INTERVIEW d’un éleveur laitier : « on fait vivre tout un système »


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INTERVIEW d'un éleveur laitier : "on fait vivre tout un système"

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Temps de lecture 7 min

Publication PUBLIÉ LE 22/07/2015 PAR Romain Béteille

François Auduberteau, éleveur laitier de 52 ans, a démarré son activité en mars 1987 par une succession de ses parents. A l’époque, on y trouvait de la vigne et très peu d’élevage, le quota historique était de 48 000 litres. Sur son site de St-Savin de Blaye, l’agriculteur a investi depuis dans le développement de l’élevage laitier. Aujourd’hui, il possède 65 vaches en production et environ 110 animaux en tout. Son volume de production a été multipliée par plus de 10 : il est aujourd’hui de 485 000 litres. Il a accepté de donner son opinion sur la crise de l’élevage qui secoue actuellement le gouvernement français. Pour lui, il s’agit plus d’un problème sociétal que d’une simple demande de hausse des prix… 

« Si un agriculteur est en cessation de paiement, il est déjà trop tard »

@qui ! – Les chiffres dévoilés par le Ministre de l’agriculture ne sont pas très encourageants : 40 000 emplois directs touchés par la crise soit près de 10% des exploitations d’élevage. Comment interprétez vous ces données ?

François Auduberteau – Ce pourcentage là ne veut rien dire : sur quelles bases met-on un agriculteur en difficulté ? S’il est en cessation de paiement, c’est qu’il est déjà trop tard. Globalement, on travaille pour payer les charges. A la fin, il ne reste plus grand-chose. Une fois, je suis allé à ma banque faire une demande de prêt. Le banquier a regardé mon bilan et n’a pas trouvé de problème. Mais il regardait l’actif qui augmentait, pas la trésorerie. Tout dépend de l’interprétation qu’on prend. Mais je pense qu’il y a plus de 10% des éleveurs qui sont dans une situation compliquée en France. Les chiffres, on leur fait dire un peu ce qu’on veut. 

@ ! – Certains agriculteurs justifient leur manque à gagner par une avalanche de nouvelles normes qui se sont multipliées ces dernières années. Cette plainte est-elle justifiée selon vous ?

F.A –  En Aquitaine, il y a de moins en moins d’éleveurs suite aux crises successives. La dernière a eu lieu en 2008-2009 avec la baisse du prix du lait qui est descendu jusqu’à 280 euros. Le prix du lait baissait, mais les charges augmentait en face, et les courbes se croisaient. En parallèle, on nous avait demandé de faire un produit de qualité mais en face, des normes environnementales se sont mises en place. La nouvelle PAC, le grenelle de l’environnement, les nouvelles zones vulnérables (unité de stockage plus importante, épandage contrôlé, ect). Tout ça représentait des investissements. On a demandé aux éleveurs de se mettre en conformité par rapport à la réglementation (qui dit conformité dit mise aux normes avec des investissements plus ou moins importants suivant la structure de l’exploitation) qui au final ne rapportent rien du tout à part la possibilité de continuer à travailler. Certains collègues y ont mis jusqu’à 80-100 000 euros.

@ ! – Vous avez préféré fonctionner d’une autre manière…

F.A – Dans mon cas, j’ai un peu fait l’inverse de ce que j’aurais dû faire. Pour la mise au norme, il y a quatre échelons de financements : européens, nationaux, régionaux et départementaux. La communication dit aux éleveurs qu’ils ont droit à 20% d’aides (hors taxes) lorsqu’ils font cette mise aux normes. J’ai donc monté un dossier auprès de la Chambre d’agriculture en 2009. Je me suis dit : c’est au moment de la crise, où ça va le plus mal, qu’il faut faire les travaux parce que ça n’ira que mieux ensuite… C’est parti dans les divers organismes financeurs et revenu sept mois plus tard. On m’a demandé une garantie décennale (soit, l’intervention d’une entreprise). En faisant tout tout seul, j’en avais pour 10 000 euros de matériaux, trois fois moins. Au final, on ne finance pas vraiment les agriculteurs, plutôt les entreprises prestataires. Ca m’a coûté 30 000 euros au lieu de quasiment 80 000 euros selon les estimations. Je n’ai donc eu à rembourser aucun investissement. C’est là où, souvent, l’agriculteur est en difficulté. On fait vivre tout un système. Les pouvoirs publics ne sont pas assez conscients que l’agriculture couvre tout un corps de métiers. 

Un travail dévalorisé ? 

@qui ! – Vous même, ressentez vous des difficultés dans votre exploitation ? 

F.A – Financièrement, je fais partie de ceux qui arrivent à s’en sortir. Comptablement, je dégage un bénéfice, mais à quel prix…  Je ressens quand même la crise. Je ne compte pas mon temps, je fais beaucoup de choses tout seul et j’ai déjà fait 90% des investissements. Si demain, ça va vraiment mal, je peux revendre le matériel. Ma femme travaille à l’extérieur, ça m’a permis de financer l’entreprise, le privé, les études des enfants… En contrepartie, j’étais tout seul sur l’exploitation et j’ai du y passer beaucoup de temps. Je ne le regrette pas, mais ce que je déplore, c’est que cette énergie n’est pas très revalorisée par rapport au reste de la société. 

@! – A votre avis, les manifestations et les protestations des agriculteurs sont-elles à la mesure de leurs obstacles ?

