Gunnar Staalesen et Ygit Bener. Ces noms ne vous disent peut être rien, mais vous avez certainement déjà entendu parler de leurs romans. Le premier est un écrivain norvégien qui a créé en 1975 le personnage du détective privé Varg Veum. Aujourd’hui, après 17 romans publiés en Norvège et une quinzaine en france, ce héros fictif à même son propre bureau à Bergen, un bar dont les coktails portent le nom des romans, une statue à son effigie; il a même convié 200 personnes (réelles, elles) à célébrer ses 70 ans ! Gunnar Staalesen est aussi connu pour une série en six tomes, « Le roman de Bergen », saga sociale et politique fleuve qui se déroule sur une centaine d’années. Ygit Beger n’est pas norvégien mais turc. Ce touche à tout a d’abord été traducteur, notamment de Louis Ferdinand Céline, interprète pour une grande partie des présidents français lors de leurs déplacements en Turquie, étudiant en médecine, engagé en politique… il a même subi 10 ans d’exil après le coup d’Etat de 1980. Il tire son goût pour l’écriture d’un père et d’un oncle écrivains, très célèbres en Turquie. Son dernier roman, « Le Revenant », a reçu le prix du meilleur roman en Turquie 2012 et sort cette année en France aux éditions Acte Sud.
Ces deux écrivains au profil très différents ont été réunis pour la première fois en Gironde du 17 au 27 mars dernier. Durant 10 jours, ils sont partis à la rencontre de 12 collèges du département, de Sauveterre à Talence en passant par Lesparre. Le 20 mars dernier, ils ont organisé leur première rencontre-débat avec le public à la médiathèque de Lormont. Ce mercredi, ils étaient à la librairie Mollat, à Bordeaux, pour rencontrer des fans et en initier d’autres. Leur venue s’est déroulée dans le cadre de la semaine d’éducation contre le racisme et l’antisémitisme (du 17 au 21 mars) pour laquelle le département et l’association France-Libertés ont organisé ces rencontres. Durant une demi-journée, ils étaient les invités des différentes classes participantes à ce concours réalisé dans le cadre d’un appel à projet. Depuis le mois de décembre, les collégiens travaillent sur les textes de Staalesen et Beger dans le but d’écrire leur propre texte qui donnera une vision personnelle de l’identité européenne. Une « tournée » des classes qu’ont apprécié les deux auteurs, même si Beger a plus l’habitude de rencontrer de jeunes étudiants. « C’est toujours intéressant de se confronter à eux, à leurs questions, même s’ils ne connaissent pas forcément nos romans », confie Gunaar Staalesen. « Les questions portent plutôt sur notre condition d’écrivain en général, comment on travaille, c’est les mêmes questions qui reviennent en général ».
Une vision réductrice ?
Pourtant, le cadre de la citoyenneté européenne colle plutôt mal à la Norvège et à la Turquie, qui n’en font toujours pas partie. « La Norvège a refusé de devenir un membre de l’Union, on parle des problèmes que ça cause, il y a quand même un bon dialogue », conclut le père de Varg Veum. « On parle aussi du thème de l’identité, qui est très important aujourd’hui. Tous ces débats sur l’identité européenne, pourtant, sont en train de devenir un discours repoussoir, plus hargneux, qui tend vers la xénophobie et le racisme, le retour d’un certain nationalisme qui se pare d’être une discussion sur l’Europe sans en être une », pense pour sa part Ygit Bener. « Ces questions d’identité, on voit bien que ça perturbe les adolescents, soumis également au matraquage de ces idées dans les médias ». Pourtant, l’identité de la Turquie reste emplie de clichés, comme le confirme l’auteur. « S’il y a un blocage en France sur les romans turcs, s’ils se vendent moins que les autres, c’est sûrement à cause d’un blocage du discours, d’une volonté d’exclusion. Beaucoup d’idées reçues ont encore la vie dure sur ce pays ». Même chose pour la Norvège, pour laquelle les français ont une vision « plutôt sombre. Mais vivre à Bergen, c’est presque comme vivre dans une atmosphère de roman noir », confie Gunar Staalesen. D’où le terreau désormais fertile du polar scandinave à la Lackberg ou Theorin…
Deux auteurs très différents, donc, réunis pendant seulement dix jours pour une tournée départementale. Une initiative qui veut avant tout porter un peu de culture et de goût pour la littérature étrangère. Cet exotisme, ils le cultiveront en rédigeant leurs propres textes, envoyés par les collèges participants au Conseil général le 17 avril prochain. Un jury se réunira, composé de représentants du département, de l’association France-Libertés Gironde et de l’Education Nationale et décernera ses prix le 1er juin prochain à Saint-Loubès. Et quand on demande à Ygit Bener s’il est pro européen, il répond : « je défends une Europe de libertés et pas l’Europe financière actuelle qui a mené des pays à la ruine. Pro-européen, oui, mais pas de cette Europe là ». De quoi méditer…