Colère est une œuvre de fiction en même temps qu’un intense reportage, sur plusieurs années, autour d’agissements mafieux.
L’auteur fait à nouveau vivre les personnages emblématiques de ses romans précédents : deux flics, l’un en activité (Miki), l’autre à la retraite (Valent le Barge) et un journaliste (Pavol Schlesinger). Et on a beau les connaître, on découvre à nouveau, par la grâce de sa puissance rageuse d’écriture, les fondements de leurs démarches pour porter le fer et fouailler longuement une société du crime. Le journaliste le fait avec l’inconscience et l’insouciance de celui qui est persuadé du bon droit de ses enquêtes, dut-il en subir les conséquences dans un crescendo inquiétant : menaces, agressions diverses, sévères tabassages… Miki lui, héros du récit, applique le vieux principe que Dashiell Hammett -l’aigle sans partage dans l’univers du roman noir américain – mettait déjà en œuvre dans son célèbre Moisson Rouge : monter les uns contre les autres les chefs des différentes fractions criminelles. Il le fait pour venger la mort d’un collègue, flic intègre (plus que lui) dont l’exécution a été maquillée par les sbires en accident.
Le décor planté par l’auteur nous fait découvrir Košice, la seconde ville de la Slovaquie. Ceinturée par la chaîne d’organisations criminelles qui prospèrent sur les frontières – avec l’Ukraine pour le trafic de migrants, avec la Pologne pour toutes sortes d’affaires menées par Yéti le boss et Casse Dalle son redoutable tueur, la ville est sous la coupe d’un ministre d’État. Miki nettoie lentement, tissant sa toile de rade en gargote soigneusement décrits ; il est l’homme de tous les excès : alcool, tabac, castagnes impressionnantes dont il ressort évidemment vainqueur. Voici un dialogue avec une médecin _seul personnage féminin dans ce monde de brutes masculines_ :
« – Tu fumes beaucoup trop lui dit-elle de sa plus belle voix de médecin.
– Oui
– Tu veux pas diminuer un peu ?
– Non
– Mais comme ça tu vas pas durer longtemps.
– On doit tous finir un jour.
– C’est vrai mais personne n’est aussi pressé que toi.
– Je ne suis pas pressé c’est ma vitesse normale. »
À son comportement de brute, il allie une compréhension des changements violents du pays passé en peu de temps _on est dans les années 1990_ du régime des républiques socialistes de l’Est à l’imitation du modèle démocratique de l’Ouest : « Dans l’État policier, c’est la police qui organiser le crime, en démocratie c’est le crime qui organise la police. » Et encore : « Soudain la paix s’était faite, il n’y avait pas eu assez d’argent pour tout le monde. De toute manière c’en est fini du racket. Ça ne rapporte que des clopinettes mais un tas de problèmes. Il faut marcher avec son temps. Les taxes, la TVA, voilà l’avenir…. La décennie tumultueuse des années 90 s’achevait et il ne verserait pas une larme sur elle. »
Action, réflexion tous les beaux aperçus d’un polar politique…