Avis aux professionnels de santé : le 9 mai prochain, allez sur le store de votre smartphone et guettez la sortie d’Hipok, une nouvelle application mobile qui se présentera au départ sous la forme d’un « Instagram » de la médecine, futur réseau professionnel d’échanges de pratiques médicales sécurisées. C’est en tout cas le pitch sous lequel se présente Hipok, germée de l’esprit de deux entrepreneurs trentenaires. Nous avons voulu rendre ce pitch, forcément intriguant, un peu plus concret. Pour cela, une seule solution, foncer dans les locaux de la petite start-up de sept salariés en plein développement, à Pessac. Son cofondateur, Elien Meynard, nous reçoit dans cet ancien cabinet de kinésithérapeute. A 36 ans, autant dire qu’il n’en est pas à son coup d’essai dans le milieu de la médecine.
Juriste de formation (en droit des affaires et de la santé), Elien Meynard est un ancien membre de la Fédération de l’Hospitalisation privée et surtout un ancien directeur de clinique à l’âge canonique de 26 ans. Barbe taillée, chemise en jean, sourire avenant, cigarette électronique dans la main, il nous détaille comment tout a commencé pour lui. « J’ai eu la chance d’intégrer un groupe hospitalier très dynamique qui avait un projet embryonnaire sur la rive droite. Je suis arrivé en 2003, lorsque deux établissements étaient en train de mourir (la clinique Lafargue de Cenon et celle des Quatre Pavillons à Lormont). Aujourd’hui, ces deux cliniques se sont regroupées. Le fait d’être arrivé au moment où l’on préparait ce regroupement m’a permis de l’accompagner ».
Une rencontre fructueuse
Sa rencontre avec Xavier Chétif, le futur binôme de la société (Hipok est le nom de l’application éditée par la SAS Medlinkz) et ancien directeur régional de réseaux commerciaux, s’est faite sur les bancs de la fac. « On s’est rencontrés dans le cadre d’un programme de formation continue. On était tous les deux en poste dans nos entreprises respectives. J’avais la volonté de m’améliorer sur certaines parties du management, j’ai donc suivi une formation en gestion financière ».
Avec, déjà, dans la tête, une idée qui germe : celle de créer un outil de travail qui permette d’offrir du soin au plus grand nombre. « C’est devenu un leitmotiv, une raison de travailler pour moi. C’est important de travailler sur un outil hospitalier et médical qui permette aux professionnels de bosser le mieux possible. C’est l’ADN d’Hipok. C’est le fruit à la fois d’une expérience et d’une philosophie », confie-t-il, avant d’ajouter : « l’idée était présente dans mon esprit depuis six ou sept ans, mais ce n’est pas exactement la même que celle qui a donné naissance à Hipok. Il s’est passé énormément de choses entre temps, mais c’est le lot de toutes les entreprises : l’idée de départ représente assez peu celle que l’on peut se faire du produit qui est livré ».
Mais alors, qu’était Hipok au tout début ? « Au démarrage, c’était un outil de travail pour les médecins sur une dimension essentiellement photographique pour démarrer sur une idée d’un instagram médical. Pour aller au plus vite, l’application permettra au début le partage d’images, la constitution d’un profil. Ça va un peu au-delà de l’instagram médical, beaucoup d’autres fonctionnalités vont apparaître dans les prochains mois ».
Facilitateur de la pratique médicale
Concrètement, cette application a des objectifs avant tout facilitateurs dans la pratique de la médecine au quotidien. Elle permettra aux professionnels de demander des avis médicaux complémentaires, d’échanger des documents de recherche et, à terme, de la vidéo. Pour le patient, l’objectif est de réduire les frais de santé, en évitant par exemple des hospitalisations et des frais de transport inutiles. L’idée a évolué dans l’esprit d’Elien Meynard jusqu’en juin 2014, date à laquelle tout a vraiment débuté : les deux compères se sont invités dans une édition d' »Innovaday », forum de l’investissement qui se tient tous les deux ans (le prochain aura lieu le 6 juin prochain sur le campus de Talence). L’entrée s’est faite un peu au culot, non sans une petite appréhension.
« On n’était pas du tout du sérail, pas développeurs, c’était notre première start-up. On y est allé avec un embryon de projet qui était une sorte de clip sous format de dessin animé qui décrivait notre projet. On a montré cette vidéo à des investisseurs ». L’idée séduit, et les deux entrepreneurs sont orientés vers l’Auberge Numérique, incubateur de start-ups basé à Bacalan. Après avoir intégré l’établissement en juillet, le projet Hipok mûrit pendant un an, histoire de mettre un pied à l’étrier. L’occasion aussi de réunir un capital de départ : 170 000 euros, basés sur un investissement personnel, des fonds privés et des aides d’investisseurs, comme le prêt d’honneur du Réseau Entreprendre ou la subvention French Tech. Hipok a également obtenu un ticket d’entrée et un bail d’un an au sein du Village by C.A, parisien, espace « d’open innovation » et accompagnateur de start-ups fondé par le Crédit Agricole: « ça apporte essentiellement de la visibilité », confie l’entrepreneur de 36 ans.
