Antoine Bidegain, le pionnier du numérique bordelais


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Antoine Bidegain, le pionnier du numérique bordelais

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Temps de lecture 8 min

Publication PUBLIÉ LE 20/03/2016 PAR Romain Béteille

Du 5 au 9 avril prochain, la Semaine Digitale, grand-messe de l’économie numérique bordelaise, s’ouvre au Hangar 14. Plus de 70 évènements, des concerts aux ateliers en passant par les expositions et les grandes rencontres avec des experts nationaux et internationaux vont faire de ces cinq jours un rendez-vous incontournable des amateurs d’innovation. Dire qu’il y a cinq ans à peine, Bordeaux se réveillait et présentait sa première semaine digitale, qui n’était alors qu’une expérimentation menée avec quelques milliers d’euros de budget. Lorsque Alain Juppé en a présenté le programme détaillé ce vendredi 18 mars devant la presse, un nom est revenu plusieurs fois. Celui de l’homme qui pilote, en coulisses, une véritable stratégie interne de la croissance digitale. Antoine Bidegain, assis au second rang, n’est ni un élu ni un entrepreneur. D’ailleurs, symboliquement où non, il n’est pas venu en costume de scène mais en simple combinaison chemise blanche et pull gris. La barbiche naissante, ce grand bonhomme aux yeux effilés de 42 ans est une des petites mains publiques de cet évènement numérique métropolitain. Et de bien d’autres projets qui l’ont plongé très tôt dans l’univers si vaste du monde digital. 

Une vocation hasardeuse

Car Antoine Bidegain n’est pas directeur adjoint à la DGNSI de Bordeaux Métropole en charge du « territoire digital et connecté » par hasard. Ancien chargé de mission à la mairie de Bordeaux en charge de la croissance numérique, il est né à Bayonne, dans les Pyrénées-Atlantiques, où il passe toute son enfance; obsédé, déjà, par la micro-informatique. « Mon premier ordinateur, un Oric Atmos, était particulièrement exigeant. J’étais en CM2, je me souviens que mes parents avaient fait l’effort de m’en acheter un. J’ai appris un peu de programmation. En dépit de ce que tout cela avait d’austère, je me disais qu’il y avait un monde qui allait venir », confie-t-il.

« J’ai arrêté à la fin du lycée. Je ne voyais pas quelle était l’étape d’après. On était très loin d’internet et même s’il y avait des progrès formidables sur l’interface, je m’étais dit qu’il était temps de passer à autre chose. Pendant presque toutes mes études, je n’ai pas fait d’informatique. Ce n’est que quand internet est arrivé et que des entreprises comme Google ont montré qu’il allait se passer quelque chose que je m’y suis réintéressé ». Autrement dit, il a senti le vent tourner, ce qui va, au fil des années, devenir presque une habitude, un réflexe. Quelques années passent avant de rejoindre l’IEP de Bordeaux et de passer une agrégation de sciences économiques qui fait de lui un enseignant entre 1998 et 2000. « Mon père a été professeur d’anglais et s’est occupé d’un IUT. Ma mère est un professeur de lettres classiques. Ses deux parents étaient instituteurs. Le fait que j’ai choisi l’enseignement n’a donc rien à voir avec un passif familial », lance-t-il avec ironie. 

« Le goût du numérique »

Déjà, en classe, Antoine Bidegain est un expérimentateur qui se sert de nouveaux outils pour enseigner différemment, à un moment où ce n’était pas forcément un réflexe d’usage. « J’avais le goût du numérique dans la salle de classe, j’essayais de faire cet usage à bon escient à une époque où il était encore très occasionnel et très rare. C’était le matériel du prof passionné qui était amené dans la classe plutôt qu’un équipement d’établissements où souvent, à la charnière entre les années 90 et 2000, il n’y avait pas grand chose ». Antoine Bidegain parle avec passion de ces trois ans d’enseignement, avec un petit sourire en coin et ce langage, entre le soutenu et l’accessible, qui le caractérise. « Grâce à internet, les enseignants se retrouvaient sur des forums de discussion ou dans des groupes animés par des inspecteurs, des communautés ou des associations. Ce sentiment de solitude n’a jamais véritablement été là. Les enseignants qui ont fait du numérique ont même été les moins isolés. En même temps, il est bien évident que ceux qui débutent quelque chose doivent s’attendre à une forme de scepticisme au départ. Moi, j’étais très enthousiaste parce que je voyais l’attention, la possibilité de faire des discussions à trente permettant de voir des argumentaires de qualité et de les partager tout de suite. J’ai senti très tôt que nous avions quelque chose à faire pour travailler différemment ».

Le chemin vers la lumière

Ces idées, dans le grand bouillonnement de l’arrivée des nouvelles technologies, sont remarquées par le rectorat de Bordeaux qui fait appel à Antoine Bidegain pour s’occuper d’un projet, celui de gérer une logithèque de CD-Rom. Très vite, les idées dépassent largement le cadre initial. « On a très vite réfléchi aux besoins des profs. Ce qui est intéressant pour toute personne qui commence un usage, c’est de réfléchir aux conditions de sa généralisation. Si vous ne voulez pas être une star solitaire et que vous voulez vraiment permettre à la communauté des usages équivalents à ce que vous en faites, il faut réfléchir à abaisser le coût d’entrée et la complexité technique. Autrement dit : comment je vais faire pour ce qui m’a demandé deux heures prenne cinq minutes à celui qui va me suivre ». Antoine Bidegain et ses équipes mettent en place ce qui va devenir un des premiers environnements de travail en ligne : « Argos », qui signifie en grec -l’une des passions d’Antoine étant sa tragédie- « quelque chose de brillant ».

