Eric Scherer, aujourd’hui directeur de la prospective et de la stratégie numérique du groupe France Télévisions, ne fait pas profession de pessimisme et, disons-le, à l’usage des jeunes journalistes et des moins jeunes, son livre fourmille d’informations qui constituent, aussi, une manière de mode d’emploi. Ce constat « made in USA » d’abord qui laisse pantois mais qu’il convient de bien avoir présent à l’esprit quand on veut se faire comprendre de son lecteur : les Américains, s’ils lisent moins qu’avant les journaux « ingèrent » chaque jour 34 gigabits d’informations ce qui équivaut à 100.000 mots par le biais de la lecture, de la télévision de la radio, du Web, des portables…une augmentation de 350% depuis 1980; les habitants des pays riches (OCDE) passant chaque jour trois heures et demie devant un ordinateur, quatre devant la télévision et une demi-heure au téléphone …Le temps passé sur internet a augmenté, en 2010, de 21% et le nombre d’utilisateurs de 13%; au Canada par exemple la toile désormais supplante la télé. Autant dire que le temps qu’ils pourraient consacrer à la lecture d’un quotidien ou d’un magazine, si jamais leur venait l’idée d’en acheter un, est en train de disparaître. Deux ou trois chiffres encore qui donnent le vertige : près de cent cinquante quotidiens américains ont fermé leurs portes en 2009 et 15.000 emplois ont été supprimés, après seize mille l’année précédente et surtout un chiffre qui permet de mesurer l’ampleur de la perte de valeur : la publicité dans les journaux est retombée au niveau de ce qu’elle était en 1965. Eric Scherer note, au passage, que « les jeunes sont drogués aux contenus gratuits » .
Ils ont grandi avec les ordinateurs y vivent, y travaillent, s’y cultivent, écoutent de la musique : c‘est le temps du « multitasking ».
Le nouveau journalisme contre « l’infobésité »
Comment donc une profession, installée pendant si longtemps dans sa superbe, cultivée éternellement dans l’obligation d’une objectivité aussi impérieuse qu’inaccessible, peut-elle s’en sortir ? Réponse : en mettant de l’ordre dans le chaos. Et ici rien de tel que d’écouter Scherer lui-même : « le public consomme désormais les informations de manière différente. Il chasse, collecte, picore ce qu’il veut, partage ce qu’il a trouvé, via son réseau dans les médias sociaux. A force de « media snacking », c’est l’infobésité qui menace ! Le journaliste, grâce à son expertise et à condition d’être porteur d’une confiance retrouvée peut aider considérablement dans ce vaste tri sélectif. .. »
Voici donc venu le temps de l’enrichissement par le contexte, « du journalisme augmenté » un concept qui a déboulé dans notre vieille culture européenne à la faveur des révélations de Wikileaks que nos confrères d’Owni.fr ont diffusées avant que quelques grands quotidiens de référence, du Monde à El Païs en passant par le Guardian ne s’entendent pour prendre le relais en ajoutant leurs propres analyses. Fini le temps du « journalisme de surplomb » : l’auteur nous propose un beau challenge à relever en complicité, en « lien » avec le lecteur, le citoyen. Tous à l’ouvrage…
Joël Aubert
A-t-on encore besoin des journalistes? Manifeste pour un journalisme augmenté » Eric Scherer, PUF, www.puf.com (19 euros)