F.A – En voyant les images des manifestations de ces derniers jours au Mont-St-Michel, je me suis demandé : « comment le français qui n’est pas dans le milieu agricole peut comprendre pourquoi les agriculteurs manifestent comme ça ? ». On ne voit que du matériel dernier cri ! Il faudrait que les agriculteurs expliquent quelles sont vraiment leurs charges, au lieu de répéter que leurs prix sont trop bas. La France transforme tout en valeur, il ne faut pas se voiler la face. Ce que j’entends autour de moi, ce sont des critiques envers les agriculteurs, on leur dit parfois que leur tracteur vaut le prix d’une maison. C’est un travail difficile, c’est normal de travailler avec un matériel plus confortable. On ne travaille pas comme il y a 20 ans, il faut vivre avec son époque, mais tout ça coûte de l’argent. 

« Ceux qui trinquent, ce sont les fournisseurs »

@ ! – Qu’attendez vous des mesures annoncées mercredi par le gouvernement ? 

F.A – Personnellement, pas grand-chose. Jusqu’à maintenant, ce n’est pas les aides de l’État qui ont sauvé celui qui avait déjà la tête dans l’eau. Ils vont demander aux banques d’alléger les charges pour les agriculteurs en difficulté. Mais les dettes seront toujours là. Des prêts à des taux vraiment bas : c’est emprunter pour payer l’emprunt… C’est comme si on soignait un mal de tête en prenant un cachet d’aspirine et qu’il revenait le lendemain. C’est le pot de fer contre le pot de terre. Les industriels veulent des prix bas, le consommateur veut dépenser de moins en moins cher. C’est un problème de société, on n’est pas suffisamment compétitif par rapport à d’autres pays où les contraintes sont moindres. Ceux qui sont le plus en difficulté, c’est ceux qui ont fait des investissements, mais ils l’ont fait parce qu’on leur a demandé. Après la crise de 2009, le cours du lait est monté à 400 euros, ça a duré 6 mois. On parlait de l’or blanc. Tout a explosé autour : le prix du carburant, de l’alimentation, des engrais, du matériel. Le prix a donc augmenté, mais au final les éleveurs n’ont rien gagné de plus. Aujourd’hui, beaucoup d’agriculteurs vont se retrouver en liquidation ou en cessation de paiement. On aura beau augmenter les prix du lait, si on augmente aussi les charges des exploitants, l’agriculteur ne va pas investir, ne va pas faire marcher l’économie parce que sa marge de manœuvre est trop réduite. Certains sont dans une situation dramatique, professionnellement et personnellement. Il y a des suicides tous les jours, on n’en parle jamais. On sait que ça va repartir. Mais quand ? Comment ? 

@ ! – Vous imaginez tout de même un avenir favorable ? 

F.A – Aujourd’hui, les deux priorités d’un agriculteur sont de payer sa banque et ses charges sociales. Ceux qui trinquent, ceux qui attendent, ce sont les fournisseurs. Pour les aides, il faut monter des dossiers de plus en plus compliqués et les financements arrivent plusieurs mois après. Au niveau national, ça fait une somme importante, des millions d’euros ; mais ramenés à l’agriculteur… Il faut savoir ce qu’on veut : soit on veut garder un tissu rural merveilleux pas sa diversité et donc ses agriculteurs en acceptant d’acheter des produits français un peu plus cher. Soit on laisse s’implémenter de grosses structures et les agriculteurs disparaîtront doucement. La manifestation ne va pas tenir plus d’une semaine, car pendant que les éleveurs manifestent, leur exploitation tourne au ralenti. Si on n’entretient pas cette valeur ajoutée qu’est l’agriculture, une grande partie du tissu économique rural va disparaître.

Ca fait bientôt 6 mois qu’on est dans cette situation et on ne voit toujours rien venir. Les éleveurs en ont ras le bol et profitent donc du tourisme de la période estivale pour bloquer les routes, mettre le bordel. Ils n’ont que ce moyen là pour se faire entendre. Cette profession ne se plaint pas souvent, elle souffre en silence. Se plaindre tout le temps n’est pas non plus une solution. Quand je suis sur la route, j’ai plein de voitures devant moi. Mais quand je regarde dans mon rétroviseur, j’en ai encore plus derrière. Tout compte fait, je me dis que je ne suis pas si mal que ça. 

 Le Gouvernement a présenté ce mercredi un nouveau « plan d’urgence » composé de 24 mesures regroupées en 6 axes qui est déjà jugé comme insuffisant par la FNSEA, principal syndicat d’éleveurs français. Pour aider à restructurer les dettes des éleveurs, le fonds d’allégement des charges (FAC) est porté à 50 millions d’euros, contre 8 millions actuellement. Reports d’échéance de paiement des impôts sur le revenu, remboursements anticipés de la TVA, et diverses exonérations. Si le Calvados a appelé à arrêter le mouvement de blocage, des éleveurs d’Auvergne et de Rhône-Alpes, apparemment insatisfaits des mesures annoncées, devraient bloquer les accès autoroutiers à Lyon à partir de ce mercredi soir et ceux de Clermont-Ferrand jeudi matin. Déjà, les réactions politiques se multiplient. L’ancien Président de la République, Nicolas Sarkozy, a jugé que le plan n’était « pas à la hauteur et ne répondait pas au déficit de compétitivité ». François Hollande, lui, devrait rencontrer les responsables de diverses organisations agricoles dès jeudi à Dijon. 

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