Cela coule comme une rivière claire du Périgord,comme le vent sur la forêt Baradeen même temps qu’unemusique dont le compositeur n’est autre que le réalisateur du film, une musique dont les volutes font vibrer toutes les cordes de sensiblité du spectateur. Les images sont toutes, ou presque, conçues comme des tableaux des peintres des scènes de la vie paysanne de jadis,et parfois on a l’impression d’être dans le monde des Bruegel, dans paysoù, vu d’en haut de la tour du château, tout le monde il est beau tout le monde il est gentil. IncontestablementLaurent Boutonnat dont c’est le premier long métrage réussi commercialement, a construit, selon sa propre vision, ce qui est un chef-d’oeuvre de l’art cinématographique. Certes, les spécialistes, ou les esprits un peu trop critiques y verront percer son talent de réalisateur de clips, mais il serait surprenant que le film ne soit pas à ranger dans quelques années au rayon des classiques du cinéma.
Le vrai l’Herm ignoré
Il ne faudra pas toutefois exagérer le côté documentaire de cette oeuvre, bien que le déroulé du roman d’Eugène Le Roy soit concentré mais respecté. La réalité dépeinte par l’écrivain périgordin, n’en déplaise aux âmes sensibles, (il est surprenant toutefois de voir à quel point les commentaires lisibles sur le net révèlent de l’émotion chez les jeunes qui ont vu le film) était bien plus dure dans une terre en soi difficile et, qui plus est, régentée par une noblesse toute requinquée par la chute récente de Napoléon 1er. LeJacqou de Boutonnat (Gaspard Ulliel) dont les yeux font rêver les filles paraît un peu fluet et mielleux par rapport à l’original. D’autre part, un personnage essentiel, le château de l’Herm dont il subsiste des murs et une porte célèbre, est ignoré et vaguement remplacé par celui de Biron. C’est tout de même dommage. On ne retrouve pas davantageles paysages authentiques du pays.
Pourquoi « croquants? »
On ne peut laisser passer l’occasion sans aborder la question de l’origine du mot « croquants », tant de versions fantaisistesétant répandues dans la « nature ». Il faut remarquer tout d’abord que Jacquou le Croquant n’aurait jamais dû exister autour de 1815, la Révolution étant faite depuis longtemps. C’est la tyrannie des Nansac qui requalifia le jeune contestataire, plus d’un siècle après les dernières jacqueries. Les plus importantes furent celles de 1594 et de 1636. La première partit de Turenne en Limousin, et s’étendit au Périgord. La seconde, dirigée par un gentilhomme, Lamothe de la Forêt,prit une dimension de guerre civile, et il fallut que le roi envoyât le duc de la Valette contre les paysans révoltés pour y mettre un terme. Un millier de « croquants » furent tués à la bataille de La Sauvetat-du-Dropt (Lot-et-Garonne) en 1637.
Ce sont d’abord les paysans, accablés de redevances et autres dîmes par la noblesse qui, devant l’appétit fiscal insatiable de leurs seigneurs, les qualifièrent de « croquants ». Mais pour ceux des châteaux les croquants étaient ces paysans qui daignaient relever la tête, et c’est cette acception du terme qui l’emportera. Selon d’autres études, l’origine du mot pourrait aussi être liée à une première réunion clandestine qui se serait tenue dans un village de Croq en Limousin. Que ceux qui ont d’autres versions nous le fassent savoir!
Gilbert Garrouty
Notre photo: « une maison de Jacquou » en Périgord (Ph aqui)