AJHaG : de la rupture à la confiance


AJHaG
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Temps de lecture 5 min

Publication PUBLIÉ LE 24/11/2015 PAR Joséphine Duteuil

L’Association Jeunesse Hauts de Garonne a plusieurs cordes à son arc. Implantée sur Cenon, Floirac et Lormont, elle développe, au fil des actions, une démarche alternative au travail social en milieu fermé aux valeurs fortes, basée sur le travail de rue, la libre adhésion et la (re) construction du lien social en milieu urbain. Par la création de projets collectifs à supports culturels ou sportifs, l’accompagnement des démarches administratives, l’aide aux démarches d’insertion professionnelle, mais aussi par la mise en place de chantiers éducatifs ou d’un soutien psychologique, elle assure une fonction de soutien pour des jeunes qui ne savent souvent plus vers qui se tourner. Rencontre avec les éducateurs d’une équipe pas comme les autres.

Créer des hommes libres

Pour Yamina, la motivation première de la structure est de travailler à l’émancipation des personnes. Fidèle aux valeurs d’humanisme, de responsabilisation et de laïcité qu’elle défend, elle se donne pour objectif d’aider les jeunes pris en charge à « se construire eux-mêmes, et construire une vie qui leur soit satisfaisante ».

En tant qu’association de prévention spécialisée, l’AJHaG lutte contre la marginalisation et la rupture sociale en fonction d’un certain nombre de principes prédéfinis. Sans mandat individualisé contraignant, elle intervient auprès des jeunes qui le souhaitent, dans une optique de libre adhésion, pour la durée de leur choix et leur garantit l’anonymat. Libre à eux de mettre fin à la relation quand ils le souhaitent.

Alors que les structures sont en général dans une démarche d’accueillir, l’AJHaG fait le choix d’aller chercher les jeunes là où ils sont, sur leur lieu de vie. Une stratégie complémentaire, qui dessine bien souvent avec les populations des relations d’un autre type. Du travail de rue, qui représente au moins un tiers du temps de travail des éducateurs, naît une interaction avec les habitants du quartier dans son ensemble.

À pied, sous tous les temps

Comment débarque-t-on dans un quartier, quand on vient pour aider ? « On arrive à deux, généralement à pied » raconte Céline éducatrice à Cenon depuis 8 ans. « On va à la rencontre des groupes visibles des jeunes, des vieux, des ados, des mamans. On dit bonjour, et on revient régulièrement. Sous tous les temps »

À Palmer, Alpilles — Bois Fleuri ou Beausite, l’AJHaG est presque devenue un élément du décor. Les gens savent qu’ils sont là. « Certains viennent tout le temps au local de l’équipe, pour rien de spécial » reprend Céline « Boire un café, discuter de l’actu, bavarder. Ce n’est pas grand-chose, mais ce n’est pas rien ». Et même ceux qui jouent l’hostilité finissent par l’accepter. Elle rappelle à ses collègues l’histoire d’un homme qui passait les voir tous les jours pour leur dire qu’ils ne servaient à rien. « Mais au final, c’était lui qui venait nous voir, » s’amuse-t-elle. « Et ça n’avait pas l’air de le gêner tant que ça de passer tous les jours »

Cette attitude informelle fait la richesse et la fragilité de la démarche. Nouer des liens solides demande du temps. « La libre-adhésion, ça suppose une relation de confiance, et ça, ça ne s’invente pas. Ca se construit tous les jours et ça n’est jamais acquis. Ça peut être détruit à tout moment par une maladresse ou un faux pas ». « Pour que ça décolle, ça met du temps » confirme Caroline, « C’est à la fois passionnant, et très frustrant. Déstabilisant. C’est un lien très, très ténu »

Parmi les supports d'actions utilisés par l'AJHaG: les chantiers éducatifs, ici une marre et un jardin partagé

 « Nous, on voudrait réparer »

 « Je dis souvent aux jeunes que c’est plus difficile de trouver du travail que de travailler » reprend Pauline. La formule pourrait faire rire, mais elle est bien sérieuse. L’insertion professionnelle des jeunes est un problème global ; ici, il se double souvent d’un décrochage scolaire ou de discriminations à l’embauche qui font de la stabilité offerte par le travail un objectif difficile à atteindre.

