Le Grand Entretien – Laurence Rouède face au foncier régional


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Temps de lecture 10 min

Publication PUBLIÉ LE 19/11/2019 PAR Romain Béteille

3000. C’est le nombre d’hectares d’espaces naturels, agricoles ou forestiers, qui disparaitraient chaque année pour laisser place à de l’urbanisation en Nouvelle-Aquitaine, ce qui fait d’elle la première région consommatrice d’espace de France comme le précise un (très dense) rapport du CESER (Conseil Économique Social et Environnemental Régional) paru en octobre qui détaille au travers de 16 propositions des moyens de lutter contre cette artificialisation galopante. Face à une attractivité et une croissance démographique amenées à grimper encore dans les prochaines années, la collectivité a décidé de prendre les devants pour tenter d’enrayer la course.

En juin 2018, elle a voté sa stratégie foncière en fixant quatre axes principaux, dont celui visant à « Préserver le foncier naturel, agricole et forestier et le lien ville/campagne ». Le 6 mai dernier, le conseil régional a adopté (après abstention des écologistes) son projet de SRADDET (Schéma Régional d’Aménagement, de Développement Durable et d’Égalité des Territoires) qui fixe un objectif chiffré ambitieux : diviser par deux la consommation foncière régionale à horizon 2030. En juillet, elle a complété ses objectifs en présentant NéoTerra, sa feuille de route dédiée à la transition écologique et énergétique. Parmi les 86 « fiches actions » qui la composent, on trouve le souhait de « faire des friches une opportunité de sobriété foncière et de développement économique », autrement dit de « structurer une organisation visant à réduire significativement les friches urbaines afin de contribuer à la réduction de l’étalement urbain », en créant notamment un « centre de ressources sur le foncier » qui apportera une ingénierie technique, financière et juridique.

Ce mardi 19 novembre au sein de l’hémicycle néo-aquitain à Bordeaux s’est réuni le club « Observation et stratégie foncière » autour d’une journée de travail baptisée « De l’ambition pour nos friches ». À cette occasion, nous sommes allés interroger Laurence Rouède, conseillère régionale de Nouvelle-Aquitaine déléguée à l’urbanisme et au foncier, sur les grandes orientations et les opérations plus immédiates que la collectivité souhaitait mettre en place pour traduire ces engagements écrits en réalités dont elle a accepté de dessiner les pistes.

@qui.fr – Avec la stratégie foncière, le SRADDET et NéoTerra, la Nouvelle-Aquitaine a assez clairement donné le cap à suivre en matière de foncier : aider plus pour construire moins…

Laurence Rouède, conseillère régionale déléguée à l’urbanisme et au foncier – La région a une compétence en matière d’aménagement du territoire. À travers ça, on pense mobilité, logement, attractivité, déplacement, numérique, santé, formation, des sujets qui vont organiser la vie quotidienne des habitants. On sait qu’on est une région très attractive qui reçoit chaque année de nouveaux habitants (plus de 500 000 habitants supplémentaires d’ici 2030 selon le rapport sur la stratégie foncière). Seulement, ces derniers s’équilibrent assez mal sur le territoire : ils sont très concentrés sur les grandes aires métropolitaines ou le littoral. On travaille donc à un équilibre territorial, notamment en tenant compte des contrats de territoire qui prennent en compte de certains territoires plus en déprise (54 contrats, finalisés d’ici la fin de l’année). L’un des sujets sur lesquels nous avons décidé de nous investir, c’est la préservation des terres agricoles, naturelles et forestières. Ça concerne la qualité de vie et notre capacité alimentaire future, que ce soit pour l’accès aux ressources et à l’eau où pour notre capacité à produire des biens alimentaires. On sait aussi qu’on a des secteurs dans lesquels on a beaucoup artificialisé avec des conséquences en matière d’imperméabilisation du sol, de ruissellement, de bétonnage et ça renforce la puissance des éléments climatiques en cours de changement. On a donc décidé de s’engager contre l’étalement urbain et pour la préservation des terres, regarder comment on peut changer de modèle. On a inscrit ce sujet dans la stratégie foncière et le SRADDET en demandant notamment une réduction de 50% de la consommation foncière à horizon 2030, et dans NéoTerra avec des fiches action qui viennent en complément avec les autres dispositifs de transition qu’on y trouve sur la ressource en eau, les mobilités vertes ou les énergies renouvelables.

@qui.fr – Vous préconisez un changement de modèle, notamment pour la préservation du foncier agricole. Comment se traduit cette nouvelle stratégie sur le terrain et dans quelle mesure serez-vous attentifs aux pratiques des collectivités ?

