A Bacalan, l’aéronautique bordelaise prise en otage sous l’Occupation
Au début des années 1940, l’horreur de la guerre s’invite de la pire des manières à l’usine bordelaise de la SNCASO (1). Quand ils n’ont pas les mains dans le cambouis, ses salariés se mobilisent fermement dans la lutte contre les occupants. Tentatives de sabotages, ralentissement intentionnel de la production, distributions clandestines de tracts et complicités avec la Résistance font le quotidien de ces militants avertis : « Les employés de la SNCASO, empruntés à l’industrie automobiles et aux chantiers navals, étaient très actifs politiquement. Ils s’organisaient beaucoup autour de leurs syndicats » relate Georges Gili. Une prise de position héroïque pour la défense de leur pays que 78 ouvriers paieront de leur vie, lâchement fusillés au camp de Souge par l’armée allemande, déportés, tombés au combat ou victimes de bombardements.
En la mémoire des salariés de l’aéronautique girondine, un monument est érigé en novembre 1946 dans le quartier de Bacalan où les bâtiments de la SNCASO étaient implantés, puis discrètement transféré à Mérignac. Presque oublié entre deux locaux de l’EADS Sogerma, seules quelques cérémonies confidentielles en ravivent alors de temps à autre le souvenir …
L’Association pour la Mémoire des Martyrs de l’Aéronautique entre en piste
Afin de pérenniser l’hommage et d’éviter que ces heures sombres ne tombent dans l’oubli, l’association à peine constituée tape du poing sur la table, et milite activement en faveur du déplacement de la stèle vers un lieu public plus accessible. Non sans difficulté, c’est désormais chose faite : « Après quatre ans et demi de combat, la Sogerma, Bordeaux Métropole et la mairie de Mérignac se sont entendus pour qu’elle soit installée définitivement en dehors de l’usine, autour de l’Aéroparc de Mérignac » se réjouit M. Gili. L’ultime reconnaissance pour ces « passeurs de mémoire » serait qu’une importante commémoration soit organisée en présence d’Alain Juppé et du Président de la République en personne, sur la nouvelle terre d’accueil de la stèle, devenue depuis l’emblème du collectif.
L’histoire de l’association débute en 2010, lorsqu’une poignée de retraités de chez Dassault Aviation, que les années ont convaincues de la richesse industrielle, économique et sociale de l’aviation girondine, comptent bien commémorer comme ils l’entendent le centenaire de l’aéronautique : « A travers plusieurs manifestations publiques sur la sécurité aérienne, la fabrication des avions ou le devenir de l’aéronautique départementale, nous avons souhaité délivrer le message suivant : la conquête de l’air, c’est aussi la conquête sociale » souligne Georges Gili. Nombreuses sont en effet les luttes remportées par les ouvriers de l’industrie aéronautique tout au long du XIXe siècle siècle. A la fin des années 1960, l’issue victorieuse du conflit des Dassault pour l’égalité salariale entre ouvriers bordelais et parisiens, a d’ailleurs fait l’objet d’un colloque, organisé par les plus « mordus » du groupe.
Les 320 adhérents de L’Association pour la Mémoire des Martyrs de l’Aéronautique ne comptent pas s’arrêter en si bon chemin. Leur prochaine mission : la co-réalisation du film documentaire « Terres Girondines, Terres Aéronautiques ». Des premiers vols à Marcheprime, à la naissance du premier aérodrome à Mérignac, en passant par l’heure de gloire des ateliers du bord de Garonne, l’histoire qui lie la région bordelaise et l’aéronautique vaut très certainement le détour. Pour l’heure, Georges Gili reste évasif quant au contenu précis du documentaire. Mais soyons surs qu’il restera fidèle à la psychologie du collectif : « J’ai envie de parler, plus que des machines, des hommes qui ont construit l’industrie aéronautique » soutient-il. Cet ancien syndicaliste CGT espère parallèlement influer sur le développement aéronautique de la région, notamment en militant pour une meilleure prise en compte des conditions de travail des salariés de l’aéronautique, et en perpétuant les partenariats d’ores et déjà engagés avec les entreprises et municipalités locales.
Des ailes, de l’eau, du bois
Un simulateur de vol, un concours de dessin avec deux maquettes offertes à la clef, une frise chronologique retraçant l’histoire de l’industrie aéronautique bordelaise fournie par le »Conservatoire de l’Air et de l’Espace » et la »Mémoire de Bordeaux » … Et dire qu’il y a bien failli ne jamais y avoir de stand aéronautique sur cette édition 2015 de Bordeaux Fête le Fleuve ! « Le fleuve et l’aéronautique n’ont rien à voir » disait encore Alain Juppé à Georges Gili il y a quelques mois. Oui mais voilà, entre temps, l’arbre et le bois se sont placés au cœur des festivités. Et comme le disent aujourd’hui fièrement les bénévoles de l’association en évoquant la composition des premières hélices : « Sans le bois, l’aviation n’aurait jamais décollé ! ». Vu l’affluence aux abords du stand de M. Gili, le Président de Bordeaux Métropole aurait certainement bien eu tort de ne pas lui donner son feu vert !
(1) Société Nationale des Constructions Aéronautiques du Sud-Ouest