Le coup de projecteur historique est tout entier dans le titre de son roman. La ville de Marseille fut en effet l’épicentre, en 1973, d’une série d’agressions et de meurtres de travailleurs algériens, dans un contexte économique (la fin des « trente glorieuses » et la hausse du chômage) et politique (l’activisme d’une extrême droite et le poids des nostalgiques de l’Algérie française dans la police) particulier.
Le récit débute avec la montée de tension en ville suite à la mort d’un traminot tué par un déséquilibré, ressortissant algérien, et le meurtre d’un jeune maghrébin. C’est sur ce dernier crime que le commissaire Théo Daquin du SRPJ de Marseille mène ses investigations. Daquin, figure centrale de plusieurs romans de l’autrice est ici saisi dans son premier poste, durant lequel il s’est déjà illustré ( Or noir, édité en 2015, se passait déjà dans la cité phocéenne).Ce jeune officier de police judiciaire va devoir mener avec sa petite équipe une enquête quasiment clandestine, contre une partie de ses collègues policiers, corrompus ou dévoyés, mêlés au meurtre, et contre sa hiérarchie qui ferme les yeux ; il monte des « coups » à la limite inférieure de la légalité, cherchant aussi des alliés dans le monde journalistique ou judiciaire. On le voit passionnément attaché à son métier, ayant « soif d’aventure dévoyée, excitante avec péripéties et dangers ». Voilà pour la partie technique, policière du récit ; et parallèlement, l’auteur nous fait côtoyer les acteurs politiques du conflit, les travailleurs algériens regroupés dans un mouvement de défense et de lutte, le soutien de mouvements politiques français (dont les gaullistes de gauche) et de la Cimade, le travail de l’avocat et le combat pour la vérité de la famille de la victime… C’est ce double registre que Dominique Manotti déploie avec aisance et précision, dans une écriture qu’on se plaît à qualifier de cinématographique, tant l’emploi, par exemple, des verbes au temps du présent signifie temps de l’action et du mouvement, toujours. On laissera l’écrivaine conclure et expliquer sa démarche littéraire : « Les romans sont là aussi pour résister au déni et à l’oubli…il faut raconter [les faits] parce que les sociétés, comme les hommes, peuvent peut-être apprendre de leurs erreurs. Il faut d’abord qu’ils acceptent de s’en souvenir pour les regarder en face. Et le roman noir est là pour ça. »