Maryvonne Lagaronne, éleveuse de bovins allaitants en Béarn, et par ailleurs élue à la Chambre d’Agriculture des Pyrénées-Atlantiques, identifie principalement trois freins à lever pour parvenir à attirer davantage de jeunes installés dans la filière qu’elle connaît bien. Tout d’abord le niveau d’investissements requis, « au bas mot, pour une exploitation spécialisée, il faut 250 000 € d’investissements ? Plus le foncier, soit 500 000 € pour une soixantaine de vaches allaitantes » calcule l’exploitante. « Donc, hormis en cas de transmission, c’est très difficile de s’installer, poursuit-elle. Il faut maintenir ou développer des solutions de portage financier à long terme », d’où son amertume à constater le raccourcissement au 1er janvier 2015 du dispositif du portage foncier régional de 10 à 5 ans… « Voir arriver des gens nouveaux est pourtant pour nous une problématique d’importance. Pour l’heure, nous n’avons qu’un seul hors cadre familial qui s’est installé. »
Vient ensuite la question de la rentabilité de la filière : « nous sommes l’élevage le moins rentable, il faut en moyenne 8 ans et demi pour obtenir un retour sur investissement ». Autrement dit peu de chance d’attirer des jeunes s’ils ne tirent pas de revenus de leur profession, et pour ça, c’est la question de la structuration de la filière qui est en jeu, à l’image des filières volaille ou palmipède abordées lors de la CDFR landaise.
Enfin, pointe-t-elle, il y a un problème d’image en matière de maîtrise technique, « on entend souvent dire que le bovin allaitant est un élevage facile, alors, que c’est le plus technique, de la même manière le métier souffre d’une image vieillotte. Là, c’est à nous de communiquer sur les innovations. »
« Augmenter la rentabilité, et donc l’attractivité de la filière » A ces multiples freins à l’installation et donc au renouvellement de génération, s’ajoutent à cela les nouvelles réglementations sur les zones vulnérables qui concernent nombre d’élevages bovins, « ceux qui ne seront pas mis aux normes ne seront plus transmissibles et donc risquent de disparaître », prévient Pierre Menet, Président du Comité technique Safer de Béarn. « Sur ces zones, les exploitations disparaissent 2,5 fois plus vite » qu’ailleurs renchérit Maryvonne Lagaronne.
Sur les pistes de solutions choisies par la filière représentée par l’agricultrice, il y a le travail sur l’identification des cédants (exploitants de plus de 55 ans), mené en partenariat par la Chambre d’Agriculture et la SAFER, mais qui dépasse la seule filière de l’élevage bovin. Du côté des initiatives portées par la filière, elle souligne « la volonté de mettre en place un accompagnement très personnalisé avec les éleveurs, notamment ceux du nord-est du département, qui sont le plus impactés par les zones vulnérables, pour qu’ils en ressortent confortés ». Sur la partie conseils, elle cite aussi « Bovin croissance », qui fournit des accompagnements de terrain, mais qui travaille aussi sur l’image métier de l’élevage de naissance, à travers l’innovation et la technicité.
Autre idée « aller jusqu’à l’engraissement des animaux. Et pour cela, il faudrait parvenir à une structuration de la filière davantage par les coopératives que par le négoce comme c’est le cas actuellement ». Une manière d’augmenter la rentabilité, et donc l’attractivité de la filière.
Au titre des actions entreprises figurent également des conventions entre la Safer, la Chambre d’agriculture et les EPCI, « pour établir un véritable dialogue avec les politiques, qu’ils aient conscience de la valeur économique de nos exploitations pour le territoire », et ainsi travailler ensemble à l’anticipation des départs et des possibles installations de jeunes.
Vers un placement « sur l’herbe » ? Enfin, sur le plan du financement, « il faut parvenir à avoir des dispositifs de portage structurel, pour pouvoir installer dans la durée, un financement sur 5 ans ne suffit pas », insiste Maryvonne Lagaronne. Sur la question de l’investissement par les structures économiques en soutien de l’installation d’un jeune agriculteur, Henri Biès Péré, au nom du groupe coopératif Euralis admet volontiers que « le débat n’est pas tranché au sein de la profession ». Une question qui est aussi réfléchie au sein d’Euralis témoigne-t-il, « mais cela supposerait des capitaux extrêmement importants, et au-delà de ça, c’est la question du lien entre la coopérative et l’exploitant agricole qui se pose… Ne risquerait-il pas d’être pieds et poings liés avec l’entreprise ? »
Qu’en est-il alors, de cette idée qui fait son chemin dans les esprits du milieu agricole : l’externalisation de tout ou partie du capital foncier ? Les intervenants du débat n’y voient au final pas d’opposition, même s’ils restent prudents sur les modalités à inventer. Ils imaginant alors davantage un investissement « sécurité », et non à forte rentabilité, même si un « certain dosage de chaque n’est pas à exclure ». Pour Maryvonne Lagaronne, ces fonds de pension d’un nouveau genre pourraient d’ailleurs chercher à cibler certains investisseurs extérieurs, soucieux de travailler leur bonne image sociétale : « un placement “sur l’herbe” ou “placement vert” pour des producteurs d’énergie qui eux ne le sont pas… ». Autre élément de prudence relevé par les intervenants, ces placements ne pourraient être que des placements de long terme et non pas du spéculatif, « la filière ne pouvant pas se structurer dans l’immédiateté ».