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Ainsi lorsqu’il accueille une jeune femme, fille de la vieille dame sur le meurtre de laquelle il enquête : son débonnaire supérieur lui conseille de vérifier son identité, ce qu’Ogden n’arrive pas à faire, durant les 48 heures où il procède à des investigations en sa compagnie. Est-ce parce que, célibataire trentenaire, il est troublé par cette présence féminine, si proche de lui ? Elle est d’ailleurs logée chez la mère d’Ogden, et on peut soupçonner cette dame de voir là une occasion de trouver une prétendante au cœur de son fils. Mais d’autres indices peuvent accentuer le malaise de notre héros : c’est que les seuls pas dans la neige retrouvés autour de la maison de la morte sont les siens ; il est vrai qu’il était venu peu auparavant la mettre en garde contre l’utilisation irraisonnée de son pistolet. Déstabilisé par ces soupçons, Ogden s’interroge, et sa mère avec lui, sur ses doutes et le sens à donner à cette enquête, …
D’ailleurs dans l’affaire suivante, il oublie encore de vérifier l’identité d’une autre jeune femme ce qui risquera de lui coûte cher. Il est décidément incorrigible. Il n’a pourtant pas que des défauts : il est tenace et courageux, affronte des truands et la mort, comme il est normal dans tout bon polar qui se respecte.
Mais voilà : le diable de la dévalorisation de soi est lové au plus profond de son esprit. Et c’est une autre enquête que l’auteur superpose à la première : autour de l’identité d’un homme dont le père était Noir et la mère Blanche. Ogden s’interroge sur la mauvaise image que son père aurait eue de lui, « s’il avait su qu’il travaillait comme shérif adjoint dans ce comté de péquenauds bornés. » Plus encore, il savait que son père détestait les Blancs « mais pas au point de s’interdire d’épouser une Blanche…C’était dur pour un enfant de savoir que son père détestait une moitié de lui. » On dirait qu’Ogden se comporte comme un adolescent à la recherche de son identité, portant le deuil de son père et se réfugiant souvent chez sa mère. Il partage les joies simples de la pêche avec un autre flic un peu marginal comme lui ; or son père était pêcheur et le voilà à refaire inlassablement des mouches pour la pêche à la truite, faisant des rêves sur l’attente du poisson, comme un reflet trouble à sa quête policière.
Everett joue avec les codes de la narration policière : pour dire la marche labyrinthique vers le tragique de son personnage, son impuissance et peut-être sa duplicité (toutes les hypothèses restent ouvertes jusqu’à la chute), il a choisi une écriture presque neutre, sans s’interdire des pointes d’humour dans les dialogues. Tout est ouvert, comme une béance, souvent sa phrase libère comme un champ des possibles, une diversité d’interprétation : comme si dissimulé dans l’ombre même de son héros, le talent de l’écrivain redoublait le vertige de la lecture d’un bien étrange et fascinant univers de papier.