant environ trois mois durant lesquels il a parcouru environ mille kilomètres à la découverte de ces « espaces délaissés ».
« Un vrai public qui vient découvrir spontanément »
Très vite, il en décèle tout le potentiel. « Je me suis rendu compte que ce n’était pas seulement des endroits laissés en friche mais aussi des espaces du possible, de l’aventure, avec une diversité exceptionnelle de paysages et d’ambiances. Ca apportait une nouvelle approche de la marche longue, avec un zapping de lieux permanent, et tout un tas de rencontres. C’était un travail solitaire, mais je me suis rendu compte que ça pouvait coller avec la thématique des territoires périurbains ». Son périple ne sera pas vain : il décide de le transformer en randonnées, ouvertes aux curieux. Depuis lors, le collectif Bruit du Frigo en organise deux par an durant l’été ; une centaine de personnes s’inscrit à chaque rendez-vous. Dans l’ouest de l’agglomération en 2000. A St Quentin en Yvelines ou le long de la ligne de crête des coteaux en 2003. Sur la rive droite en 2005. Toutes sont menées par son concepteur. « Au début, c’était assez compliqué de trouver des candidats. Ce qu’on essaye de démontrer, c’est que c’est une initiative intéressante, un nouveau visage de ce territoire truffé de richesses. Aujourd’hui, nous avons un vrai public qui vient découvrir spontanément, beaucoup sont des professionnels de la marche, affiliés à la fédération ».
Tous font en tout cas une vingtaine de kilomètres par jour, et s’arrêtent dans un des sept « refuges périurbains », une autre idée du collectif (construit avec leurs voisins de « Zébra3/Buy-Sellf » et financé par Bordeaux Métropole) qui a consisté à fournir un nouveau type d’équipement, pour les randonneurs comme pour les curieux. Le dernier, La Nuit Américaine, a été inauguré à Bassens en 2015.
Un site internet en gestation
« On a constaté que les gens voulaient refaire ces circuits de manière autonome, quand ils le voudraient. Alors on a eu l’idée d’un site internet qui proposerait des circuits à faire, en solo ou en groupe », confie Yves Detraz. Bruit du Frigo a en fait répondu à un appel d’offre des étudiants de Digital Campus, et l’initiative d’un site des randonnées périurbaines a été retenue parmi plusieurs autres projets. Un sondage a même été créé il y a deux semaines, pour s’adapter aux attentes du public. Pour l’instant, le bébé est encore en gestation et pourrait prendre plusieurs formes. Une quinzaine de parcours devraient être présentés, avec un tracé, un descriptif détaillé et plusieurs points d’intérêts. Yves Detraz ne s’interdit rien, pas même l’arrivée d’un volet plus contributif du site. « Oui, on pourrait proposer aux gens de faire part de leurs propres expériences ou même d’organiser des co-randonnées. J’y crois, mais à condition d’arriver à l’accompagner. Ca ne correspond pas pour l’instant à une demande sociale, mais on sent que des gens ont envie de découvrir le concept ». L’idée est en tout cas très séduisante, et pourrait permettre au plus grand nombre, à termes, de découvrir un nouveau visage de cette métropole bordelaise décidément pleine de trésors cachés. Amis randonneurs, si vous en avez marre de la mer ou de la montagne, vous savez quoi faire…