Ces consultations citoyennes qui veulent réintéresser les citoyens à l’Europe


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Temps de lecture 9 min

Publication PUBLIÉ LE 20/06/2018 PAR Romain Béteille

L’art de la méthode

C’est une consultation citoyenne qui a la très lourde charge de passer après la débandade du référendum de 2005 ayant conduit au traité de Lisbonne. En avril dernier, après les souhaits énoncés par le Président Macron lors de son discours au Parlement Européen à Strasbourg, les 26 États Membres de l’Union Européenne ont donc commencé à plancher sur l’idée de nouvelles consultations démocratiques, hors période électorales (elles seront terminées bien avant le début des élections), au travers, pour la première fois, d’un socle commun avec une méthode qui veut à tout prix jouer la carte de la transparence, pour éviter le plus possible la défiance : un conseil d’orientation et un comité de surveillance (accueillant un représentant de chaque partie politique présent à l’Assemblée Nationale), des restitutions effectuées par les participants, dès règles sur le temps de parole (plus de la moitié du temps de la consultation), une charte et un calendrier commun à tous les pays organisateurs. Voilà pour les principes de base. Comme souvent, la réalité est plus nuancée. 

Quelques semaines après ses débuts en France (le 17 avril dernier), le premier constat effectué par Arnaud Magnier, Secrétaire général des consultations citoyennes, tire une leçon : « pas simple de convaincre tout le monde ». Pour l’instant, l’essentiel des participants sont soit des collectivités et des élus ou des associations. 150 consultations se sont déjà déroulées un peu partout sur le territoire (que ce soit des grandes réunions de chefs d’entreprises pilotées par les CCI locales, engagées activement dans l’opération, ou des petites réunions avec entre vingt et trente participants organisées par des associations) et on donné lieu à environ 80 restitutions, dont des tendances se dégagent déjà. « Globalement, il y a une vraie attente de la part de beaucoup de citoyens d’une Europe qui les protège davantage contre les risques de la mondialisation, notamment, il y a une vraie angoisse sociale. On attend aussi beaucoup de l’Europe qu’elle soit l’échelle de résolution des grands défis du monde à venir, autant d’un point de vue environnemental que social. À l’inverse, la question migratoire n’obsède pas les gens (et pourtant…). Globalement, une majorité de participants manifeste quand même beaucoup d’inquiétudes sur la question des types de déplacement intra-européens, ils ont le sentiment que ça va se compliquer et que plus rien n’est garanti. Ils s’intéressent autant à la question des droits à la consommation qu’à celle de l’usage des produits chimiques ou du salaire minimum et du dumping social. L’affaire du plombier polonais n’est jamais loin, de même que le traité de Lisbonne… La question qui nous est sans cesse renvoyée, c’est  : à quoi ça sert ? ». 

Virage serré

Question légimite puisque les consultations en question s’arrêtent à la fin du mois d’octobre, pour respecter un calendrier très serré et correspondre aux restitutions qui seront effectuées lors d’un futur Conseil Européen en décembre. Et que les débats, qui portent sur des questions extrèmement vastes, doivent être encadrés par une organisation au budget plus que contraint. « J’ai des ressources budgétaires insignifiantes (deux millions d’euros) qu’on me demande instamment de ne pas dépenser… Ca laisse le mois de novembre pour organiser une restitution publique avant le Conseil Européen du 14 décembre à Bruxelles. Ça correspond quand même à une vraie demande des gens de débattre autour de l’Europe dans un cadre qui ne soit pas institutionnalisé. Reste qu’il faut six mois pour préparer tout ça avant d’appuyer sur le bouton. Michel Barnier, quand il a lancé les dialogues citoyens en 1995 lorsqu’il était Ministre des Affaires Européennes disposait de l’équivalent de dix-sept millions d’euros. Ce n’est plus pareil, nous sommes dans une seringue même si la mission reste passionnante », commente Arnaud Magnier.