En Immersion 

Embauché ensuite dans une agence territoriale dans le 64, l’Agence du Numérique, il met en place plusieurs projets dans l’éducation et la culture, qui révèlent une autre facette de sa personnalité : le goût pour l’exploration. « Je voyais de façon aveuglante que Bordeaux était en train de se transformer à une vitesse folle. Passé le gros oeuvre du tramway, c’était maintenant une modification sociologique qui était en cours : après l’urbain, c’était l’humain qui était en train de changer ».

Il s’immerge dans le monde politique par la porte municipale, en y rencontrant plusieurs élus dont Alain Juppé, et découvre la ville par en haut, ce qui élargit son horizon. « Ca a permis de construire un agenda d’actions auprès du maire. Le développement des projets initiés m’a donné envie de m’impliquer fortement dans certains d’entre eux. Je me suis d’abord intéressé à l’économie numérique et aujourd’hui plus généralement à la ville intelligente », affirme-t-il. Parmi ces fameux projets, on peut citer pêle-mêle les QR Codes, « aujourd’hui presque vintage », le développement de services mobiles ou la e-éducation qui a été « un projet très fort parce qu’il y avait un vrai partenariat avec l’éducation nationale et une complicité avec les enseignants. Aujourd’hui, nous avons un tableau numérique dans chaque salle de classe de toutes les écoles de la ville. C’était un grand chantier et aujourd’hui, on réfléchit à une étape suivante ». 

A plus petite échelle aussi, Antoine Bidegain se passionne pour son rôle de faiseur. « Je prends beaucoup de plaisir à travailler avec des écoles sur des petites réalisations qui peuvent parfois donner lieu à des projets plus larges. Ce n’est pas toujours possible parce qu’on a pas toujours la capacité à être un accélérateur, mais c’est ce lien avec le monde de l’enseignement supérieur, ici particulièrement tonique, qui est pour moi une grande source de satisfaction ».

Culture sous serre

Portés politiquement par la ville, les projets qui sortent des cartons d’Antoine Bidegain sont concrets, ils s’engouffrent dans ce bouillonnement d’idées et d’innovations. Celui qui a une passion avouée pour la Renaissance Italienne et les grandes périodes de transformation en général (« j’aime ces moments de bascule », confirme-t-il) veut créer un accélérateur pour ce monde dans lequel il baigne désormais complètement. « Ce climat de bienveillance par rapport au numérique en général nous a permis de faire un test, ce qu’était la première Semaine Digitale. Elle a été faite avec 7000 euros. Le budget d’ensemble était vraiment symbolique, mais on avait voulu faire la preuve qu’un évènement comme ça avait sa place. Il a eu un écho très fort, vu son caractère artisanal. On a vécu un processus qui s’apparente un peu à celui d’une start-up en interne. Aujourd’hui, le budget de la ville de Bordeaux sur la SD est d’environ 300 000 euros, sans compter la contribution nouvelle des partenaires et tout ce qui n’est pas chiffrable : ces dizaines d’enseignants, ces associations, ces entreprises qui montent des évènements… ».

La Semaine Digitale est pour lui une sorte d’aboutissement, de laboratoire actif et frémissant, « une serre qui chauffe les plantes et qui les fait grandir. Elle est un rendez-vous dont la porte ne doit pas être ratée et donne aussi l’occasion de démarrer des projets. Cette idée qu’un évènement peut créer du réel et n’est pas juste une fête qui laisse juste quelques gobelets vides quand elle est passée, c’est quelque chose que nous avons à l’esprit ». Antoine Bidegain n’est pas pour autant un accro à la technologie, il se décrit lui-même comme « techno-addict avec modération. J’ai l’impression que si on veut garder la grande vision et se projeter un peu dans un futur élargi, il faut savoir faire taire le grésillement cognitif des appareils ». 

Vers de nouveaux rivages

Une certitude après ces quelques instants passés à revenir avec lui sur son passé : Antoine Bidegain est une personne logique, avec un système d’exploitation structuré, si l’on peut dire. La preuve ? Quand on lui demande de citer son livre préféré, s’il ne pouvait en retenir qu’un, il cite : « Le rivage des Syrtes ». Pour ceux qui seraient passés à côté, il s’agit d’un roman de Julien Gracq (datant des années cinquante) narrant les aventures d’Aldo, envoyé dans une forteresse des provinces du Sud. Le reste, même brièvement résumé, frôle l’évidence : « Ce faisant, il devient peu à peu et involontairement le catalyseur de changements ».

Après avoir exploré tant d’étiquettes différentes avec toujours ce même fil rouge en tête, il aborde aujourd’hui ses thèmes de prédilection dans une dimension plus métropolitaine.Il est toujours de la fête lorsqu’il faut décrire la capitale régionale comme une ville qui « surfe sur le succès ». Mais il reste convaincu que ce modèle va se multiplier dans les années à venir, un brin inquiet mais d’un optimisme certain : « Quand je sentirai que les phrases se répètent, que les gens ont moins besoin d’une action publique pour avancer, je pense qu’il sera temps de regarder d’autres domaines ». Et, comme un mantra, il conclut : « et même peut-être juste un tout petit peu avant que ça n’arrive ».


Antoine Bidegain, le transformiste du numérique from Aquipresse on Vimeo.

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