Ambiance électrique autour de l’agri-voltaïsme


Aqui.fr publie ci-dessous le reportage d'Elsa Teiton, étudiante en journalisme au CFJ, lauréate de la première édition du prix Joël-Aubert, prix de journalisme initié par l'association des Amis d'Aqui, en hommage au fondateur de notre site Aqui.fr

Elsa Teito

Les serres de Jean-Michel Aurières, couvertes pour moitié de panneaux photovoltaïques

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Temps de lecture 5 min

Publication PUBLIÉ LE 15/05/2023 PAR Elsa Teiton

La  camionnette  verte  de  Jean-Michel Aurières s’immobilise  au  bout  d’un  chemin  de  terre sinueux.  L’agriculteur  saute  du  véhicule. Rapidement, il fait coulisser les hautes portes de sa serre de huit hectares, implantée à Boé, près d’Agen. La semelle de ses bottes en caoutchouc écrase les feuilles mortes tombées entre les rangs d’arbres à kiwis rouges. L’hiver approche. Il  inspecte  les  lianes  de  ses  acnidiers qui s’enlacent sous le toit de la serre. La moitié du plafond  en  verre  est  recouverte  de  panneaux photovoltaïques. Jean-Michel  est  le  premier  en France  à  produire  des  kiwis  rouges en agrivoltaïsme.

La moitié de la serre de Jean-Michel Aurières est recouverte de panneaux. Les  panneaux profitent directement à la culture. Les fruits préfèrent un milieu abrité et ombragé. Droit dans ses bottes, il l’avoue : « Il  me fallait absolument des serres. Le photovoltaïque pour s’installer, qu’est-ce que vous voulez de mieux ? ».


Définition

Selon l’Agence de l’Environnement et de la Maîtrise de l’Energie (Ademe), « l’agrivoltaïsme est  la  synergie  entre  production  agricole et photovoltaïque ». Les  panneaux photovoltaïques installés sur des cultures « doivent apporter un service en réponse à une problématique agricole ».

Rien de mieux, en effet, qu’une serre vide qui n’attend que les plants de kiwis de Jean-Michel. Il découvre la variété lors d’un voyage en Italie en 2017. L’année suivante, il signe un bail avec Reden Solar. Le propriétaire de la serre, basé dans le département, était à la recherche d’un producteur depuis quatre ans.

Contrat gagnant-gagnant

Les récoltes sont bonnes. Il ramasse quinze tonnes de marchandise en 2022. Son chiffre d’affaires s’élève à 100 000 euros par an. Il paye la location de la serre uniquement 35 000 euros pour l’année. En plus, « ils nettoient le verre, entretiennent l’infrastructure, je ne m’occupe de rien », concède Jean-Michel les mains fourrées dans les poches de sa polaire. En échange, le constructeur rembourse son investissement en gagnant de l’argent grâce à l’électricité produite par les panneaux.

L’Assemblée nationale s’en mêle

L’agrivoltaïsme se distingue par sa nouveauté. Une nouvelle façon de produire difficile à apprivoiser. Les rendements fluctuent au gré des essais plus ou moins fructueux de nouvelles plantations. Certains abandonnent et laissent leurs terres en friche. Une situation que les députés veulent éviter.

Le 14 décembre 2022, ils ont adopté un article du projet de loi pour l’accélération des énergies renouvelables. Il vise à mieux encadrer le lancement de nouveaux projets. Seuls ceux basés, sur des études préalables solides et qui permettent de « maintenir ou de développer durablement uneproduction agricole » seront soutenus. Nécessaire pour atteindre l’objectif du gouvernement de 40% d’énergies renouvelables d’ici 2030, sans porter atteinte à l’agriculture. Le vote solennel est prévu le 10 janvier 2023.

L’agrivoltaïsme se distingue par sa nouveauté. Une nouvelle façon de produire difficile à apprivoiser. Les rendements fluctuent au gré des essais plus ou moins fructueux de nouvelles plantations. Certains abandonnent et laissent leurs terres en friche. Une situation que les députés veulent éviter.

