Les éditons talençaises l’Arbre Vengeur ont eu la bonne idée de rééditer -et de faire retraduire par Marie Berne – un roman de ce grand auteur original du début du XXe, l’anglo-saxon Gilbert Keith Chesterton. Personnalité assez unique dans le monde des littératures policières, l’écrivain met en avant ce qu’un critique qualifiait de « féérie logique » dans ses fictions, dont les plus connues- postérieures à celle-ci- sont les enquêtes du père Brown, un pasteur des âmes catholique.
Ici le mystère se crée autour d’une société secrète qui veut dominer le monde, dont les sept membres portent chacun le nom d’un jour de la semaine, celui de Dimanche étant réservé à leur chef. Plus précisément, il s’agit pour ces individus qui portent haut la théorie de l’Anarchie de mettre en pratique « deux objectifs, d’abord la destruction de l’humanité, puis se détruire eux-mêmes ». Mais le ver est dans le fruit puisqu’un opposant frontal à ces théoriciens, Gabriel Syme, le héros de l’histoire, parvient à s’immiscer dans le groupe en se faisant élire comme…Jeudi. On apprend vite que le jeune homme est en fait un policier, sorte d’agent secret délégué au combat contre ce mouvement. Mais il n’est pas « simplement un détective qui se faisait passer pour un poète. C’était plutôt un poète qui était devenu détective. ». Peut-être est-ce sa conception poétique du monde qui donne au roman une tonalité particulière, jouant sur les lisières du fantastique pour asseoir sa force démonstrative. L’idée de forces négatives, qui tenteraient de régenter tout ou partie de la société du temps n’est pas nouvelle ; elle est à l’œuvre dans le roman feuilleton du XIXème, voire Balzac en France, Stevenson en Grande -Bretagne. Mais l’auteur n’insiste pas sur le caractère complotiste du projet ; c’est plutôt l’occasion de développer une doctrine farouchement conservatrice. Revenons à Syme : « Il était de ceux qui, assez tôt dans la vie, sont amenés à adopter une attitude extrêmement conservatrice en réaction à la frénésie déconcertante propre à tant de révolutionnaires…Sa respectabilité, spontanée et brutale, était une rébellion contre la rébellion. »
Une fois posés ces principes, le récit nous entraîne dans ses replis hautement fantasmagoriques qu’on ne dévoilera pas ici mais qui semblent avoir pour principe de prendre le contre-pied d’une lecture aux déroulements soigneusement calibrés. Surtout, elle passe par la force et le charme d’une prose qui ne se dépare pas d’un contenu rêvé, ainsi pour décrire une forêt lumineuse remplie des ombres de poursuivants maléfiques : « on eut dit une sorte de voile frémissant rappelant les vertiges du cinématographe ». C’est cette réussite dans la forme qui donne tout son attrait à ce livre débordant par moment d’un flamboiement mystique, entraînant par sa démesure même… On saluera également l’Arbre Vengeur pour la réédition d’autres œuvres aux charmes noirs et vénéneux, comme le splendide et tragique Noces Barbares de l’australien Rodney Hall.