L.R – Pour préserver le foncier agricole, il faut déjà bien le connaître et changer de vision en termes d’aménagement du territoire, en considérant que c’est une ressource qu’il faut d’abord chercher à préserver. Au lieu d’être dans une vision assez consommatrice comme c’est le cas actuellement, surtout dans un territoire rural ou en déprise, il faut réfléchir à réduire son emprise à chaque fois que l’on réfléchit à un projet. L’idéal, c’est de se dire dans un premier temps que tout projet d’aménagement doit se réfléchir en amont pour potentiellement être placé dans un endroit déjà artificialisé, soit en l’utilisant mieux (double utilisation du foncier, comme par exemple les panneaux photovoltaïques au-dessus des parkings ou sur les toits), soit par une reconquête de ce qui ne sert plus (friches, bien vacants, biens sans maître). C’est en faisant du foncier une ressource en amont des projets que l’on va pouvoir changer ce rythme. Ces dernières années, on est sur un rythme de consommation foncière qui fait qu’on est devenu la région qui artificialise le plus en France, d’où l’idée d’engager les autres collectivités à inscrire dans les documents d’urbanisme la sobriété foncière. Le schéma nous permet de donner des orientations et de prendre des mesures d’accompagnement. Après, on insuffle l’idée mais on ne regardera pas projet par projet, ce n’est pas notre rôle. Par contre, on va mettre en place des dispositifs particuliers. Quand on créé un nouveau règlement d’intervention sur la revitalisation des centres-villes et des centres-bourgs, c’est aussi pour dire qu’on ne veut pas aller vers l’étalement urbain. Quand on inscrit dans le SRADDET l’idée que l’on veut mettre un terme au développement des commerces de périphérie, c’est la même idée. Nous-mêmes, il va falloir que l’on soit plus vertueux sur nos propres projets au niveau de la sobriété foncière.

@qui.fr – Vous allez mener un travail assez important dans les prochaines semaines : un recensement de toutes les friches présentes dans les intercommunalités de Nouvelle-Aquitaine. Pour quel usage ?

L.R – C’est un travail transversal au sein de plusieurs services de la région : le développement économique, l’aménagement du territoire et l’urbanisme/foncier. On a déjà commencé la discussion avec les Établissements Publics Fonciers présents en Nouvelle-Aquitaine pour essayer de repérer des friches sur lesquelles on pourrait venir en accompagnement. De façon générale, il nous a semblé important d’écrire à l’ensemble des intercommunalités pour leur demander quelles sont les friches sur leur territoire dont elles ont connaissance et qui pourraient être intéressantes, soit en matière de réhabilitation, soit de renaturation puisqu’un terrain en friche peut aussi être dépollué et rendu à la nature. La lutte contre l’artificialisation passe aussi par-là : on pourra renaturer des espaces dans les grandes agglomérations, on pourra aussi retrouver des mètres carrés et des hectares d’espaces agricoles et naturels. On va donc solliciter les intercommunalités pour qu’elles nous apportent leurs connaissances et essayer de créer cette donnée partagée des friches de Nouvelle-Aquitaine, qu’elles soient industrielles, commerciales, militaires, ect. Il y aura un partage collectif, mais il faut d’abord construire un référentiel.

@qui.fr – La Nouvelle-Aquitaine s’est adossée, en l’abondant financièrement de 1,2 millions d’euros, à un appel à projet national et annuel de l’Ademe (Agence De l’Environnement et de la Maîtrise de l’Énergie) sur la dépollution des friches. Que va permettre ce financement, et ne trouvez-vous pas que le règlement de cet appel à projet est assez contraint dans ses critères d’attribution ?

L.R – Ces 1,2 millions d’euros vont pouvoir financer des projets de dépollution de sols et de friches en Nouvelle-Aquitaine. L’appel a projet lancé par l’ADEME est national. En gros, ils ont un lauréat par région qu’ils accompagnent. Il nous a semblé intéressant de nous adosser à cet appel à projet, on prend les mêmes critères, l’expertise de l’ADEME et on vient rajouter 1,2 millions d’euros qui seront réservés à des projets néo-aquitains, ce qui va nous permettre d’accompagner trois ou quatre autres projets de collectivités en plus de celui qui sera choisi. Ces critères sont contraints, on en est conscients. En plus, la dépollution biologique prend plus de temps, elle ne répond donc pas immédiatement à une reconversion de friches très rapide. On sait de façon générale que ça peut prendre du temps, même pour des exemples très bien pensés comme à La Rochelle ou Surgères montrent qu’il faut six à huit ans pour remettre en opérationnalité des terrains qui étaient en friche. C’est un premier pas, il faudra aller plus loin.

