Deux textes et deux mises en scène aux antipodes les uns des autres, pour deux visions bien distinctes d’un théâtre contemporain pas toujours consensuel.
Renaud Cojo ou le cri des monstres
Assez mal reçu par le public et les professionnels lors de sa création au Carré des Jalles, « Elephant People » mis en scène par Renaud Cojo, a tenté de refédérer la semaine passée un public parfois pétri d’apprioris. Se lançant sur la thématique de la monstruosité contemporaine et accompagné des Married Monk pour la bande sonore en direct, il a souhaité montrer sur scène ce qu’il considère comme la principale cause de stigmatisation de certaines différences : une société surmédiatisée qui se complait et se délecte dans l’observation voyeuriste. Face à nous, cinq monstres de foire défilent sur un plateau télévisé et racontent leur vie, leur mal être et leurs souffrances quotidiennes. Parmi eux, on retiendra Jean et Jacques Libera, parasite épigastrique, la femme à barbe bistrotière, les frères siamois chinois mais surtout le très attendu Vincent Mac Doom, homme-femme à la performance plus que limitée. Si l’idée était intéressante et le propos facilement exploitable, pour autant « Elephant people » laisse une impression de grande confusion au sortir de la représentation. Face à ce studio télé et ces « tendres cruautés de dieu » qui s’agitent et argumentent devant nous, seule une immense cacophonie se dégagera du texte et de leurs envolées lyriques. Écrasés par une scénographie omniprésente, au demeurant assez bien réalisée, faite de projections vidéos, de gesticulation d’une équipe télé factice et d’un concert dont tout le monde se souviendra plus que du reste, tous parlementent sans parvenir à toucher l’auditoire. À trop vouloir mélanger les styles et trop projeter sur scène, il semble que le metteur en scène perde le fil de son intention et en oublie d’instaurer la distance nécessaire à la réflexion et à l’analyse critique. Peut-être qu’un peu plus de nuances dans le propos et dans le jeu, ainsi qu’un décalage par rapport à cette réalité qu’il tente de singer, auraient permis au spectateur d’obtenir ce temps et cet espace pour découvrir, sans êtres acculés, ces êtres de mystère et de fascination. Espérons tout de même une prochaine rencontre.
Kristian Frédric, une plongée abyssale dans l’univers ébranlé de deux frères
Dans un tout autre style, Kristian Frédric proposait mardi 29 janvier sa vision cinématographique du « moitié-moitié » de Daniel Keene. L’histoire de deux frères qui se retrouvent dans leur maison familiale après dix années de séparation, le plus jeune n’ayant jamais quitté l’endroit. De ces retrouvailles douloureuses ressurgiront ressentiments et frustrations de la part des deux hommes, qui enfermés dans leur solitude depuis trop longtemps, finiront par s’accepter autour d’un terrain d’entente partagé : leur mère. Personnage absent, emporté par la mort quelques années plus tôt, elle n’en jouera pas moins le rôle de ciment de cette famille dissolue à travers une entreprise incongrue : le rapatriement des restes de son corps dans « le jardin » de leur cuisine. Si le texte de Daniel Keene, relativement pompeux et autosuffisant, ne fait pas l’unanimité, il n’en va pas de même pour la mise en scène et le travail des lumières, absolument réussis. Le metteur en scène avoue volontiers s’être inspiré des films de Wim Wenders, Sean Penn ou Ken Loach et l’effet est plus que bien senti. Dès l’ouverture, nous voilà propulsés dans l’univers Tucsonnien de ces vieilles baraques américaines, jaunies et décrépies par les années mais à l’atmosphère si particulièrement chaleureuse. Peut-être justement à cause de cette réminiscence d’un certain « Paris-Texas » ou la voix jazzy et enveloppante de Billie Holiday. Chaque nouvelle entrée dans l’univers des deux frères est un travail pictural, soigneusement élaboré pendant un an et demi autour de deux couleurs primaires : le bleu et le vert. Le tout donne un éclairage plus vrai que nature où les ombres bleutées de la nuit abritent avec bienveillance et discrétion les agissements de chacun tandis que la lumière matinale soulève le voile acerbe de la réalité. Le lieu de l’action se fait personnage, vivant et évoluant au gré des humeurs et folies, offrant un spectacle permanent propre à faire oublier pour quelques instants la lourdeur d’un dialogue bien éloigné d’un langage naturel, thématique pourtant au cœur de la pièce de Daniel Keene. Un spectacle à contempler plus qu’à écouter, à l’exception des férus de Daniel Keene qui y trouveront une adaptation fidèle et esthétisante de l’auteur.
Les nouveaux aquitains
Du 23 janvier au 9 février.
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