Deux heures à « Nuit Debout »


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Deux heures à "Nuit Debout"

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Temps de lecture 6 min

Publication PUBLIÉ LE 13/04/2016 PAR Romain Béteille

18h04. Ils sont déjà nombreux à occuper gentiment la Place de la République à Bordeaux. De jeunes étudiants, assis sur les marches de l’Hôpital Saint-André. Des enfants qui courent et sautent partout. De vieux anars’ qui discutent et se disent fiers de l’ampleur que ça prend. Ca, c’est « Nuit Debout », un mouvement censé être « apolitique et citoyen » d’occupation d’espace public, qui a vu le jour à Paris le 31 mars dernier et a convié tous les noctambules libertaires qui souhaitaient y participer. Le mouvement s’inspire de tout un tas de manifestations pacifistes et citoyennes : un mélange foisonnant entre « Occupy Wall Street » dont ils reprennent la gestuelle (on agite les mains pour signifier son accord, on les croise pour marquer son désaccord), les Indignés de la Puerta Del Sol madrilène mais aussi la moins médiatisée « Génération des 700 euros » à Athènes. Rapidement, « Nuit Debout » a fait des petits dans de très nombreuses villes en France et s’étend même désormais à l’Europe, notamment en Espagne ou aux Pays-Bas. Ailleurs, les Nuit Debout se préoccupent désormais du thème des banlieues. Dans la capitale girondine, on est encore assez globi-boulga, on essaie des choses. 

Beaucoup de jeunes 

A Bordeaux, tout a démarré samedi dernier, de manière brouillonne. Plusieurs centaines de personnes,tous âges et horaires confondus,sont venues, parfois avertis, souvent simples curieux. Le mouvement a été évacué lundi matin aux aurores par la police, tandis qu’une poignée de manifestants étaient encore sur place. Il ne restait que les plus attachés au mouvement. Ou les plus bourrés. Ou les plus marginaux. Ou les trois à la fois. L’Assemblée générale prévue ce mercredi soir était moins glauque. Un petit cercle de cailloux était innocemment posé au sol, pour délimiter le périmètre de ce qu’il faut désormais appeler « l’Assemblée Populaire ». Sur l’un deux, dessiné au feutre de couleur, est inscrit « Nuit Debout Partout ». Du vieux hip-hop crache par la sono d’un vieux camion installé sur le côté, près d’une tente de fortune bâchée servant de « Pôle Santé ». Un vieil homme à barbe est assis sur un canapé d’occasion à côté de quelques punks, l’air hagard. Quelques vieux ruminent et proposent des idées de slogans.

Le socle de la statue du Commandant Arnould est recouvert de panneaux en cartons : « Pour que le peuple reprenne le pouvoir », « Propositions d’ateliers » (avec une liste de volontaires pour le moment assez vide). Sur le côté de la statue, trois jeunes étudiants en école d’ingénieur ont déjà descendu deux-trois bières. Ils sont là depuis 16 heures. « On est venu voir comment ça se passait, discuter avec les gens. On adhère aux idées, même si cet après-midi, je m’attendais à voir plus de stands, plus de participation. Il y a beaucoup de jeunes. Au fur et à mesure de la journée, la moyenne d’âge a augmenté », commente Alex. « Depuis deux semaines, je vois des banderoles tous les jours autour de la fac de la Victoire, les étudiants sont vachement mobilisés depuis une dizaine de jours, ils distribuent des tracts… », rajoute Ambre.

Assemblée et ateliers

Il y a de tout à Nuit Debout. Un foisonnement presque cacophonique. Alors pour ordonner les idées, il faut attendre 18h27. Le fameux « rassemblement ». Un petit gars d’une trentaine d’année, béret perché sur le front, se gargarise : « tu vas voir, quand je vais prendre la parole, ils vont déguster ». Qui sont-ils ? Le système, les politiques, le pouvoir, probablement. Ici, on parle en général. Certains filment pour retranscrire les échanges sur Periscope. Twitter. Facebook. L’assemblée s’assoit. Les organisateurs provisoires, chefs des « commissions » (c’est comme ça qu’on appelle désormais les groupe de travail), prennent la parole pour tenter de structurer le mouvement. « Derrière ce micro, c’est vous demain. Ce n’était pas moi il y a dix jours », affirme Julie, animatrice. « Il y a quelque chose qui nous fait converger, c’est cette envie de changer de système, de rapport au monde. Mais pour ça il faut qu’on soit capable de se structurer ».