Les préjugés et le racisme sont eux aussi bien réels. La force des éducateurs de l’AJHaG tient à la justesse avec laquelle ils choisissent d’aborder le problème. Ils ne le cachent pas, mais nuancent : « Beaucoup de jeunes y sont confrontés. Après, ils sont plus ou moins adroits dans leur manière de réagir. Certains sont plutôt fatalistes, d’autres plutôt révoltés. Chez quelques-uns, il y a de la victimisation, et ça sert d’excuse. Il y en a d’autres que ça aide, et qui en font un moteur ». « Notre métier », ajoute Caroline, « c’est de faire le tri dans les discours, de décrypter ce qui se joue et ce qui ne se joue pas vraiment »

« Après, de plus en plus, on n’a pas de solution. Pour aider quelqu’un à régler des problèmes de misère, de santé, d’insertion professionnelle, c’est souvent… plus que compliqué. ». Céline mentionne des dispositifs saturés et des listes d’attente qui, mois après mois, s’allongent « Parfois, on doit dire aux jeunes qu’on ne sait pas. C’est difficile d’assumer de renvoyer ça »

 « Lui c’est une tête, il a le niveau avocat »

Les difficultés sont également à chercher dans la confiance des jeunes en l’avenir… et en eux-mêmes. En leur rappelant que d’autres voies sont possibles, les éducateurs opposent un autre discours aux complexes d’infériorité de jeunes qui, « pour beaucoup, ne s’autorisent pas à rêver ». Les préjugés et les habitudes qui veulent qu’« Ici, toutes les filles c’est esthéticienne, et tous les garçons c’est maçon » sont tenaces.

Outre le fatalisme d’ados qui, selon Caroline, « sont désillusionnés à 10 ans », c’est souvent la méconnaissance des opportunités réelles qui fait obstacle. « Pour les boulots, il y a des modes. En ce moment, c’est grutier, et banque. Et peintre en aéronautique, aussi. Parce qu’il y en a un qui a fait ça, et ça a bien marché, donc maintenant ils veulent tous faire pareil. Mais en dehors de ça, il y a une vraie naïveté chez ces jeunes. Je les entends dire “Lui, c’est une tête, il a le niveau avocat”, mais moi je leur dis, “Y a pas de niveau avocat. T’es avocat ou tu l’es pas, c’est tout” » s’amuse Abdoulaye

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Parmi les supports d'actions utilisés par l'AJHaG: les actvités sportives comme facteur d'émancipation

 Oser partir

Comme ses collègues, il s’attache à lutter contre la vision enfermante de jeunes qui finissent toujours dans les mêmes métiers et les mêmes quartiers. « Quand le tramway est arrivé, ils voulaient bosser au tram… Mais en bas de chez eux » plaisante-t-il, en reconnaissant cependant, très sérieux cette fois, une réticence très forte des jeunes à s’aventurer hors de leur quartier d’origine « Un peu aussi parce qu’on les a habitués à ça. C’est leur cocon »

Ces quartiers, les éducateurs de l’AJHaG, après des années de travail de rue (jusqu’à 20 ans pour la doyenne), les connaissent bien. « Le boucher, le café du coin, le voisin : ils sont habitués les uns aux autres, et solidaires. Cette vie de quartier peut être bonne ou étouffante selon leur regard, mais ce qui est certain, c’est que c’est une sécurité. » appuie Pauline. « Ils ne veulent pas le quitter, parce qu’ils y sont reconnus, ils y ont leur place ». À l’AJHaG donc de leur montrer qu’une vie différente est possible, y compris ailleurs.

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