@qui.fr – Vous expliquez dans vos interventions, qui s’adressent pour près de la moitié d’entre-elles (40%) au monde agricole, que les antispécistes représentent une forme de radicalisation, qu’ils utilisent des méthodes de « distorsion sociale et éthique » et « d’idéologie culpabilisante », en ciblant particulièrement le mouvement L214. La cellule Demeter créée en octobre dernier a chiffré 14 498 faits « d’atteinte au milieu agricole » en 2019, soit +1,5%, dont 64,5% de « vols simples » et une hausse 23,3% de « destructions et dégradations » dans les exploitations agricoles. L’agribashing, dénoncé par la profession, les chambres d’agricultures et les syndicats agricoles et qui bénéficient aujourd’hui d’observatoires départementaux, est-il le responsable ?
Hervé le Prince, directeur de l’agence de communication NewSens – Il y a plusieurs types d’infractions, les vols sont très différents de la dégradation ou de l’intrusion. Depuis de nombreuses années, je regarde ce type d’association qui cherche à attaquer l’agriculture, en particulier aujourd’hui l’animalisme. Je vois bien que les intrusions dans les élevages concourent à un sentiment de dénigrement et de harcèlement dans la profession agricole, mais je cherche plutôt à décoder le poids du mouvement animaliste. Je pense qu’il devrait y avoir un débat sociétal rugueux, voire musclé, mais je m’oppose à une confiscation et à une manipulation du débat par des gens comme L214 qui se revendiquent welfaristes (réformistes soucieux du bien-être animal) sur les plateaux de France 2 et qui sont en fait des fondamentalistes antispécistes, qui revendiquent la fin de la souffrance sur la terre et la transformation du lion en animal vegan. Brigitte Gautière, Sébastien Arsac (co-fondateurs de L-214) sont des rédacteurs des cahiers antispécistes. Selon eux, pour éliminer la souffrance de la terre, il faudrait éliminer la prédation carnivore.
Il y a des organisations très structurées et stratèges et d’autres qui ne le sont pas du tout et sont plutôt dans une forme de clandestinité et de spontanéité. Quelque part, ces gens-là sont plus honnêtes intellectuellement que L214. C’est un cas d’école de développement et de structuration d’une ONG, ils sont stratèges et formés. Ils virent tous les gens qui peuvent nuire : William Burckhart parce qu’il faisait du porno chic avec sa copine, Estiva Reus parce qu’elle a rédigé le cahier sur le mouvement RWAS (Reducing Wild Animal Suffering), trop sulfureux. Ils ont des activités qui peuvent nuire à l’image de L214, qui n’a aujourd’hui rien à envier à une start-up de par son organisation. Cela dit, ils ont très bien compris qu’il fallait embarquer une part de vérité pour asseoir leur idéologie, c’est là où l’exercice de manipulation est très bien appliqué. Les images qu’ils montrent sont choquantes, mais l’interprétation qu’ils en font montrent qu’ils sont pour la disparition de l’élevage, des éleveurs et de la protéine animale dans l’alimentation. Ce marketing de la coolitude est insupportable quand on connaît leurs fondamentaux derrière. Quelque part, les plus extrémistes sont beaucoup plus condamnables, L214 est toujours à la limite du pointillé, c’est le pompier pyromane.
@qui.fr – L’abattoir Sobeval de Boulazac, en Dordogne, fait actuellement l’objet d’une enquête préliminaire lancée par le procureur de la République de Périgueux pour mauvais traitements sur les animaux suite à une vidéo diffusée par L214. Le ministre de l’agriculture Didier Guillaume a évoqué une inspection après avoir suspendu l’agrément de l’abattoir, qui avait mis en évidence des « dysfonctionnements ». L’opinion publique est secouée par ces vidéos, or pour vous on ne « devrait pas tout montrer et respecter les tabous sociétaux », dont la mort dans les abattoirs… L’agribashing, contre lequel le monde agricole s’organise, n’est-il pas en train de devenir un argument « valise » ?
