Le camp du Courneau c’était entre 15000 et 18000 hommes, soit l’équivalent d’une petite ville du Sénégal. La gare livrait chaque jour sa fournée de combattants, fourbus, meurtris par le feu et les tranchées, venus là entre deux campagnes sanglantes. Des hommes qu’on faisait défiler le Dimanche, pour les moins amochés, mais qu’on refusait de voir depuis les boulevards à la mode d’Arcachon, fréquentés alors par la jet set de l’époque, dont la grande Sarah Bernhardt. Tout juste quelques entrefilets dans la presse, même quand un mal sournois, pire que la guerre car ne laissant quasiment aucun rêve de victoire, fit un carton dans les chambrées. 940 morts. Braves entre les braves ils auraient voulu mourir au combat ; un hiver dans la lande les faucha plus cruellement qu’un obus.
Eric Joly sort de l’ombre l’histoire de ces guerriers de courage et de fierté, à qui l’on promit souvent monts et merveilles sans toujours honorer ces premiers serments. On suit le parcours de l’un d’entre eux, Abdou N’diaye, de son Afrique natale jusqu’aux « herbes froides » de la campagne de Champagne sur lesquelles il tombe le 2 Mars 1915. Puis on pénètre avec d’autres dans les baraquements du camp du Courneau, ou sur les bords du canal de Cazaux : baignades, corvées de linge… on entend les rires, le mélange des dialectes et de ce « petit nègre » langue inventée par l’administration militaire afin de se faire facilement comprendre de ces nouvelles recrues. On y est, avec eux.
Eric Joly rétablit aussi la vérité : non ce n’est pas la terre humide de La Teste qui a tué ces soldats du lointain. Cette terre dite à tort « marécageuse, malsaine, à très haut risque infectieux, véritable piège mortel »… cette terre qu’Eric Joly aime passionnément, il la défend et il a raison. Grâce à une enquête minutieuse et documentée il prouve que le site n’avait rien à voir avec le mal qui fit tomber, un à un, les Sénégalais. Ils ont péri du même mal dont venait se prémunir, ou se guérir, les riches locataires des villas arcachonnaises : au mieux la pneumonie, au pire la tuberculose. Mais ces pauvres bougres, héros de la nation, sont morts de la promiscuité des dortoirs trop bien chauffés où le mal a pu se transmettre à la vitesse de la lumière. Non la terre de La Teste n’a pas tué les Sénégalais. Elle garde au contraire encore aujourd’hui le chœur des vaillants, accourus de par la mer sauver la mère patrie qu’un mariage de raison leur avait imposés. Elle garde à jamais le cœur de ces 940 morts pour la France.
« Un nègre en hiver » retrace avec pudeur, respect et émotion le parcours de ces braves vaincus par une charge contre laquelle hélas leur courage, salué par tous, ne pouvait rien.