Phase de test

Avancer à tâtons, avec prudence, c’est la stratégie de Youp Brinkhoff. Lui aussi a été aidé par un constructeur pour installer une serre photovoltaïque d’un demi-hectare en 2020, lorsqu’il a repris la ferme familiale avec son épouse, à Granges-sur-Lot. La société Sunagri a fixé les panneaux au toit par des mâts. Ils pivotent en fonction de l’orientation du soleil. En été, ils se mettent à plat pour capter un maximum de soleil et protéger les cultures des rayons. En hiver, ils laissent passer 15 % de luminosité en plus des panneaux directement accrochés au toit, sans mâts mobiles. Le jeune agriculteur a tenu à financer la moitié de la serre lui-même, mais sans panneau, afin de comparer les récoltes sous panneaux et sous plastique. De chaque côté, des capteurs trônent au milieu des pieds de fenouil.

Youp se penche à la racine des plantes : « Le côté sans panneau est plus précoce. Le fenouil commence à pousser du côté plus ensoleillé alors qu’il a été planté le même jour ». Sous les panneaux, la productivité baisse de 30 à 40 % l’hiver. Les pattes de Jack, son petit chien blanc, s’enfoncent dans les flaques. « C’est plus humide, on arrose moins. » Youp dégaine de la poche de sa veste en daim, son smartphone connecté aux capteurs. « Il fait 9 °C ici et 9,4 °C sous panneaux. »

Piège ou opportunité

Malgré ces expérimentations, si les récoltes s’avèrent moins fructueuses, impossible de démonter la serre. Le bail d’exploitation des panneaux court sur trente ans. L’agriculteur doit les laisser à disposition de l’investisseur initial avant de choisir de les garder ou non. En attendant, fruits et légumes risquent de déserter les parcelles. En réponse, dans le texte du projet de loi, les députés insistent : les installations doivent rester « réversibles ».

70 projets agrivoltaïques sont recensés par la Chambre d’Agriculture de Nouvelle-Aquitaine

A une quinzaine de kilomètres, la serre du lycée agricole de Sainte-Livrade-sur-Lot est soumise au même type de contrat. Au bout de vingt ans, la région Nouvelle-Aquitaine pourra bénéficier de l’électricité. Petites lunettes posées sur le nez, Xavier Canal, le directeur de l’exploitation est conscient des limites de l’agrivoltaïsme. Il rêve de trouver le compromis entre production agricole viable et revenu issu d’énergies renouvelables : « J’espère que ça fera un budget supplémentaire pour les lycées ». En 2009, Reden Solar construit la serre d’un hectare. « Nous avons juste payé l’irrigation et quelques outils. Nous avons déboursé moins de 100 000 euros. Normalement, pour une serre comme ça, c’est 1 million d’euros. » Objectif: redynamiser le maraîchage bio au lycée. Tout ne se passe pas comme prévu. Sous la serre, le directeur bêche l’un des rares pieds de curcuma. Les racines orange font surface. « Il y a des choses qui marchent et d’autres que je n’ai pas réussi à faire marcher. Par exemple, le curcuma est en test, le concombre aime bien l’ombrage, mais pour la tomate, le rendement baisse de 30 %. »

Du rêve a été vendu

Les revenus issus de l’électricité semblent plus attractifs. Un hectare produit 1,2 mégawatt par heure. Le kilowatt rapporte environ 14 centimes. Avec sa serre, le lycée alimente 400 maisons. Du pré à la prise, il n’y a qu’un pas. Les députés craignent de voir les projets alibis se multiplier. Inenvisageable d’artificialiser des sols sous couvert d’activité agricole. Xavier s’alarme aussi : « Il faut voir ce qui est agricole et ce qui ne l’estpas. Du rêve a été vendu. De la surface agricole aété perdue ».  En jeu: la souveraineté alimentaire.

Pour contrer cette menace, le directeur veut prouver que l’agrivoltaïsme peut fonctionner. « Il faut sortir de ses a-priori de maraîcher, de ses principes habituels. Il faut se remettre en question et tout essayer. Pourquoi pas un paillage blanc au pied des plantes pour refléter la luminosité ? » Un projet réussi, c’est la fusion de deux énergies au cœur des préoccupations :alimentaire et électrique. L’une ne peut prendre le pas sur l’autre. « Ça serait dangereux de ne pas réfléchir à l’agrivoltaïsme. Le défi énergétique et agricole, c’est maintenant. »

Elsa Teiton

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