Des ambitions européennes, oui, mais dans un mouchoir de poche, calendrier hors électoral oblige. Pourtant, les organisateurs veulent à tout prix éviter les craintes des eurosceptiques. « Cette fois ci, on va écouter les citoyens. Ce que nous demandons à tous les porteurs de projets, que ce soit des enteprises, des syndicats, des collectivités ou des associations, c’est de laisser les citoyens s’exprimer. (…) Il y a une vraie suspiscion de la part des citoyens ou des porteurs de projet qui peuvent avoir la crainte que ça ne serve pas à grand-chose. Mais on essaye de les rassurer en leur disant que le résultat des consultations citoyennes se fera à travers une restitution nationale dans laquelle personne n’interviendra, ce sera exactement le produit de ce que les consultations citoyennes ont donné sans interférences ». Le moins de politiques possible dans les réunions, donc, et dans le meilleur des cas un micro avec lequel tout le monde peut porter sa voix.

Tout le monde, y compris même ceux qui considèrent l’Europe comme une impasse. La difficulté évoquée par Arnaud Magnier, c’est principalement celle de la mobilisation (d’autant que les deux mois d’été vont certainement voir quelques chaises se vider). « On ne peut pas dire aujourd’hui ce à quoi les consultations citoyennes vont aboutir. On y trouve déjà des pro-européens comme des gens très critiques sur l’Europe, soit parce qu’ils critiquent ses fondamentaux, soit parce qu’ils ont très envie qu’elle change et ont des propositions à faire. Ce n’est pas des réunions d’euro-béats, on cherche à ce que le débat soit le plus vivant possible. La question européenne est quand même très présente chez les extrêmes », souligne ce dernier. « Quand on a lancé la création du conseil de surveillance, les anti-européens ont été les premiers à répondre alors que les grands partis de gouvernement qui sont des pro-européens historiques ont mis beaucoup plus de temps. Les anti-européens étaient partant pour venir au débat, ont dit qu’ils avaient des positions claires et argumentées à fournir. Dans la réalité, la mobilisation concrète sur tous les petits évènements qui se font n’est pas si significative que ça. Il y a donc un petit risque d’entre-soi, ce qui ne satisferait pas aux conditions de l’exercice. Ce que les pro-européens ou anti-européens pensent, on le sait depuis toujours. Notre mission, c’est d’essayer de comprendre ce qu’il se passe entre les deux, de parler à des gens qui ont un intérêt pour l’Europe mais qui n’ont jamais trouvé d’occasion de venir participer à un débat pour diverses raisons. Ce sont des gens à qui il faut offrir d’autres modalités de participation sur la vie civique européenne. Ces gens ne sont pas faciles à trouver, les gens qui participent déjà sont enthousiastes mais il pourrait y en avoir beaucoup plus ». 

Des élèves hétérogènes

Ce constat est aussi à faire en fonction des pays dans lesquels ladite consultation se déroule. « Il y a des pays où ca démarre plus calmement mais ceux qui sont en mesure de donner quelques éléments insistent sur le fait que la question sociale est majeure. il y a des pays dans lesquels la question de la gestion des flux migratoire se pose de façon plus évidente qu’en France. Les italiens ont démarré fort mais stagnent pour le moment, les roumains vont assurer la Présidence en exercice l’année prochaine donc c’est pour eux un très puissant moteur. Les Pays-Bas ont une réticence majeure. De l’autre côté, les espagnols, par exemple, sont très actifs, les irlandais avaient déjà démarré l’exercice il y a un an sans attendre la France, et les allemands s’y mettent même s’ils n’étaient pas immensément fans de l’idée au départ. Par contre, ça ne décolle pas très fortement en Pologne. On s’y attendait un peu, c’est quand même très connecté à la situation politique des pays et à la nature des débats qui s’y déroulent. On s’est battus pour que le point de départ de cette aventure soit un panel citoyen qui fixe le cadre de délibération, on ne voulait pas que tout le projet soit fragilisé par le fait que ce soit les directions de communication qui fixent le cadre. 98 citoyens des 27 pays ont travaillé pendant trois jours à Bruxelles sans aucune interaction avec aucun influenceur. Ils ont élaboré une grille de quatorze questions qui ont été traduites et mises sur le site Europa. La société civile hongroise a été la première, quantitativement, à répondre au questionnaire, ce qui échappe à la loi statistique ». Et pourrait être motivé (à charge de la Comission Européenne de le vérifier) par des raisons non-avouées. « Ils forment, à ce stade, 30% des réponses à eux seuls et 80% des réponses sont en anglais. La Commission pourrait se demander dans quelques semaines si cette mobilisation en anglais, même si c’est trop tôt pour en tirer des enseignements, n’est pas une frange de la société civile hongroise manifestant sa désapprobation vis à vis du pouvoir en place. La Comission fera un bilan d’étape mi-juillet et va aussi produire des éléments d’analyse qualitatif sous forme sémantique pour voir la nature du contenu des réponses ». 