HLP – L’alimentation a toujours été en mutation. Les gens sont conscients qu’ils achètent des produits sans trop avoir de doutes mais développent une défiance sur les pratiques. Il y a des débats sociétaux qui sont installés mais à l’intérieur de celui-ci, il y a des incohérences parce que ce sont des acteurs idéologiquement très marqués qui prennent la parole. Je regrette que ce débat ne soit pas plus apaisé et qu’on remette systématiquement en cause les consensus scientifiques.
Est-ce que les agriculteurs se sentent dénigrés ? A priori, il y a bien une réalité, on peut mettre le mot que l’on veut derrière l’idée. Le mot est ancré parce qu’il répond à quelque chose qui est vrai. Le philosophe Francis Wolff dit que « le lexique fait le combat ». Ceux qui se sont appelés abolitionnistes utilisent ce terme qui renvoie à l’esclavage et à la question de la domination de l’homme sur l’animal. L’agribashing doit trouver sa place parce qu’il exprime quelque chose de fortement ressenti par le milieu agricole.
@qui.fr – Vous qualifiez également l’utilisation des agriculteurs, notamment par la grande distribution dans leurs campagnes publicitaires ou leurs stratégies de « local-washing », de « hold-up de l’image », et dites que sur la communication, le monde agricole « part avec du retard » dans un débat sociétal déjà installé. Face à ce que vous dénoncer comme un « anthropomorphisme humain » et une « perte de lien à la terre », les agriculteurs doivent-ils tous devenir des communicants ?
HLP – Le problème, c’est que les français aiment leurs agriculteurs et que les agriculteurs se sentent mal-aimés. C’est dans ce creux là que se niche l’agribashing. Les agriculteurs devraient prendre conscience qu’ils ont une côte d’amour irraisonnée que n’ont pas les commerçants ou les artisans. C’est une opportunité dont ils doivent se saisir, mais ils pensent le contraire. Quand on a créé Agriculteurs de Bretagne en 2011, on a fait une étude qui a pointé cette idée que les agriculteurs pensent que les consommateurs ne les aiment pas. On a une contradiction à lever, mais il faut raisonner tout ça et prendre la parole face à un consommateur qui demande qu’on lui explique comment est fabriquée son alimentation. Je suis convaincu que c’est à l’agriculteur, point de repère et de confiance alimentaire, de prendre la parole. Pour ça, il faut les convaincre de leur mission, leur dire qu’ils doivent se réapproprier l’alimentation dont ils sont à l’origine. Demain, le consommateur français se rendra compte qu’il vaut mieux que son alimentation soit faite à côté de chez lui plutôt qu’importée d’ailleurs. L’alimentation est sans arrêt en mouvement. En 2012, on a fait une étude qui révèle que le local est à l’échelle de la région pour le consommateur breton. En 2019, ce périmètre a bougé et s’est réduit à 50 kilomètres maximum autour du consommateur….
On a désinvesti notre alimentation depuis des années, on va être obligé de réinvestir au sens propre comme au figuré. Moins de 14% du budget d’un ménage est dédié à l’alimentation, ça veut dire que des arbitrages sont faits et que les français préfèrent investir dans deux téléphones ou trois écrans plats plutôt que dans leur alimentation. Il faut investir financièrement mais aussi en connaissances, en informations. J’ai la faiblesse de croire qu’on est à ce moment là parce que les gens commencent à comprendre que la santé et l’alimentation sont liées. C’est là que doivent se nicher les débats sur les produits phytosanitaires, le bien-être animal, la production industrielle alors qu’on va être 11 milliards de personnes en 2100 ? Le problème, c’est qu’aujourd’hui ces débats ne sont pas sereins parce qu’ils sont captés par les extrêmes. Le fait de faire un site « animal et société » et de noter les élus ne participe pas à un débat serein. L’agriculture est en mutation. Le broyage des poussins ou le claquage des porcelets, en tant que consommateur, qui peut être pour ? Ces pratiques, on en a un peu honte, changeons-les. Je préfèrerais juste que ce soit la profession qui la change (…) On ne sera pas tous égaux face à la communication du côté des agriculteurs, mais à nous d’identifier ceux qui ont envie d’y aller et d’attendre l’effet d’entraînement provoqué par la communauté.