@qui.fr – En parlant d’aller plus loin, la collectivité va également s’adosser à une expérimentation de la Safer sur la résorption des biens sans maître sur des communes des territoires Périgord/Limousin, Grand Bergeracois et Grand Cognac. À quoi va servir cette expérimentation ? Son but-est il de dessiner un futur modèle voué à s’étendre à tout le territoire ?

L.R – On octroie 10 000 euros à la SAFER pour qu’elle nous accompagne. Les SAFER ont une réflexion sur les « biens sans maître », qui sont des biens dont les propriétaires sont décédés, ont disparu ou sont inconnus. Il y a un travail de recensement à faire et un travail juridique parce que la loi prévoit que les biens sans maîtres doivent, lorsqu’ils sont repérés et qualifiés, s’intégrer dans le patrimoine des communes. Ça nous a paru intéressant de voir si on pouvait accompagner les communes à avoir la connaissance des biens sans maîtres qui sont sur leur domaine et comment elles pourraient les récupérer et les transformer, soit pour les remettre en agriculture ou en espace de renaturation, soit pour un projet quelconque. On veut insuffler une forme de contrainte, ce sont des critères nationaux mais on va donner à travers le SRADDET prescription sur la lutte contre l’étalement urbain mais il faut aussi en parallèle donner des moyens aux collectivités de développer des projets. Ces études spécifiques (recensement et étude juridique) avec la SAFER sera donc déployées sur quelques communes. Elles viseront à permettre aux communes de récupérer ces biens, voire même de les accompagner dans leurs projets de requalification. On expérimente, c’est une première étape, on regarde si les collectivités trouvent que c’est intéressant et arrivent à faire émerger des projets sur cette base, auquel cas on pourra étendre cette ingénierie à l’ensemble des communes régionales qui le souhaiteront.

@qui.fr – En 2019, la région a lancé un appel à projet annuel sur l’innovation foncière pour « accompagner les initiatives concourant à la sobriété foncière ». On note un projet de réhabilitation par mycoremédiation (utilisation des champignons pour l’épuration des sols), ou encore le démantèlement d’une friche en centre-bourg sur la commune de Garein (Landes) parmi les six lauréats. La région finance dans la majeure partie des cas environ la moitié du coût total. Renouvelerez-vous cet appel à projets en 2020 ? Sur quoi portera-t-il ?

L.R – La thématique de cette année était la double utilisation du foncier. On vient accompagner des projets, en investissement et/ou en fonctionnement pour susciter de façon assez large (bailleurs sociaux, collectivités territoriales, ect.) de l’innovation foncière, de la recherche de bonnes pratiques en matière de valorisation du foncier dans une deuxième fonction pour éviter de consommer du foncier supplémentaire. On a six lauréats cette année sur des sujets divers. On accompagne par exemple la commune du Porge qui a fait beaucoup d’efforts en matière de conservation du littoral. On va faire perdurer cet appel à projet chaque année, on réfléchit pour 2020 à l’orienter sur le foncier transitoire. Sur les friches, les habitations ou les commerces vacants, on va chercher, en attendant de pouvoir leur donner un nouvel usage, à pouvoir les utiliser de façon transitoire. Cet urbanisme temporaire se développe.

@qui.fr – Après le fonds Alter’NA pour aider au développement d’innovations en viticulture et avant la création d’un fonds d’investissements dédié aux start-ups, la Nouvelle-Aquitaine a commencé à réfléchir à un « fonds d’intervention sur les friches. Que peut-on en attendre et à quelle échéance ?

L.R – On y réfléchit. Certaines régions l’ont déjà fait mais en général ce sont des régions qui avaient beaucoup de friches industrielles, donc plutôt dans le Nord, le Grand-Est ou la région Rhône-Alpes. Elles ont réfléchi à monter des fonds friches pour accompagner des collectivités, des investisseurs ou des aménageurs à la reconquête des friches parce que les requalifier coûte cher. On y travaille de façon partenariale. On sait que ça demanderait de gros investissements, il faudrait que l’État et des fonds européens soient mobilisés de même que l’ensemble des opérateurs fonciers pour voir comment on pourrait accompagner des collectivités à se sortir de situations compliquées avec des friches (en cœur de ville comme en périphérie) qu’elles ont depuis des années et auxquelles elles n’arrivent pas à redonner une vie nouvelle. Les EPF travaillent déjà sur ces sujets et accompagnent déjà les collectivités mais ce sont des processus très longs et ça ne peut pas être le seul sujet d’une commune, d’une intercommunalité ou d’un EPF. L’idée est donc de voir si cela pourrait avoir du sens que la région investisse. C’est un travail à venir dans les deux ans qui viennent.

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