Des « labels » originaux

Au final, une vingtaine de pays seraient donc « très lancés dans l’opération, dont une dizaine aussi enthousiastes que nous. En Nouvelle Aquitaine, plusieurs dates sont déjà arrêtées pour des consultations citoyennes sur des sujets précis. On citera par exemple une réunion à Agen le 29 juin autour de la vaste question de la protection des données (au moment où la commission juridique s’apprête à statuer sur la question des droits d’auteur sur internet…), une seconde le 10 juillet à Bergerac centrée sur les politiques publiques en matière de pesticides dans un cadre européen (plutôt courageux après la débacle du glyphosate…), une autre consultation citoyenne « transfrontalière » organisée par la CCI de Bayonne les 18 et 19 septembre (entre citoyens du Pays-Basque français et espagnol) autour de questions locales encore non définies, ou encore un temps d’échange autour de la question de l’emploi en Europe le 27 septembre et sur la mobilité des jeunes le 16 octobre, toutes deux à Poitiers (sans oublier les Erasmus Days à Bordeaux en octobre). En tout, les organisateurs dénombrent entre trente et quarante nouvelles propositions par semaine. Enfin, il est à noter que le Secrétariat général tente par tout les moyens de sortir de l’effet dogmatique d’un débat autocentré, en incitant à l’émergence de nouveaux moyens de débats, soumis à l’approbation d’un « label consultations citoyennes ». Des évènements ou projets originaux émergent déjà.

Sans faire de liste à la Prévert, évoquons une volonté du « Mouvement des ETI »  (Entreprises de taile intermédiaire), d’organiser une rencontre autour de 200 responsables de sociétés européennes pour avoir « un vrai retour d’expérience des patrons sur ce qui ne marche pas pour leurs sociétés dans la norme européenne »… dont ni le lieu ni la date n’ont encore été déterminés. L’association d’étudiants d’ESCP Europe (cinq campus) compte, elle, apporter des vidéo-témoignages des soixante dix nationalités présentes sur les campus et organiser plusieurs vagues de consultations et de débat dont un sur les cinq campus en simultané par visio-conférence en octobre, avant d’assister à un séminaire en commun à Bruxelles où les étudiants seront hébergés par le Parlement Européen. Enfin, côté culture, Arnaud Magnier énonce un projet d’une troupe de théâtre d’Aix-en-Provence ayant pour ambition « d’instruire le procès de l’Europe et d’organiser un débat avec la salle » ou encore une réflexion sur « l’optimisation des files d’attente lors des journées du patrimoine » (autrement dit, essayer de vous faire vous intéresser à l’Europe pendant que vous patientez dans la queue). On le voit, les modalités de cette vague de consultations d’un nouveau genre sont aussi diversifiées que l’approche qui en est faite même si, pour l’instant, elle peine à mobiliser les indécis (sans doute les mêmes que dans les urnes). « Beaucoup de porteurs de projet potentiels ont besoin d’être rassurés. Beaucoup ont peur d’un risque d’instrumentalisation politique par les autorités publiques ou le gouvernement. Mais il n’existe pas, parce que personne ne vous dit quoi mettre dans cette consultation ni comment elle doit se terminer. Je n’ai aucun exemple d’une consultation citoyenne qui aurait été portée par une municipalité et aurait dérapé (…). Cette fois-ci on écoute, on ne prêche pas ». Ce que le gouvernement fera de ces restitutions, aussi nombreuses soient-elles, en revanche, ne fait pas partie du contrat, et il faudra sans doute attendre début 2019 pour y voir un peu plus que de simples contributions.

L’info en plus : pour consulter l’ensemble des contributions déposées à ce jour, rendez-vous sur le site www.touteleurope.eu.

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