Un désir de sécurité
Aujourd’hui, la start-up s’affaire à finaliser l’application pour tenir les délais. Avec, entre-temps, un business-modèle clair et établi. « Il est clairement tourné vers les entreprises utilisatrices. Les établissements de santé vont avoir un intérêt dans cette application pour développer leurs interactions avec leurs propres professionnels et toucher des prescripteurs à l’extérieur des établissements ». Pourtant, l’appli n’est pas sortie des cartons comme par magie. Pendant plusieurs mois, les 500 premiers utilisateurs, principalement issus des réseaux personnels et professionnels d’Elien et de Xavier, ont servi de bêta-testeurs.
« On a testé un prototype qui a été livré en milieu d’année dernière et amélioré pendant plusieurs mois. La conclusion de ce microtest (Hipok était alors accessible via un site web), c’est que les professionnels voulaient une application mobile, tournée vers une forme de réseau social sécurisé. On a tout remis à plat. De l’extérieur, ça peut donner l’impression qu’on a pris du retard. Pour moi qui suis quelqu’un d’assez pressé, ça m’a un peu congestionné. Mais il faut rester très humble par rapport à ce qu’attend le marché, ne pas avoir une idée préconçue ».
La sécurité, ça ne rigole pas chez Hipok : l’application fait partie du réseau d’hébergement de données personnelles de santé et l’application est cryptée. Toutes les données sont accessibles via un cloud et stockées sur un serveur appartenant à une entreprise figurant sur la liste ministérielle des hébergeurs agréés. Histoire d’éviter des fuites massives de données comme ce fut le cas en février 2015 aux États-Unis où plus de 21,5 millions de personnes avaient été touchées par une cyberattaque concernant les données de l’OPM (Office of Personnel Management) : numéros de sécurités sociales et données personnelles de santé, familiales, financières s’étaient retrouvés dans la nature. Autant le dire : le cauchemar d’Hipok, qui vise entre 30 et 100 000 utilisateurs à l’horizon 2017.
Du désir d’une croissance rapide
L’application sera gratuite « parce qu’on ne peut pas demander à des professionnels de santé d’adhérer à notre mode de fonctionnement digitalisé, expérimental et censé modifier les comportements en leur demandant de payer. Ce n’est pas pour offrir un gadget pour que les pros s’amusent, mais pour que l’outil de travail améliore les conditions d’exercice des soignants, qu’ils soient médecins, infirmiers, sages-femmes ou pharmaciens afin qu’ils puissent améliorer les conditions de prise en charge ». Le service sera en revanche payant pour les établissements de santé, à raison d’une moyenne de 16 000 euros par an et par établissement. Hipok va prochainement changer de locaux, s’agrandir et organiser, entre l’été et la fin d’année, une levée de fonds d’environ 500 000 euros pour, selon Elien Meynard, « accompagner la croissance. Aller plus loin et plus vite ». Inspirée du réseau social américain « Doximity », cette application se réappropriant à sa manière le serment d’Hippocrate fait partie de ce microcosme grandissant autour du business de l’e-santé. Selon des chiffres du Conseil national de l’ordre des médecins (Cnom), le volume mondial des applications mobiles santé est passé de 6000 en 2010 à 100 000 en 2013. Elle représente environ 500 nouvelles applications chaque mois, dont 40% destinées aux professionnels de santé, qui représentent une part toujours plus importante du public cible de ce type d’outils. Pourtant, le cofondateur d’Hipok croit en son idée et en sa cible, plus restreinte, mais au potentiel de croissance qu’il qualifie lui-même de « colossal ».
« Ma start-up n’a pas vocation à répondre à tous les besoins de la santé connectée (même si j’aimerais bien, j’ai beaucoup d’ambitions). Si j’ai les moyens d’avoir une réponse globale à ce marché-là, je le ferai volontiers. Mais au départ, ça va être du partage d’images, puis des fonctionnalités autour d’une messagerie instantanée, la possibilité de créer des groupes de travail, de partager des agendas, de créer des évènements. Ça répond à un besoin déjà manifeste : les professionnels communiquent déjà entre eux par l’intermédiaire de mails, de SMS, etc. Mais il ne bénéficie pas d’un outil mobile sécure en France, ce qui est un vrai souci ». Toujours selon un baromètre du Cnom datant de 2012, plus de neuf médecins sur dix (94%) sont équipés d’un smartphone et en font un usage professionnel. Mieux : 53% des médecins ont chargé des applications médicales. « Aujourd’hui, il n’y a pas de leader français sur l’outil d’un réseau social médical sous forme d’application mobile et sécurisée. Hipok a donc une carte à jouer ». Si le projet a changé quelque peu de forme au fil des mois, on a en tout cas constaté que l’ambition, elle, est toujours intacte.