Les lettres de Robert et Barbara reposaient au fond d’une caisse déposée dans un grenier. La laine sous laquelle elles étaient dissimulées nous offre le fil à remonter le temps. Pourtant le voyage de cette correspondance jusqu’à notre monde fut long: une partie fut perdue, un tiers à subsisté et a été publié une première fois, en anglais, sous le titre « Love Sory ». C’est alors que Bernadette Paringaux et Jean-Paul Blot des éditions Fédérop dénichent cet ouvrage, dans la seule librairie des îles Shetland, à Lerwick. Séduits, ils entreprennent alors la traduction de ces lettres afin de les publier, en tant que « précieux témoignage sur la vie que menaient les Shetlandais au XIXème siècle dans ces îles perdues au milieu de la mer du Nord ». Rien de plus intimes que des lettres, qui plus est des lettres d’amour: et pourtant c’est en effet plus que l’histoire d’un couple naissant qui s’écrit sous nos yeux, mais aussi une histoire d’hommes et de femmes, de familles, d’une sorte de bout du monde battu par les vents, balayé par le temps.
Charmante Barbara qui appelle son amoureux « Mon cher Monsieur », puis – à la fois mutine, pudique et tendre- « Jamieson », puis « très cher Jamieson ». Charmants commentaires, souvent drôles, de Robert : « Imaginez-vous que nous avons eu un photogrape à Sandness! Jusqu’à présent on n’avait jamais reçu la visite ni entendu parler d’un tel personnage exerçant pareille activité – c’était tout à fait nouveau et, comme toute chose nouvelle, cela suscita de nombreuses conjectures et beaucoup d’animation ». Plus loin, dans la même lettre, il conclut: » la lumière était trop forte, et le résultat est que j’ai un oeil fermé, j’ai les traits tordus et tirés de façon incroyable, mais comme je tiens un livre à la main, je donne l’impression d’être profondément absorbé ».
A l’époque des sms, des « T où? » et des « K’ s ke tu fé », on ouvre les yeux sur une manière de vivre et de faire un peu trop vite emballée sous la laine du temps, la poussière des greniers. Qu’on ne s’y trompe pas néanmoins, rien de passéiste dans le plaisir de lire les lettres de Robert et de Barbara, mais une prise de conscience que vivre avec son temps ce peut être aussi prendre son temps, réapprendre la patience, l’attente, recréer un espace où l’imagination se libère, propice au désir. Plusieurs semaines séparent une lettre de sa réponse, et pourtant Robert et Barbara savent se rejoindre par la pensée, les lectures qu’ils font, leurs découvertes, engrangent de quoi se raconter, partager et construire ensemble. Parfois ouvrir les yeux sur d’autres que soi, même au delà du temps, ça réveille!
Un très beau moment de vie, vivifiant comme une brume, la caresse rafraichissante des embruns. Ces lettres ont le charme envoûtant des îles, on y traverse le temps avec bonheur. « Une si longue attente »: une très jolie idée de cadeau.