Pas gagné : des « ateliers », il y en a de toutes les sortes et sur tout les sujets : un mini jardin partagé, un atelier caricature, certains plus concrets comme éducation, santé, démystification de la production alimentaire. Le seul parti politique qu’on a pu trouver, c’est celui des utopistes. Et ils sont nombreux. Les crieurs publics passent la parole aux timides. Des traducteurs du langage des signes sont venus pour donner la parole à un groupe de personnes malentendantes. Garés un peu plus loin, deux camions de policiers surveillent mais n’interviennent pas. Les discours s’enchaînent. On raconte ce qui se passe à Paris, à Strasbourg, à Nantes. Certains laissent des petits mots dans les cahiers de doléances. Ca bouge de partout, mais c’est relativement calme.

Les grands témoins

On s’éloigne, nos yeux attirés par des petites pancartes en papier scotchées sur des poteaux, juste devant les marches de l’Hôpital. Elles ne l’étaient pas il y a dix minutes. Nathalie s’affaire à scotcher la dernière. Des slogans sous formes de témoignages. Ici, ce ne sont pas des cadenas comme on en voyait à Paris pour célébrer l’union de deux amoureux mais des messages de paix, des brulôts, des phrases de soutien. Ces porteurs de paroles, qui ont repris le slogan « On vaut mieux que ça », c’est Nathalie qui leur a demandé de témoigner. Elle fait partie d’un groupe d’habitants de Bordeaux Bastide, formé samedi matin Place Stalingrad.

Nuit Debout 2

« Au début, on était quatre. Aujourd’hui, on est une petite vingtaine. On sent un grand désir de paroles, les gens viennent spontanément et parlent très facilement. C’est quelque chose de nouveau, une autre forme d’expression. J’espère que ça va durer ». « Nuit Debout va mourir, il faut pas se leurrer », dit Paul au micro, presque comme une réponse qui n’est qu’une simple coïncidence. « Mais le mouvement libertaire, lui, il va continuer ». Pas le temps de tout entendre, de tout assimiler tellement il y a de choses à voir, de gens à qui parler. Ca discute loi travail : un groupe à Bordeaux va s’organiser pour écrire un tract, le diffuser dans les entreprises, les unions syndicales. Les petites fourmis récoltent les idées et les couchent sur papier. Une manif’ se prépare. Cette extension du domaine de la lutte, Houellebecq en aurait rêvé, quand d’autres s’en moquent. « C’est du vent », nous glisse un passant. 

Fermez la parenthèse

Tout n’est pas rose. Ca sent un peu l’herbe, et pas celle que l’on tond. Certains sont déjà cuits par l’alcool et gueulent des slogans inintelligibles. Mais ils sont peu. La plupart sont calmes. On marque des idées à la craie blanche partout où l’on peut. Le mouvement reste un peu hors du temps, comme une bulle en plein milieu du foisonnement de la ville. Ils ont décidé de rester bloqués en mars. Ce 13 avril, nous étions donc le 44 mars. C’est comme ça. Un « citoyen » veut que les paroles soient suivies d’actes. Pour l’instant, il faut déjà arriver à avoir une organisation cohérente. Plusieurs associations ont senti le vent tourner, le mouvement s’amplifier. Certaines y croient plus que d’autres, sans s’être trop mouillées pour le moment, en tout cas au niveau national. C’est le cas de la Ligue des Droits de l’Homme. Jean-Claude Guicheney, son président girondin, confirme : « on sera encore présents ce soir, même si l’organisation n’y apparaît pas de manière formelle. Notre souci, c’est avant tout que le citoyen puisse s’exprimer. Il y a une vraie attente. On prendra position, à savoir si l’on soutient officiellement le mouvement lors d’un bureau général, jeudi prochain. On attend de voir ce qu’il en ressortira. Pour l’instant, il n’y a pas de ligne directrice, mais on sent clairement qu’il y a une implication », affirme-t-il.

On nous souffle qu’un site internet local pourrait voir le jour. La parenthèse se referme au fur et à mesure qu’on s’éloigne de « Répu », comme beaucoup l’appellent ici. Bilan des courses : on a été incapables de trouver une réelle dimension concrète à Nuit Debout. Dans l’assemblée assise, on laisse quelques trous, mais plus d’attentifs. Le cercle de cailloux s’est fait atomiser. C’est plutôt dans la pensée et dans l’expression que ça se passe pour le moment. Et des expressions, il y en a eu. On retiendra peut-être la plus impertinente, qui résume à elle seule la philosophie déguingandée, bordélique mais attachante de l’idée : « Portez-vous bien. Tenez vous mal ». Mal, certes, mais quand même dans les règles : Nuit Debout a pour l’instant l’autorisation de se réunir jusqu’au 20 avril prochain. Pardon, jusqu’au 51 mars. 

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