Le Kosovo, le Brésil, la Chine… Christophe Béranger et Jonathan Pranlas-Descours ont l’habitude de travailler avec des danseurs étrangers et ils aiment ça. « Il y a une énergie, une urgence de vivre, une flamme, chez les danseurs étrangers qu’à mon sens nous avons perdu en Europe », estime Christophe Béranger. Pour les deux complices, se rendre à l’étranger est devenu autant une bouffée d’oxygène qu’une façon nécessaire de se remettre en question pour se renouveler. Cuba était sur leur liste. « C’est notre directeur artistique qui nous a parlé avec beaucoup de ferveur des danseurs cubains et de la compagnie Danza Contemporanea de Cuba, qu’il avait vus sur scène en Allemagne. On a pris contact avec l’Alliance française pour savoir ce qu’on pouvait faire et comment », raconte Christophe Béranger. Le duo profite de l’ouverture nouvelle du pays pour y passer plusieurs semaines entre décembre 2016 et janvier 2017. Ils rencontrent plusieurs compagnies, et travaillent avec elles à travers des ateliers, tout en s’imprègnant de la culture locale. Leur dernier stage se tient à la compagnie nationale Danza Contemporanea de Cuba, à La Havane. « A la toute fin de notre séjour, nous rencontrons le directeur de la compagnie. Il nous dit : « On ne m’a dit que du bien de vous, les danseurs sont contents. Est-ce que vous travaillez à des chorégraphies avec des danseurs ? Auquel cas, j’aimerais que vous réfléchissiez à l’idée d’une création avec la compagnie ». On était bluffé », raconte Christophe Béranger.
Christophe Beranger travaille régulièrement avec des compagnies étrangères
Le Sacre du printemps, incarnation de l’énergie cubaine
Christophe et Jonathan réfléchissent et leur proposent de rejouer le Sacre du printemps. Qu’importe si le ballet composé par Igor Stravinsky connaît déjà une multitude de versions imaginées par les plus grands chorégraphes, de Vaslav Nijinski (le premier) à Pina Bausch, en passant par Angelin Preljocaj et Maurice Béjart. Pour le duo rochelais, la puissance des danseurs cubains ne peut que se révéler dans la musique de Stravinsky. « On le sait peu mais la musique afro-cubaine l’a beaucoup inspiré pour son Sacre », explique Christophe Béranger. Rien d’étonnant alors, à ce qu’elle se marie parfaitement avec la gestuelle afro-cubaine des danseurs de La Havane. « On avait été frappé par leur technique d’échauffement, unique au monde, qui consiste en un mélange de technique classique, de danse moderne à l’américaine et de danse locale, qui n’est pas sans rappeler les origines métissées des Cubains. On y retrouve beaucoup de mouvements de danses tribales, notamment africaines, avec des frappements de pieds, une grande mobilisation du bassin et des épaules, le tout sur un rythme soutenu », poursuit le chorégraphe.
La proposition d’un nouveau Sacre est accueillie avec d’autant plus de joie par les Cubains que le ballet a été interdit de représentation durant une bonne partie du régime castriste. « On l’ignorait », assure Christophe Béranger. Ils découvrent également qu’avant eux, une danseuses russe, devenue professeure à Cuba, avait caressé tout au long de sa vie l’espoir de monter un jour un Sacre du printemps métissé. « L’histoire est connue de tous à Cuba, notamment parce qu’elle a été raconté par Alejo Carpentier (1904-1980) [le plus francophile des écrivains cubains, NDLR], dans un de ses romans », poursuit le Rochelais.
Durant la première partie du spectacle, les danseurs ont la tête couverte d’un long voile qui cache l’avant du corps, gommant leur genre.
Quand Militantisme et poésie s’accordent
Clin d’œil de la vie, la création du spectacle est lancée au printemps 2018, avec 24 danseurs. « La première semaine, on les a laissés s’imprégner de la musique et faire des improvisations. Ensuite, on a décortiqué ensemble leurs propositions et on leur a fait les nôtres. Pour nous, c’était important qu’ils ne soient pas juste des supers interprètes mais force de proposition, qu’ils se sentent libre de laisser libre cours à leur créativité », raconte le chorégraphe. Le duo rochelais a choisi de dévier légèrement de l’histoire initiale, qui raconte le parcours d’une jeune vierge sacrifiée dans un rituel dédié au printemps. « Après s’être demandé qui représenterait le ou la sacrifié, on est finalement parti du principe que chacun à un moment donné avait une part en lui du sacrifié ». Ici, les sacrifiés à l’avènement du printemps font écho au sacrifice de générations de Cubains durant son Histoire, de l’esclavagisme au totalitarisme. C’est le sacrifice du danseur, aussi, dans ce don de soi et cette abnégation permanents qu’exige la discipline. « Dans nos créations, il y a toujours cette volonté que le militantisme et la poésie se mêlent. La poésie peut faire passer tous les messages, et nous sommes dans une époque qui en manque cruellement », explique Christophe Béranger.
La version du Sacre du printemps par la Danza Contemporanea, jouée pour la première fois en mai 2019 à guichet fermé, est exceptionnellement donnée à l’opéra national de Cuba avec la participation de son orchestre symphonique. « C’était fou ! A la fin, les gens étaient debout, survoltés, on se serait cru à un concert de rock », raconte le chorégraphe. Les Cubains ont attribué au spectacle le prix Villa Nueva, l’équivalent d’un Oscar de la danse. L’accueil en France semble jusqu’ici tout aussi enthousiaste.
Note: Danza Contemporanea de Cuba les 20,21 et 22 janvier à La Coursive à La Rochelle. Trois pièces : Matria Etnocentra, chorégraphie de Jorge Céspedes ; Coil, chorégraphie de Julio César Iglesia ; Consagracion (Le Sacre), chorégraphie de Christophe Béranger et Jonathan Pranlas-Descours. Durée : 2h15. Tarifs : de 16 à 28€50. Il reste des places mardi et mercredi (lundi complet). Réservation sur le site de La Coursive. Telephone : 05 46 51 54 00.
L’info en plus: De son côté, la Compagnie Sine Qua Non Art porte un nouveau projet : une série explorant la notion de désir. Réalisée en partie en résidence à Bordeaux, la première, DESIRE’SERIES #1, sera présentée le 25 janvier dans le cadre du Festival TRENTE TRENTE, halle des Chartrons. Une avant-première a également lieu les 20 et 21 janvier à la Chapelle des Dames Blanches à La Rochelle.