Rassemblant le travail de 110 scientifiques de 30 laboratoires de la région, « Ecobiose s’attache à quantitativement évaluer le rôle de la biodiversité pour l’économie, et notamment l’agriculture, de la région, sur la base de la littérature scientifique existante sur le sujet » explique Vincent Bretagnolle. En d’autres termes, du concret et de l’incontestable. Du concret, quand le rapport affirme, chiffres à l’appui, tout à la fois que « les écosystèmes agricoles, viticoles et forestiers de la région abritent une riche diversité biologique » mais que celle-ci est « en érosion accélérée dans tous les systèmes de production néo-aquitains et en milieu artificialisé ».
Moineaux des villes et moineaux des champs
Quant aux sources de cette érosion massive de la biodiversité, elles ne sont évidemment pas oubliées dans le rapport rendu public ce lundi : l’intensification des pratiques (en particulier l’utilisation massive des produits phytosanitaires, la mécanisation), l’uniformisation des paysages agricoles, viticoles et sylvicoles (impliquant la disparition des haies, bosquets, mares…) ou encore l’introduction d’espèces envahissantes.
S’il n’y a ici rien de vraiment nouveau, l’intérêt du rapport est de permettre de documenter et d’illustrer ces connaissances par des exemples concrets à l’échelle de la région : « l’importation de porte-greffes américains, tout en permettant de sauver le vignoble français de la crise phylloxérique, a permis l’entrée d’une espèce de cicadelle américaine qui est vecteur de la maladie de la flavescence dorée, qui touche désormais plus de 65% du vignoble français ». Sur la pollution chimique, si les néonicotinoïdes par exemple, n’ont plus, ou presque, de secret pour personne quant à leur impact nocif sur la population des abeilles domestiques, la pollution lumineuse et sonore des milieux urbains sur les chauve souris et les oiseaux n’est pas non plus oubliée par Ecobiose : « Les juvéniles de moineaux domestiques exposés à une ambiance sonore de trafic routier présentent un métabolisme réduit par rapport à des individus soumis à une ambiance sonore de milieu rural » annoncent par exemple les scientifiques qui montrent aussi que « la contamination des sols par des éléments traces métalliques a un impact négatif sur les plantes, les micro-organismes et les invertébrés », au premier rang desquels les escargots, dont le taux de survie dans la métropole bordelaise est très altéré… Une mise en image de cette biodiversité à la peine dont la compilation suscite à tout le moins un sentiment d’inquiétude.
Trois facteurs de production: « le capital, le travail… et la Nature! »
Pour autant, l’idée n’est pas de créer la panique, selon Nicolas Thierry, Vice-président en charge de la protection de la biodiversité au Conseil régional. « Il ne faut pas se tétaniser face à une menace existentielle qui est là. Ne rien faire serait la pire des options. Même si le constat est difficile à entendre, il faut surtout lutter contre l’idée que tout est déjà écrit. Si on arrive à embarquer tout le monde, il y a une voie de sortie. On doit basculer massivement et avec détermination pour enrayer cette érosion de la biodiversité. agriculture, tourisme, industrie, la biodiversité doit désormais tout conditionner ! Mais d’abord, on doit sortir du plus gros des mensonges qui est de croire que l’on peut s’extraire de la nature. La collaboration avec le vivant est la clef de résolution de la plupart de nos problèmes ».
Et pour cause, le rapport l’affirme : « les systèmes de production agricole, pastoraux et sylvicole, dépendent de la biodiversité en région Nouvelle-Aquitaine ». « Par exemple la pollinisation par les insectes, notamment les abeilles, peut augmenter les rendements de 30 à 40% et les revenus, de 200 à 300 euros, en oléo-protéagineux », illustre Vincent Bretagnolle. « C’est une des leçons de ce travail : il n’y a pas de contradiction entre productivité et revenu du monde agricole par exemple, et protection de la biodiversité, au contraire ! » affirme avec force Alain Rousset le Président de la Région. « Jusque-là, la théorie économique voulait qu’il y ait deux facteurs de production : le capital et le travail. En fait, il y en a trois : le capital, le travail et la nature », ajoute-t-il.
Une biodiversité de qualité c’est aussi une meilleure fertilité des sols et une meilleure régulation des bio agresseurs. La lecture du rapport rappelle également que la biodiversité est impliquée dans l’épuration de l’eau, le stockage du carbone et les cycles bio-géochimiques… autant de services utiles à tous, à l’image par exemple encore de la limitation de l’érosion des côtes par la végétation. « Pour répondre, aux défis non seulement environnementaux, mais aussi démographiques, en termes de déplacement de population, économiques et sociaux cela va nécessiter des formes de résilience. La biodiversité et la nature, sont une des clefs de voûte de cette résilience », appuie également Vincent Bretagnolle, pour lequel chacun, « politiques publiques, organisations et coopérations, ainsi que les individus », doit faire sa part.
« Un appel à manifestation d’intérêt pour soutenir les actions au service de la biodiversité »
La réduction de l’intensité des pratiques agricoles (et en particulier le développement de l’agriculture biologique), le renforcement des systèmes agricoles diversifiés, l’investissement dans des infrastructures écologiques, le changement de nos modes alimentaires, l’utilisation sobre des ressources naturelles, le recours prioritaire aux solutions fondées sur la nature dans les territoires tout en testant de nouveaux modèles de développement et de gouvernance (sur un mode participatif comme les zones ateliers ou « recherche action ») figurent ainsi parmi les pistes évoquées par le rapport à l’attention plus particulièrement des gestionnaires et élus des collectivités locales.
Concernant la région Nouvelle-Aquitaine, qui a commandé le rapport Ecobiose, dans la lignée du rapport Acclimaterra sur le réchauffement climatique, la trajectoire politique est lancée à travers l’adoption de sa feuille de route NéoTerra en juillet dernier. « Néo-Terra marque le basculement de toutes nos politiques par rapport au réchauffement climatique », souligne Alain Rousset qui cite également avec Nicolas Thierry, quelques initiatives concrètes : la création de 25 nouvelles réserves de biodiversité d’ici à 2030, la participation au projet Territoire d’Innovation Vitirev, ou encore la récente adoption, lors de la commission plénière de novembre dernier d’un appel à manifestation d’intérêt (AMI) « Territoire sans pesticide ». Ce dispositif vise à « accompagner les EPCI et Parcs naturels régionaux qui souhaitent sortir des pesticides de synthèse sur l’ensemble de leur territoire, toutes cibles confondues ». Par ailleurs un AMI « biodiversité » sera proposé aux élus régionaux en plénière de mars 2020. « Il est très large et vise à soutenir les actions au service de la biodiversité autour des thèmes des paysages, des continuités écologiques, des pollinisateurs, de la nature en ville, etc », dévoile le vice-président chargé de la biodiversité.
Quant à la suite donnée aux travaux d’Ecobiose, outre la publication d’un document de synthèse pour les « décideurs » et d’une plaquette destinée au grand public, le rapport va être peu à peu mis en ligne dans son intégralité sur le site internet www.ecobiose.fr (pas de publication papier prévue) et a notamment déjà permis l’amorçage de la structuration d’un Réseau Régional de Recherche sur la Biodiversité.